Intervention de Michel Pinault

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Pinault président du haut comité d'évaluation de la condition militaire hcecm

Michel Pinault, président du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) :

Je vais commencer par une brève présentation du HCECM qui a été créé par l'article 1er de la loi n°2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires et dont les attributions ont été précisées par le décret n°2005-1415 du 17 novembre 2005. Le HCECM a pour mission d'éclairer le Président de la République et le Parlement sur la situation et l'évolution de la condition militaire. C'est un organe collégial indépendant, composé de 9 membres, nommés par décret du Président de la République, qui ne reçoivent aucune indemnité pour les fonctions exercées et j'indique que nous tenons beaucoup au bénévolat. Cet organe est assisté d'un secrétaire général et de trois agents.

Le HCECM établit chaque année un rapport public dans lequel il formule des avis et peut émettre des recommandations. Ce rapport est organisé en deux parties :

- l'étude d'un thème particulier qui fait l'objet d'une publication en mai comme :

2007 : l'attractivité de la condition militaire - les rémunérations ;

2008 : la mobilité fonctionnelle et géographique ;

2009 : la reconversion ;

2010 : les pensions militaires de retraite ;

2011 : la condition des militaires en service hors métropole ;

2012 : la condition des militaires du rang ;

2013 : les femmes dans les forces armées françaises ;

2014 : l'administration des militaires.

- et la revue annuelle, publiée en septembre, qui permet de suivre, année après année, l'évolution des principales composantes de la condition militaire : recrutement, rémunérations, mobilité, etc.

Pour 2014, nous avons retenu le thème de l'administration des militaires au sens large, c'est-à-dire tout ce qui aide les militaires à se concentrer sur leur métier.

Notre méthode repose sur des auditions (chefs d'état-major, direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRHMD), directeurs des ressources humaines d'armée, directeurs centraux, etc.), des visites d'unités comprenant des tables rondes catégorielles (officiers, sous-officiers, militaires du rang, éventuellement conjoints) ainsi que sur l'analyse de documents spécialisés : rapports, réponses à des questionnaires, documentation administrative, etc. Je soulignerai également l'apport essentiel de l'INSEE.

Je vais maintenant vous exposer la revue annuelle 2013 de la condition militaire qui s'est inscrite dans une conjoncture particulière marquée par deux lois successives de programmation militaire et leurs conséquences en matière de réorganisation et d'effectifs ; deux réformes des retraites qui accroissent la durée des carrières et ne facilitent pas l'atteinte des objectifs de réduction des effectifs ; un contexte économique peu favorable à la reconversion du personnel militaire et à l'emploi des conjoints. Les chiffres collectés dans la revue annuelle 2013 se rapportent à l'année 2012.

S'agissant des recrutements, les forces armées ont adopté des politiques de recrutement externe distinctes, en fonction des politiques de départ, de promotion interne et de fidélisation choisies.

Globalement, le volume de recrutement annuel est en baisse (-21,9% entre 2008 et 2012).

Les baisses les plus marquées concernaient l'armée de terre et la gendarmerie (respectivement -33% et -21% entre 2010 et 2012).

La décroissance du nombre de postes offerts a, dans certains cas, eu pour effet d'améliorer un peu le taux de sélection au recrutement, gage de qualité.

Le taux de sélection sous-officiers (hors gendarmerie) était de 3 candidats pour 1 poste en 2008 et de 4,5 en 2012. Celui des officiers sous contrat s'établissait à 5 candidats pour 1 poste en 2008 et à 9,2 en 2012. Le taux de sélection des officiers par les grandes écoles reste stable et satisfaisant. Il était de 15,2 candidats pour 1 poste en 2008 et de 15,3 en 2012. La sélectivité des militaires du rang s'est un peu améliorée mais reste faible. Nous sommes ainsi passés de 1,7 candidat pour 1 poste à 2 en 2010 et 2,3 en 2012.

En revanche, la sélectivité des sous-officiers de gendarmerie a baissé. En 2008, nous avions 8,4 candidats pour 1 poste alors que nous n'en avons plus que 6,9 en 2012.

La sélectivité du recrutement des agents civils de l'Etat est généralement bien meilleure que celle des militaires.

Si l'on se contente du dernier taux de sélection connus (2011) pour le recrutement externes de fonctionnaires civils de catégorie C, il est supérieur à 24 candidats pour 1 poste.

Nous pouvons tirer les trois conclusions suivantes :

- en dépit de la mauvaise situation du marché de l'emploi, la taille des viviers au sein desquels les militaires sont recrutés reste globalement stable.

- la fonction publique civile attire plus que les métiers des armes car elle offre la perspective d'une carrière complète.

- l'attractivité des emplois militaires doit être renforcée et la journée Défense Citoyenneté doit mieux y concourir. Avec la réforme de la carte militaire, on a créé de véritables déserts militaires.

S'agissant de l'activité opérationnelle des armées et des services, nous constatons qu'en 2012, 8,4% des militaires des armées (18 302 militaires) ont été déployés hors du territoire militaire, dans le cadre d'une OPEX, d'une mission de courte durée ou d'une affectation. C'était le chiffre le plus bas depuis 2007. Il a vraisemblablement augmenté en 2013 avec notamment l'opération Serval. Au contraire des armées britanniques et à l'exception de l'armée de terre française pour laquelle le temps de présence en métropole entre deux projections doit au moins être de huit mois, les armées et les services n'ont pas défini de normes d'activités individuelles « standard ».

- en 2012, seuls 1,1% des militaires de l'armée de terre dérogeaient à la règle selon laquelle 8 mois doivent séparer la participation à 2 OPEX ; ils étaient 6,3% en 2009 ;

- la durée des projections est plus courte dans l'armée de l'air (2 à 4 mois) que dans l'armée de terre (4 ou 6 mois).

- au Royaume-Uni, dans l'Army, le temps d'absence de la garnison ne doit pas dépasser 415 jours sur 30 mois glissants ; dans la Navy, 660 jours sur 36 mois glissants ; dans la Royal Air Force, 280 jours sur 24 mois glissants ;

- en 2012, les escadrons de gendarmerie mobile se sont déplacés durant 221 jours (plus de 7 mois).

Le HCECM continue de recommander l'établissement de telles normes.

Sur la question des rémunérations, les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de Louvois, qui est une véritable catastrophe qui empoisonne l'atmosphère, ne permettent pas de présenter de données fiables pour 2012, cohérentes avec les années antérieures. Cela sera sans doute le cas en 2013 et vraisemblablement jusqu'au déploiement du prochain calculateur de solde.

En 2011, année la moins touchée par les dysfonctionnements de Louvois, la rémunération nette moyenne des militaires déjà en place en 2010 aurait augmenté, en euros constants, d'environ 1% en raison d'un effet « carrière » dû aux avancements principalement.

Plus fondamentalement, les erreurs causées par Louvois sur le service de la solde ont considérablement fragilisé la confiance des militaires vis-à-vis de l'institution.

Sur la période 2005-2010, des travaux de l'INSEE sur le revenu des ménages mettent en évidence des différences sensibles de niveau de vie entre les ménages dont la personne de référence est un militaire et ceux dont la personne de référence est un fonctionnaire civil ou un salarié du secteur privé. Ces différences sont particulièrement sensibles pour les ménages dont un des conjoints est sous-officier ou officier. Elles s'expliquent par le revenu individuel moyen du conjoint de militaire qui, du fait de la mobilité de ce dernier, reste faible. Le niveau de vie annuel moyen d'un ménage serait supérieur de 18% à celui d'un ménage dont le conjoint de référence est un sous-officier.

S'agissant de la promotion interne, en dépit d'efforts importants, le taux de recrutement aux carrières d'officier par voie interne varie de manière significative, principalement dans la marine et l'armée de terre, dans la durée. Pour les sous-officiers, on retrouve aussi de fortes variations. L'imprévisibilité de ces variations est de nature à décourager les candidats potentiels.

Pour l'examen des conditions d'exécution du service, la notion de « temps de travail » n'est pas pertinente dans les armées car elle ne décrit que partiellement l'activité du personnel. Il est plus juste de parler de temps de service, qui regroupe : les activités effectives ainsi que les gardes, les permanences, les astreintes, etc.

Au contraire des forces armées britanniques et à l'exception de la gendarmerie nationale, le temps de service des militaires dans les forces armées françaises n'est pas mesuré. En moyenne et en 2012, un gendarme affecté en gendarmerie départementale a effectué 43h d'activité effective auxquelles se sont ajoutées 52h35 d'astreinte.

Si la mesure de ce temps et l'utilisation qui peut en être faite doivent être abordés avec beaucoup de précaution, le HCECM maintient sa demande de mise en place d'outils adaptés de recueil d'informations dans ce domaine, afin de mieux évaluer les sujétions des militaires.

Le taux de mobilité géographique des militaires a, quant à lui, nettement augmenté pour toutes les catégories hiérarchiques depuis 2008/2009. Il reste élevé pour les officiers (22% en 2012 contre 18,4% en 2007), a augmenté de façon importante pour les sous-officiers (16,4% contre 12,3%) et les militaires du rang (9,1% contre 5,2%).

Le nombre de mutations avec un préavis de moins de trois mois s'accroît dans deux cas :

- les officiers mutés en métropole (39% des officiers mutés en 2012 contre 26% en 2010) ;

- et les militaires mutés hors de la métropole (28% en 2012 contre 22% en 2010).

Il reste également élevé dans le cas des militaires de la gendarmerie (81% en 2012 contre 76% en 2010).

Le HCECM recommande une fois passée la période des restructurations d'instaurer une phase de stabilité.

Sur la rubrique des « Décès - blessures - suicides », nous constatons, en préalable, que le service de santé aux armées est véritablement plébiscité par l'ensemble des militaires. Par ailleurs, nous notons que le nombre des suicides chez les militaires, s'il reste stable, est inférieur à celui constaté dans le reste de la population.

S'agissant du logement, la part des militaires propriétaires de leur logement est moindre que chez les autres agents publics, quelle que soit la tranche d'âge considérée. C'est une des conséquences de la mobilité et du niveau de vie annuel moyen des ménages dont le conjoint de référence est militaire. Le ministère de la défense mène toutefois une véritable politique du logement en faveur de ses personnels en réservant des logements dans le parc civil et en finançant certains programmes.

Sur le point particulièrement important du retour à la vie civile qui conditionne le recrutement et le bon déroulement de la réduction des effectifs, nous considérons qu'il s'agit d'un devoir moral vis-à-vis d'agents publics dont beaucoup sont sous contrat ou dont les limites d'âge sont assez basses. En 2012, le taux de reclassement dans le secteur privé et le secteur public des anciens militaires de plus de 4 ans de service, qui bénéficient donc des prestations de Défense mobilité, atteint 74%, soit le même niveau qu'en 2011.

Malgré l'augmentation du nombre de militaires rejoignant la fonction publique civile, notamment le ministère de la défense, le dispositif se heurte aux réductions d'effectifs des autres ministères.

Nous estimons cependant que l'Agence Défense Mobilité est un succès et qu'elle enregistre un taux de satisfaction important. Nous avons néanmoins conscience de la nécessité de nuancer ce propos, puisque vous l'avez rappelé, le nombre d'anciens militaires indemnisés au titre du chômage s'est fortement accru de 2011 à 2012 (9 000 à 11 000, soit +22%).

En conclusion, le HCECM estimait encore en 2013 que les grands équilibres entre sujétions et compensations d'une manière globale n'étaient pas remis en question. Les gouvernements successifs ont en effet pris grand soin de ne pas toucher à ce qui fait la spécificité de la condition militaire. Toutefois, la confiance fragilisée vis-à-vis de l'administration et la visibilité restreinte sur la poursuite de leur carrière conduisent les militaires à douter des réformes qui ont été décidées et à marquer une certaine défiance vis-à-vis des nouvelles transformations qui ont été décidées.

Je vais maintenant aborder la question des femmes dans les forces armées françaises. Le bilan est assez positif puisque nous avons l'armée la plus féminisée du monde occidental devant les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Les forces armées françaises ont progressivement ouvert leurs portes aux femmes au cours des conflits du 20e siècle, mais c'est la professionnalisation qui a été déterminante et s'est accompagnée d'une augmentation sensible de la proportion de femmes militaires. Aujourd'hui, 48 000 femmes servent dans les forces armées, soit un taux de féminisation de 15%.

Dans l'ensemble de la société française, l'étape de l'égalité juridique entre les hommes et les femmes est en voie d'être franchie ; celle de l'égalité professionnelle est encore en devenir : qu'en est-il pour les forces armées ?

La place des femmes dans les forces armées n'est plus un problème, ni vraiment une question ; leur rôle est désormais reconnu ; la situation n'est pas pour autant stabilisée et des évolutions sont encore souhaitables ; en effet, plusieurs décennies n'ont pas suffi à convaincre tous les esprits qu'une vision pragmatique et dépassionnée était nécessaire.

Afin de réussir ces évolutions, la condition militaire peut servir de guide vers l'objectif d'égalité professionnelle.

Dans son rapport, le HCECM a établi deux principes :

- le premier : les femmes ont toute leur place dans les armées ;

- et le second selon lequel l'accès à un emploi doit être le même pour les femmes comme pour les hommes. Il doit être fondé sur les compétences et la capacité, physique, psychologique et intellectuelle, d'exercer le métier militaire et non sur une considération de sexe. Compte tenu de la spécificité du métier militaire, la parité, au sens strict, ne peut pas constituer un objectif applicable dans l'institution militaire.

Le HCECM a également proposé cinq priorités qui sont les suivantes :

1ère priorité : développer l'attractivité :

- en apportant des témoignages de femmes à l'occasion de la journée de défense et de citoyenneté ;

- en renforçant l'affectation de militaires féminins dans les centres de recrutement ;

- en luttant contre la tentation, par commodité, de renoncer au recrutement de femmes dans certaines spécialités.

2ème priorité : revisiter la formation initiale :

- en affectant plus de cadres féminins dans les écoles militaires ;

- en mettant en place dans ces écoles des modules de formation centrés sur la problématique de l'égalité professionnelle hommes-femmes ;

- en favorisant les échanges avec l'ensemble de l'enseignement supérieur.

3ème priorité : adapter la vie professionnelle :

- en adaptant les barèmes d'aptitude physique aux nécessités des emplois militaires actuels ou futurs ;

- en assouplissant les règles d'âge pour l'accès à certains postes qualifiants ou pour l'accès à certaines formations ;

- en généralisant les entretiens de carrière avec notamment l'objectif d'éviter les départs prématurés et d'optimiser l'investissement de formation ;

- en élaborant un guide à l'usage des militaires en vue d'informer le personnel sur les mesures de prévention et la conduite à tenir en cas de comportement répréhensible ;

- en ne plaçant pas des militaires dans une situation d'isolement au sein d'un groupe du sexe opposé, en ne féminisant qu'un nombre donné d'unités dans lesquelles la proportion de femmes ne serait pas inférieure à un seuil défini par type d'unité.

4ème priorité : concilier la vie professionnelle et la vie familiale

- en rédigeant un guide de la parentalité qui serait remis à tous les militaires, futurs ou jeunes parents ;

- en étudiant la création, suivant un régime à définir, d'un congé d'éducation ouvert aux hommes comme aux femmes ;

- en créant un site Internet dans chaque base de défense avec un espace dédié à la parentalité ;

- en évaluant régulièrement le besoin de garde des enfants en bas âge.

5ème priorité : piloter les évolutions vers l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

On constate que les mesures de transformation des armées ne produisent pas les mêmes effets sur les militaires, hommes et femmes. Il est donc indispensable d'analyser leur impact sur le processus de féminisation.

Dans le cas des métiers ou spécialités où le taux de féminisation est particulièrement faible, nous recommandons la mise en place une gestion particularisée.

Nous préconisons également de créer un label « environnement familial » qui reconnaîtrait les efforts réalisés par les cellules de GRH vers les militaires et leurs familles.

Il faudrait également procéder à l'élargissement à l'ensemble de la condition militaire et associer le ministère de la défense à tous les travaux conduits par la fonction publique civile pour mieux et plus rapidement les adapter aux militaires.

En conclusion, je dirais que l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes du ministère de la défense a été installé le 18 décembre 2013 par le ministre de la défense. Sa feuille de route s'appuie largement sur le rapport du HCECM.

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