Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 5 février 2015 à 9h30
Transfert de la bande des 700 mhz et avenir de france télévisions — Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel

Olivier Schrameck, président du CSA :

J'apprécie de pouvoir m'exprimer pour la première fois devant une commission parlementaire sur le projet de réallocation de la bande 700 MHz, sujet d'une extrême importance. Bien que déterminantes, les modalités de ce basculement restent incertaines sur des objectifs essentiels.

En décidant de transférer à d'autres services que celui de la radiodiffusion les fréquences de la bande 700 MHz, qui représente 30 % de la ressource hertzienne totale actuellement utilisée par la TNT, le Gouvernement espère un gain de 2,1 milliards d'euros. Le communiqué de décembre 2014 a été confirmé par l'arrêté du 6 janvier 2015 qui précise que l'attribution des fréquences aux opérateurs de télécommunications se déroulera en décembre 2015. Leur transfert effectif aura lieu entre le 1er octobre 2017 et le 30 juin 2019, à l'exception de quelques zones où ces derniers pourraient les utiliser dès avril 2016. Il indique également que la norme de compression MPEG-4 pour la diffusion de la TNT sera généralisée en avril 2016, avec pour conséquence l'arrêt de la diffusion en MPEG-2. Un plan d'accompagnement sera mis en place pour qu'aucun foyer ne souffre d'un écran noir durant cette période.

Dans son avis du 26 novembre 2014, le CSA prend acte des orientations retenues par le Gouvernement tout en indiquant qu'elles s'inscrivent dans un dispositif juridique plus vaste encore à définir. Le Conseil note qu'un préalable à ce nouveau retrait de fréquences est de pouvoir tirer parti de la généralisation de la technologie de compression MPEG-4 sur la plate-forme métropolitaine afin d'arrêter la norme MPEG-2. Cela suppose que, sur le modèle du passage au tout numérique, la loi institue, d'une part, un dispositif d'accompagnement pour que les téléspectateurs concernés s'équipent de récepteurs compatibles avec la norme MPEG-4, et, d'autre part, un concours financier alloué aux foyers défavorisés ou touchés par d'éventuelles pertes de couverture. Le Conseil incite le Gouvernement à préciser les dispositions précises sur lesquelles il entend s'engager pour mettre en place cet accompagnement. Ces dispositions de nature législative ou réglementaire porteront notamment sur les aides à l'équipement pour les téléspectateurs les plus démunis ; une campagne d'information nationale sur les conséquences de l'arrêt du MPEG-2 ; l'introduction d'un dispositif de retrait des autorisations délivrées aux opérateurs de multiplex, collectivités locales, constructeurs, syndics et propriétaires d'immeuble ; l'accompagnement de la fin de la double diffusion SD et HD ; les éventuelles obligations d'intégration progressive du DVB-T2/HEVC dans les téléviseurs puis dans les adaptateurs TNT ; l'accompagnement, notamment financier, des collectivités locales ; le financement spécifique de compensation des coûts induits par le transfert des fréquences de la bande 700 MHz du secteur audiovisuel vers les services mobiles de communications électroniques ; enfin, la prise en charge des coûts de résolution des brouillages de la réception de la TNT occasionnés par les nouveaux utilisateurs de la bande 700 MHz.

Le CSA relève que si 1 626 sites de diffusion de la TNT sont financés par les chaînes, un peu plus de 310 sites complémentaires de diffusion sont pris en charge par les collectivités locales au titre de l'article 30-3 de la loi du 30 septembre 1986. Il souligne également que le nouveau retrait de fréquences interfère avec le développement de la plate-forme et notamment le déploiement des six nouvelles chaînes en haute définition (HD) lancées en décembre 2012 sur les 7e et 8e multiplex appelés « R7 » et « R8 ». En effet, la libération de la bande 700 MHz de toute diffusion TNT rendra nécessaire l'extinction de deux multiplex nationaux, c'est-à-dire qu'il sera demandé aux éditeurs et aux diffuseurs d'éteindre une partie des équipements récemment déployés, ou parfois à déployer sur l'ensemble du territoire. Cette perspective induit une dépréciation des investissements consentis. En France métropolitaine, 89 % de la population a accès aux chaînes de la TNT. Deux phases de déploiement sur les treize initialement prévues restent à compléter pour étendre la couverture de la diffusion terrestre et atteindre l'objectif de 99 %. Compte tenu du resserrement considérable des délais, le CSA a décidé un moratoire au moins pour la phase 12 qui devait commencer le 7 avril 2016. C'est dire l'urgence qui caractérise le processus de transfert.

Une fois l'arrêté pris, le CSA a lancé une consultation publique, dont le terme a été fixé au 23 février, toujours sous le signe de l'urgence, afin de recueillir l'avis des acteurs sur le schéma d'arrêt du MPEG-2, mais aussi sur le choix des deux multiplex à arrêter en avril 2016, sur les conséquences du déploiement des six nouvelles chaînes de la TNT en région Rhône-Alpes (R7 et R8).

Le passage au tout MPEG-4 implique que pour continuer à pouvoir regarder la télévision, les foyers qui ne disposent pas d'un adaptateur TNT intégré à leur téléviseur ou externe devront s'équiper, soit 8 % des foyers, fin juin 2014. Le plan d'accompagnement devra comporter un volet relatif à l'aide aux utilisateurs - aide à l'équipement, aide à la réception, assistance technique pour les personnes les plus vulnérables -, ainsi qu'un volet communication. Les usagers devront procéder à des manipulations de recherche et de mémorisation de chaînes, au fur et mesure du passage au tout MPEG-4, plaque par plaque.

L'extraction de la bande 700 MHz fragilisera également la couverture du territoire. Repliée en dessous de cette bande et disposant d'une quantité de spectres nettement réduite par rapport à la situation actuelle, la TNT verra inéluctablement sa réception perturbée. Certains foyers devront passer à un mode de réception alternatif, le satellite par exemple. Des moyens seront nécessaires pour limiter le mécontentement des téléspectateurs et des élus locaux concernés. À cela s'ajoutent les risques de brouillage induits par les systèmes de communication mobile dans la bande 700 MHz, que ce soit par les stations de base - cette situation pourrait être à peu près identique à celle connue en bande 800 MHz - ou par les terminaux mobiles - téléphones, ordiphones ou tablettes - utilisés dans le voisinage d'équipements de réception de la TNT. Le Conseil alerte le Gouvernement sur l'impact de ces brouillages d'un genre nouveau, qui s'introduiront au sein même des foyers, ainsi que sur les modalités de leur prise en charge.

Le Conseil a décidé de consulter les acteurs sur la perspective de réduction des multiplex ; celle-ci concerne les terminaux R7, R8, mais aussi R5, dont le déploiement n'est pas achevé. La suppression d'un ou plusieurs multiplex pourrait bouleverser la situation concurrentielle sur les marchés de gros amont et aval. Par conséquent, le CSA a décidé hier de saisir l'Arcep d'une demande d'avis qu'elle devra rendre dans un délai de quatre semaines.

Les diffuseurs techniques alternatifs à l'opérateur historique TDF (Towercast et Itas-Tim) ont fait part au Conseil de leurs vives inquiétudes dans un contexte où la concurrence joue un rôle déterminant. L'ensemble des acteurs réclame l'indemnisation complète des pénalités liées aux ruptures de contrat et le remboursement intégral des frais techniques liés à l'opération de transfert.

Enfin, le montant de l'investissement résultant des obligations des chaînes de la TNT dans la production audiovisuelle et cinématographique a dépassé 1,2 milliard d'euros en 2012. La contribution que le secteur audiovisuel apporte à l'économie en utilisant les fréquences de la TNT est comparable à celle du secteur des communications hertziennes. Les opérateurs payent 8 euros par hertz utilisé et par an, contre 6 euros pour les chaînes de la TNT. L'efficacité du dispositif actuel tient aux fortes barrières protégeant la TNT - rareté de la ressource, protection contre les capitaux extra-communautaires -, qui sont maintenues en contrepartie de la contribution des services autorisés au financement et à la promotion des oeuvres cinématographiques françaises. Les partisans d'un basculement rapide, notamment l'Association nationale des fréquences (ANFR), ne mesurent pas les conséquences d'un tel bouleversement sur la production française. L'adaptation de ce dispositif sur les autres plateformes à très haut débit - filaire, ADSL, câble, fibre optique, satellitaire ou Internet ouvert - pour diffuser la TNT doit rester au coeur de la réflexion des pouvoirs publics. Aucun modèle alternatif n'a été identifié à ce jour. Le déclin de la plateforme hertzienne entraînerait une forte diminution de la contribution des éditeurs à l'économie culturelle française.

Le CSA est prêt à éclairer la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle sur les conditions et les perspectives de cette vaste opération. Pour arrêter ses choix, le Conseil a besoin de visibilité sur les mesures législatives et réglementaires susceptibles d'être mises en place. Le problème est grave, le temps est compté.

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