Le Livre blanc définit la stratégie de défense et de sécurité de notre pays. Cette stratégie a été approuvée par le Président de la République le 29 avril. Il en a confirmé les orientations devant l'IHEDN. Le Parlement en a débattu et l'a largement approuvé le 28 mai dernier.
Ces décisions ont été prises dans le contexte économique que nous connaissons. Elles ne cachent pas les difficultés auxquelles sont confrontées nos armées. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'arbitrage rendu par le Président de la République d'établir un socle des dépenses de défense à 1,5% du PIB, niveau plancher que nous appelions de nos voeux et qui semblait à un certain moment compromis. Ceci ne nous empêche pas de poursuivre l'objectif de revenir à 2 % (norme OTAN) lorsque notre économie se redressera.
Mon général, nous attendons que vous nous exprimiez vos craintes, même si nous les connaissons en grande partie par la lecture de la presse.
Pour notre part, nous allons essayer de veiller à l'équité entre les différentes armées lors de la transcription des arbitrages du Président de la République dans la loi de programmation militaire. Un arbitrage global doit profiter de manière intelligente aux trois armées. Tout est question d'équilibre, d'objectifs et de but à atteindre.
Vous nous direz votre sentiment sur la poursuite des restructurations auxquelles les élus locaux que nous sommes ne peuvent rester insensibles même s'il est évident que la défense n'est pas principalement un outil d'aménagement du territoire. Nous souhaitons en tout cas que les actions de restructurations soient conduites avec moins de brutalité que celles qui ont été mises en oeuvre dans la période précédente au moment de la création des bases de défense.
Enfin, nous sommes très soucieux que l'examen de la Loi de programmation militaire (LPM) se déroule avant celui de la loi de finances pour 2014 qui en constituera la première annuité.
Général Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de Terre. - Je vous remercie de m'offrir l'opportunité de m'adresser à la représentation nationale sur un sujet aussi capital pour l'avenir de notre pays que celui que représente le Livre blanc. J'y vois une marque d'intérêt profond pour l'armée de Terre et pour les défis qu'elle s'apprête à relever.
Votre invitation prolonge parfaitement l'état d'esprit de concertation et de dialogue qui a prévalu pendant toute la conduite des travaux de rédaction, auxquels j'ai été pleinement associé.
Prenant acte du paysage géopolitique international et considérant l'état des finances publiques de la France, le nouveau Livre blanc vient de définir la stratégie de défense et de sécurité nationale pour les prochaines années. Il fixe à l'armée de Terre un contrat opérationnel rénové et un format ajusté à l'aune des ressources financières envisageables. La loi de programmation militaire, qui sera examinée cet automne par le Parlement, constitue un enjeu crucial puisqu'elle conditionnera la cohérence des modèles d'armée à l'ambition stratégique de la Nation.
Or, l'état du monde, que le Livre blanc ne décrit ni moins instable ni moins incertain, mais surtout l'analyse rétrospective des conditions d'exécution de la loi de programmation militaire 2009-2014, me conduisent à appréhender l'avenir avec une grande prudence.
En effet, l'incertitude demeure entière. L'offensive djihadiste au Nord Mali le prouve. En parallèle, les succès militaires auxquels les forces terrestres contribuent, confortent la crédibilité de notre pays sur la scène internationale et démontrent qu'il dispose encore d'une forte autonomie stratégique. La France continuera donc à avoir besoin, parce qu'elles sont les plus employées, de troupe au sol, en quantité suffisante. Elles devront en outre être bien préparées et bien équipées pour répondre aux exigences du combat moderne et pour faire face à la dureté croissante des engagements.
Le bilan de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire montre, quant à lui, l'écart, entre le niveau d'ambition affiché par le dernier Livre blanc et le montant de ressources, qui s'est finalement révélé insuffisant pour le satisfaire pleinement. Ce décalage s'est progressivement accentué, de façon sérieuse entre 2011 et 2013, affaiblissant notre modèle par des mesures d'économies constantes dans tous les domaines.
La raison nous impose donc d'être réalistes afin que la future loi de programmation militaire ne nous contraigne pas, une nouvelle fois, à revoir à la baisse le niveau d'ambition de la France. En effet, le risque d'un décrochage du nouveau modèle existe. Il porte sur la maîtrise de la masse salariale, le choix des équipements et sur le niveau des activités de préparation opérationnelle. Ce risque est d'autant plus élevé que le cadrage budgétaire repose sur des hypothèses de ressources exceptionnelles encore aléatoires.
Cela ne sera pas le cas pour 2014, je viens d'en avoir confirmation.
Général Ract-Madoux. - Le nouveau contrat opérationnel ne diffère pas fondamentalement du précédent. L'implication possible, sur le territoire national, de l'ordre de 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure et le maintien en alerte d'un échelon national d'urgence de 5 000 hommes, projetables dans des délais réduits, figuraient parmi les hypothèses d'emploi développées en 2008. En outre, depuis une dizaine d'années, plus de 7 000 soldats des forces terrestres sont engagés, quotidiennement et dans la durée, dans des opérations de gestion de crise, sur plusieurs théâtres simultanément.
En fait, le changement majeur du nouveau Livre blanc concerne la réduction du contrat opérationnel le plus dimensionnant. La contribution de l'armée de Terre à une opération de coercition majeure passera de 30 000 hommes à 15 000 hommes, atteignant dans les faits plutôt 20 000 hommes en incluant leur environnement logistique et les structures de commandement fixées par le Livre blanc. Ce passage justifie le resserrement de la force terrestre projetable qui devrait passer de 71 000 hommes aujourd'hui à environ 66 000 hommes demain.
Je vous propose de nous arrêter sur la soutenabilité de ce contrat car j'identifie en effet des limites et plusieurs risques, relatifs au niveau de ressources budgétaires, qui, s'il demeure au seuil de « stricte insuffisance » qui le caractérise ces dernières années, est susceptible de mettre à mal, d'emblée, les ambitions stratégiques de la France.
Par la force des évènements, l'armée de Terre, depuis une dizaine d'années, remplit un contrat opérationnel qui est très proche de celui qui lui est confié dans le nouveau Livre blanc, mais avec un volume de forces supérieur. Il est donc crucial de réaliser que, dans ces conditions, notre capacité à remonter en puissance entre deux interventions et à conduire simultanément plusieurs opérations ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui. En conséquence, avec l'équivalent d'une brigade interarmes en moins, tout en conservant l'intégralité du spectre des capacités, le modèle à 66 000 hommes conditionne, à un seuil de stricte suffisance, la faisabilité de ce nouveau contrat.
La réduction des effectifs imposée à l'armée de Terre par le nouveau format suit une pente malheureusement très similaire à celle qu'elle connaît depuis 2008. Ce niveau de déflation est ambitieux. Il n'est cependant pas inatteignable sous réserve de pouvoir disposer des bons leviers d'action. Il s'agit là d'une seconde limite de l'exercice. Ainsi, la préservation de la cohérence de notre modèle d'armée impose de préférer des dissolutions de formations au « saupoudrage » de réductions de postes qui déstructurerait en profondeur l'outil terrestre et ne générerait finalement pas les gains escomptés ni en effectifs ni en budget. La conséquence territoriale se traduira bien sûr par un accroissement inévitable des déserts militaires.
S'agissant des forces prépositionnées, le Livre blanc confirme heureusement leur rôle et leur importance, et suggère leur adaptation progressive. Les forces de présence en Afrique et dans le Golfe arabo-persique ont confirmé leur rôle essentiel, dans la majorité des opérations, cette année encore. Les forces de souveraineté des trois armées présentes outre-mer jouent un rôle majeur dans la protection de la population, dans la capacité de réaction aux crises et dans le lien armée-Nation. Je suis actuellement très attentif à ce que, au nom d`économies d'effectifs et de déflations ciblées, on ne laisse pas des parts importantes de la population nationale sans plus aucun contact avec les armées, dont l'armée de Terre bien sûr.
La réalité du cadrage budgétaire et les objectifs de déflation associés font peser un risque majeur sur le modèle futur des forces terrestres. La pression qui s'exerce, sous de nombreux angles, pour réduire la masse salariale, pourrait finalement se traduire par une charge de déflation excessive.
En premier lieu, le décompte des déflations réalisées au titre de la réforme précédente n'est pas complétement consolidé, donnant lieu à des visions divergentes (portant sur environ 1 000 postes) quant à la quantité de déflation restant à faire.
En second lieu, la part de l'armée de Terre dans les déflations dépasse le seul cadre de la force terrestre. L'adaptation capacitaire de la FOT au titre du nouveau Livre blanc s'accompagne d'une déflation de son format de plus de 6 000 postes. Toutefois, je dois également considérer la charge de déflation qui sera imputée aux services interarmées et aux directions du ministère et dont une partie importante portera inévitablement sur du personnel de l'armée de Terre, qui est omniprésent dans les services communs. Je redoute les éventuels transferts de charge qui pourraient s'opérer, si certains contributeurs n'atteignaient pas leurs propres objectifs. En outre une réduction d'effectifs « supplémentaire », non identifiée et imposée par le cadrage budgétaire pourrait alourdir encore le poids des suppressions d'effectifs.
Enfin, le principe du contingentement par grade, conjugué au principe d'auto-assurance du titre II, pourrait contraindre l'armée de Terre à une diminution drastique de l'avancement du personnel et à une réduction supplémentaire d'effectifs.
J'ai toute confiance dans le jugement du Ministre pour orienter de manière aussi pertinente qu'équilibrée la répartition des déflations au sein du ministère, elle est en effet capitale pour ne pas entamer la capacité opérationnelle future de l'armée de Terre et plus généralement des armées.
En l'espace de onze ans (2008 à 2019), 57 000 hommes et femmes de l'armée de Terre auront été touchés par les réformes, se traduisant par 35 000 suppressions de postes et 22 000 transferts. Sur la même période, l'armée de Terre aura subi de profondes transformations, sous l'impulsion de deux Livres blancs et de nombreuses réformes visant à rationaliser les politiques publiques. Le personnel de l'armée de Terre, sous l'impulsion de ses chefs, comprend encore les enjeux liés à ces changements. En dépit des difficultés, il les exécute avec une loyauté et une constance remarquables qui méritent d'être reconnues. Cependant, la multiplicité des réformes, leur simultanéité et leur ampleur sont ressenties comme fragilisant l'efficacité de l'outil de Défense. En réaction, notre communauté militaire ne masque pas ses préoccupations sur les conséquences de cette nouvelle adaptation capacitaire et sur les risques que fait peser un niveau de ressources contraint sur les conditions d'exercice du métier et sur la condition militaire. Les inquiétudes les plus vives agitent la communauté militaire quant à des recherches d'économies tous azimuts se traduisant par des menaces sur l'avancement, les rémunérations, les indemnités et les compensations pour charge de service. Il me semble crucial de conserver la confiance des hommes et des femmes de l'armée de Terre afin de limiter à son plus bas niveau le risque d'un rejet de la réforme. Ceci passe par le niveau de ressources strictement nécessaire à l'exercice de leur métier afin que soit assurée la juste satisfaction professionnelle qu'ils méritent. Ce sujet de la condition du personnel et du moral me semble porter des risques maximum pour l'avenir.
Le niveau de ressources prévu pour l'infrastructure ne me porte pas non plus à l'optimisme. En l'état actuel, la future LPM sera celle d'un renoncement d'une ampleur telle qu'il ne permettra pas de compenser le sous-entretien chronique résultant des exercices précédents et conduira à une dégradation progressive des conditions de vie et de préparation opérationnelle. L'armée de Terre anticipe donc des reports d'opérations d'infrastructures préjudiciables à l'achèvement, initialement prévu en 2013, du plan de réhabilitation de l'hébergement (Plan Vivien), lancé pourtant il y a 15 ans. Ce retard concerne la moitié de nos régiments et oblige à maintenir certains de nos militaires du rang dans des locaux à peine décents. Pour les mêmes raisons, l'adaptation des infrastructures de tir, dont l'objectif consiste à améliorer la qualité de la préparation opérationnelle dans un domaine aussi crucial que celui du tir au combat, ne pourra pas suivre le rythme que voulait imprimer l'armée de Terre alors qu'environ 30 millions d'euros suffiraient pour en achever l'adaptation. L'enveloppe infrastructures a diminué de moitié en un an.
Le principe d'autonomie stratégique consacre la nécessité de disposer des moyens adéquats pour garantir notre liberté d'action. Celle-ci repose en partie sur la possession d'équipements qui répondent aux caractéristiques des engagements terrestres prévisibles.
De ce point de vue, les opérations les plus récentes donnent raison aux choix capacitaires effectués ces dernières années. Ils montrent combien la volonté de préserver un spectre de capacités suffisant et combien les efforts consentis pour les moderniser sont justifiés autant par la nature que par l'issue militaire des engagements.
Le durcissement des opérations, la farouche détermination de nos adversaires et la proximité des populations imposent de donner à nos soldats un niveau de protection adapté à la menace et des moyens d'action et de combat qui garantissent à la fois la puissance des effets des armes et leur précision. Les équipements modernes le permettent. Qu'il s'agisse du char de combat Leclerc au Kosovo et au Liban, du canon autoporté Caesar, du véhicule blindé de combat d'infanterie ou de l'hélicoptère Tigre, en Afghanistan et au Mali, tous ces matériels portent une part déterminante dans le succès militaire de ces opérations. Par voie de conséquence, ils démontrent l'excellence industrielle de notre pays et renforcent surtout la crédibilité de la France sur la scène internationale.
En dépit de la volonté affichée dans le précèdent Livre blanc de porter un effort sur la modernisation des équipements terrestres, des mesures d'économies, imposées par le contexte budgétaire, se sont concrétisées par de nombreuses diminutions de cible et des reports de livraison. La réduction globale des équipements entre 2008 et 2013 s'élève en effet à environ 20 %. De fait, contrairement à ce qui est écrit dans le Livre blanc de 2008, l'armée de Terre n'a bénéficié d'aucune priorité. Les trajectoires envisagées dans le cadre de la future LPM risquent de confirmer cette tendance et feront apparaitre des réductions temporaires de capacité à partir de 2020.
Si le programme SCORPION semble aujourd'hui préservé, l'arrivée du véhicule blindé multi-rôles en 2018 et de l'engin blindé de reconnaissance et de combat en 2020 impose non seulement de passer les commandes de développement dès 2014, mais aussi de conserver une partie des parcs AMX 10 RC et VAB jusqu'en 2030. De même, la livraison du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), envisagée à partir de 2030 au lieu de 2025, nécessitera de prolonger la durée de vie du véhicule blindé léger, perspective qui n'a pas été intégrée en construction budgétaire à ce stade. Les opérations hors SCORPION seront les plus touchées. La logistique terrestre, dont la faiblesse a déjà été identifiée lors de l'opération SERVAL, sera fortement dégradée par la sévère diminution de cibles et le report des livraisons des nouveaux camions et véhicules légers tactiques, à un point tel que le contrat opérationnel et les conditions de préparation opérationnelle pourraient être obérés à partir de 2018. En ce qui concerne le domaine aéronautique, le ralentissement du rythme de remplacement des hélicoptères d'ancienne génération (Gazelle et Puma) forcera encore le vieillissement de ces parcs dans la durée même si je me réjouis de la récente commande de la seconde tranche des NH90.
Le maintien en service des matériels les plus anciens, dont l'obsolescence est sans cesse repoussée au prix d'opérations de valorisation et de fiabilisation coûteuses, nécessite une maintenance de plus en plus onéreuse, car plus fréquente. Ce phénomène ne fait qu'amplifier des besoins croissants en entretien programmé des matériels, d'autant plus prononcés que lors de la LPM précédente, ce sont l'équivalent d'une année et demie d'EPM aéronautique et une demi-annuité d'EPM terrestre qui n'ont pas été réalisées. L'augmentation du besoin en maintenance est justifiée par deux facteurs. Le premier est lié à l'arrivée des matériels de nouvelle génération dont les coûts de soutien sont malheureusement plus élevés que leurs prédécesseurs : l'utilisation du Tigre coûte quatre fois plus cher que celle de la Gazelle, bien que le Tigre soit l'aéronef d'appui au sol le plus employé et le moins coûteux. Le second facteur concerne le niveau d'engagement opérationnel : ainsi, pour les hélicoptères, ce sont trois années de potentiel qui sont consommées en seulement six mois de mission. Or, le cadrage budgétaire actuel ne permet pas d'assurer le soutien des équipements nécessaires à la mise en oeuvre du contrat décrit dans le nouveau Livre blanc.
Pour réaliser le seul niveau d'activité 2013, qui n'est pas satisfaisant en termes de norme d'entrainement, il manque de l'ordre de 23 millions d'euros par an, pour les matériels terrestres, et de l'ordre de 19 millions d'euros par an, pour les matériels aéronautiques. Pour revenir au niveau nominal d'activité, le besoin s'élèverait respectivement à 84 millions d'euros pour les équipements terrestres et 47 millions d'euros par an en moyenne pour les hélicoptères.
L'armée de Terre a déjà mis en place des solutions visant à optimiser l'emploi de ses équipements pour rationaliser, contenir voire diminuer, les coûts d'entretien grâce à la politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP), grâce au recours à des véhicules ou à des aéronefs de substitution, à la simulation et à la préparation opérationnelle différenciée et décentralisée. Il ne serait pas raisonnable d'imaginer que ces politiques puissent générer davantage d'économies, au moins en ce qui concerne l'armée de Terre.
Nous sommes donc engagés dans « une course contre la montre » dont l'issue conditionnera la soutenabilité du modèle en termes d'équipement. Tout allongement supplémentaire de la durée d'utilisation des matériels anciens, consécutif à l'ajournement de livraison des équipements nouveaux se traduira mécaniquement par son incapacité à remplir la totalité de son contrat opérationnel.
En outre, il ne faut pas se cacher le fait que chaque report et chaque diminution de cible ont un impact certain sur l'efficacité opérationnelle de nos troupes. Il est d'ailleurs difficile de ne pas imaginer qu'elles aient, par voie de conséquence, des effets sur la protection de nos hommes en opérations et donc leur vulnérabilité.
Toutefois, l'entraînement reste le meilleur bouclier de nos soldats. Il ne serait pas raisonnable de courir le risque de le limiter à un seuil inférieur au besoin. La préparation opérationnelle repose aujourd'hui sur une organisation efficiente déjà rationalisée, articulée autour d'un outil de formation et d'entraînement performant et adapté. Ce système tire toute son efficacité de la complémentarité d'un entraînement conduit autant en garnison qu'en centres spécialisés, en métropole comme outre-mer. Il applique le principe de préparation différenciée, consistant à ajuster le niveau d'entraînement des unités à la spécificité et à la dangerosité des théâtres d'engagement. Ce principe de réalité, d'abord imposé par un impératif de maîtrise des coûts, répond aux exigences du contrat opérationnel. En contrepartie, l'aptitude à l'engagement exige pour l'armée de Terre une cible de 90 journées de préparation opérationnelle (JPO) financées par une enveloppe de 230 millions d'euros. En l'état actuel, les perspectives budgétaires nous permettent d'atteindre seulement une cible de 83 JPO au lieu de la référence pour 2013 de 90 JPO. Cet écart est significatif en termes d'aptitude opérationnelle, pour une économie finalement très relative, de l'ordre de 20 millions d'euros. Le niveau de 120 jours d'engagement opérationnel ne pourra donc être atteint qu'en ajoutant un minimum de 30 jours d'engagement en opérations extérieures, accessible si le niveau des opérations extérieures se maintient. Enfin, 200 heures de vol constituent un minimum pour prendre en compte les spécificités de l'entraînement des pilotes de l'aviation légère de l'armée de Terre, dont l'aptitude de vol tactique de jour comme de nuit au-dessus de la terre ou de la mer. Ce niveau alignerait nos pilotes sur ceux de l'armée de l'Air mais serait encore inférieur aux normes retenues pour les pilotes d'hélicoptères de la Marine (220 HdV).
La soutenabilité du contrat repose sur la cohérence du modèle qui est conditionnée par le niveau de ressources qui sera alloué à l'armée de Terre pour financer ses effectifs, entraîner et équiper ses hommes, en définitive leur assurer des conditions d'exercice de leur métier qui répondent au niveau d'exigence des missions qui leur sont confiées. La construction de la future LPM imposera nécessairement des choix au sein de la mission de Défense et entre les différents milieux, dans un contexte de ressources limitées. Je suis donc très préoccupé par la nature des arbitrages qui seront proposés. J'estime pour ma part raisonnable que les choix portent sur les équipements les plus utiles car les plus employés en opérations et permettent de maintenir la préparation opérationnelle à son niveau seuil. L'acquisition et la mise en service de programmes importants mais répondant davantage à une logique de statut que d'emploi, me semblent pouvoir, quant à eux, absorber quelques décalages générateurs d'économies précieuses.
Pour conclure, le dernier risque que j'entrevois concerne la finalisation de la réforme en cours et les conditions dans lesquelles garantir son succès et son acceptabilité. Dans ce cadre, il me semble raisonnable de ne pas précipiter la mise en place d'une nouvelle organisation de la gouvernance de la Défense alors que la précédente réforme n'est pas encore achevée et de consacrer un temps suffisant à la réflexion avant de rénover à nouveau un système qui finit de se mettre en place et qui commence tout juste à fonctionner correctement.
La réforme de la gouvernance du ministère, souhaitée par le ministre de la Défense, doit donc s'attacher, comme il a tenu à le préciser, à conserver la priorité à la finalité opérationnelle. Dans ce cadre, il me semble important de maintenir l'autorité actuelle des chefs d'état-major d'armées et de consolider leurs responsabilités, notamment financières. Ils sont les mieux armés pour préserver la condition de leur personnel et pour accompagner auprès d'eux les nouveaux changements. Ils se sentent en effet, quoiqu'il advienne, responsables de la vie et de la mort de leurs soldats, quelle qu'en soit la cause.
L'armée de Terre, aux côtés des autres armées, a démontré son efficience, bâtie sur un niveau de ressources devenu « juste insuffisant », et dont l'excellent ratio coût-efficacité demeure un atout incomparable pour notre pays. J'ai donc l'honneur de vous demander de m'aider à veiller sur ce fragile équilibre.