Intervention de Ségolène Royal

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 29 avril 2014 à 17h30
Audition de Mme Ségolène Royal ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie

Ségolène Royal, ministre :

Je vous remercie d'avoir souhaité m'entendre et de rappeler ici que je n'ai pas eu part à la signature de ce contrat. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse et je suis heureuse que le Sénat et l'Assemblée nationale se soient saisis du sujet, car vos travaux éclaireront le gouvernement et nous aideront à prendre les bonnes décisions.

La première curiosité, en cette affaire, tient au calendrier. Voilà une réforme qui a été décidée lors de la conférence intergouvernementale de 2007, votée dans la loi Grenelle de 2008, dont elle constituait une mesure emblématique. Le contrat n'est pourtant conclu que fin 2011, et fait l'objet, le 6 mai 2012, d'un décret fixant les modalités de répercussion, pris de façon précipitée en un temps où le gouvernement d'alors aurait dû se contenter d'expédier les affaires courantes, ce qui va déclencher les événements en Bretagne.

Ce dispositif très technique reposait, dans ses grandes lignes, sur une répercussion au réel, mais requérait des calculs a priori de l'écotaxe générée par la prestation de transport, puis des calculs a posteriori de l'écotaxe effectivement générée par la prestation de transport en fonction des trajets réellement entrepris, avec des règles de partage pour les transports mélangeant plusieurs clients. Les transporteurs ont considéré que ce dispositif était complexe et fragilisait leurs relations commerciales puisqu'il supposait une modification a posteriori du coût de la prestation de transport. Solidement organisés, ils avaient, dès 2010, indiqué au gouvernement qu'ils seraient attentifs à voir retenu un dispositif leur permettant de répercuter l'écotaxe sur leurs clients, c'est à dire les chargeurs. Il y a là une première perversion du système, puisque destiné, à l'origine, à faire payer aux camions le coût d'usage des infrastructures, il conduira, in fine, à faire payer les chargeurs, c'est à dire les producteurs.

A son arrivée, le nouveau gouvernement a souhaité concevoir un dispositif alliant simplicité et garanties pour les transporteurs, mais prenant sans doute insuffisamment en compte la sensibilité pour les chargeurs, exacerbée en Bretagne. Il reposait sur les principes suivants : il était calculé, pour chaque région, le montant total de l'écotaxe générée par tous les transports de la région ; ce montant, rapporté au cumul de tous les transports effectués dans cette région permettait de calculer un taux unique pour la région concernée et toutes les prestations de transport, quel que soit le réseau utilisé, y étaient affectées d'une majoration sur la base du taux calculé. On peut l'illustrer avec l'exemple de la Bretagne, où il est calculé que le montant total de l'écotaxe générée dans la région, une fois inclus l'abattement de 50 % qui lui est reconnu, serait de 45 millions d'euros. L'ensemble des prestations de transport étant de 1 200 millions d'euros, l'écotaxe représente 3,7 % de ce montant. Il est donc décidé que tous les chargeurs de la région acquitteront sur leur facture, pour tous les transports qu'ils commandent, une majoration de 3,7 %. Ainsi pour toutes ces entreprises, l'écotaxe se traduit, simplement et douloureusement, par une majoration uniforme de 3,7 % de leur budget transports. On n'est plus du tout dans le principe de départ : les transporteurs ont obtenu un dispositif sécurisant, mais pour les chargeurs, l'écotaxe se traduit en une simple taxe sur les prestations de transport, comme si avait été créé un taux de TVA majoré sur l'activité transport.

L'entreprise Écomouv' qui a accompagné, et j'imagine conseillé, le gouvernement qui a édicté le décret du 6 mai 2012 et conduit à ces adaptations porte sa part de responsabilité. Ce qui faisait le coeur du contrat, qui tendait à faire payer les transporteurs, a été perdu de vue.

Deuxième observation, ce contrat comporte des clauses assez exorbitantes, puisqu'il prévoit une rémunération des fonds propres à hauteur de 17 %, à quoi s'ajoute un coût de prélèvement de 25 % - très au-delà des coûts de recouvrement par l'administration fiscale. Est-ce bien défendre les intérêts de l'Etat que de donner à une entreprise privée le pouvoir de percevoir une taxe à un tel coût ? Sans compter que toutes les péripéties qui ont entouré ce contrat, depuis les retards dans les équipements et leur installation, en passant par les négociations avec les transporteurs, qui ont retardé l'exécution du contrat, signé fin 2011, jusqu'à la remise en cause de son objet initial par le décret du 6 mai 2012 visant à répercuter la taxe sur les chargeurs, ont fait subir un préjudice considérable à l'intérêt général. On entend beaucoup parler, dans cette affaire, du préjudice subi par Écomouv'. J'indique que je ferai valoir aussi celui qu'ont subi l'Etat et les collectivités territoriales, qui ont besoin du produit de cette taxe pour engager leurs travaux. Il faudra clairement évaluer la responsabilité d'Écomouv' dans ces atermoiements.

L'entreprise, de surcroît, n'a pas été parfaitement opérationnelle. Il y a eu du retard dans les installations. On est là dans un système qui coûte avant de rapporter. Et il n'y a pas même de certitude sur le coût, puisque le contrat peut être révisé en fonction du coût réel et que le chiffre de départ, de 250 millions d'euros, a vite enflé. En regard de quoi on n'a aucune certitude quant au rendement. On est en droit de se demander s'il n'y a pas, là aussi, un déséquilibre.

Il semblerait également que les exigences de la loi informatique et libertés ne soient pas respectées, puisque tous les roulants seront enregistrés, même ceux qui ne sont pas soumis à la taxe, le départ entre les redevables et ceux qui ne le sont pas n'ayant lieu qu'ex post. Pourquoi ce problème que soulève la CNIL n'a-t-il pas été anticipé par l'entreprise, et quelle solution technique a-t-elle à proposer pour préserver la vie privée des citoyens ?

Je me demande si Écomouv' n'a pas proposé, au total, un système un peu magique : un taux de recouvrement de 99 %, que même nos services fiscaux, aussi performants soient-ils, peinent à atteindre ; des délais qui paraissaient particulièrement courts pour l'installation des équipements ; un rendement assuré par un dispositif technique qui semblait d'une grande simplicité alors que l'on découvre, in fine, qu'il est extrêmement complexe. Sans parler du mécanisme de répercussion qui dévoie le principe initial du pollueur-payeur.

Je me suis interrogée, enfin, sur la sensibilité de l'opinion à ces portiques. Pour constater que ce mobilier, tout de même assez agressif, ne donnait pas lieu à délivrance d'un permis de construire. C'est ainsi que l'on en a vu tout à coup apparaître, dans certaines communes, sans que le maire soit même informé. Quand les citoyens constatent qu'ils doivent demander un permis de construire pour modifier une façade ou installer une clôture, tandis qu'aucune formalité n'est exigée pour installer ces portiques, qui ne sont pas anodins dans le paysage, qui enregistrent tout ce qui passe dessous et dont la raison d'être exigerait bien des explications, on peut comprendre que certaines réactions locales aient été très vives à l'encontre de ces objets non identifiés qui faisaient ainsi leur apparition.

Tels sont, pour moi, les éléments d'appréciation de ce dispositif. La question est maintenant de savoir que faire. Je n'ai pas de solution miracle, je ne suis pas Écomouv', et j'attends beaucoup de vos investigations et des éclairages que vous pourrez, comme l'Assemblée nationale, nous apporter.

Certaines des pistes que l'on a entendu évoquer me semblent, cependant, poser un problème de conformité à la Constitution. L'idée d'exclure totalement certaines régions, comme la Bretagne, du dispositif, ne contredit-elle pas le principe d'égalité devant l'impôt ? On a également parlé d'une prise en compte des spécificités agricoles : c'est là une piste qui me paraît fort complexe et pourrait donner lieu à contentieux, car comment définir quels producteurs doivent être exonérés ? La répercussion « en pied de facture » jusqu'aux grandes et moyennes surfaces (GMS) ne résoudra pas le problème, parce qu'elle sera facultative. Quant à l'idée d'une régionalisation, elle commence à soulever des inquiétudes quant au volet mobilité des contrats de plan Etat-régions, qui exige de la péréquation et de l'équité dans la répartition de cette taxe.

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