Le projet de taxe poids lourds a vu le jour en Alsace du fait de l'entrée en vigueur en Allemagne le 1er janvier 2005 de la Lkw Maut, taxe qui a entraîné un report de trafic sur le réseau routier français. Initialement, la douane n'a pas participé à l'instauration en Alsace de la taxe expérimentale, créée dans le code des douanes par un amendement d'origine parlementaire à la loi du 5 janvier 2006 qui avait été adopté contre l'avis du Gouvernement. Depuis, notre avis a été sollicité sur les principes de la taxe, la mise en oeuvre des dispositions fiscales de collecte et de contrôle, les modalités et les outils de contrôle et le contrôle du prestataire commissionné.
La douane a été associée aux travaux préparatoires pour mettre en place la taxe en mai 2006. Elle a participé aux travaux législatifs sur la modification de l'expérimentation alsacienne, qui ont abouti dans la loi de finances rectificative pour 2006. Les différents travaux, au cours de l'année 2006, portaient sur le choix de l'externalisation. Des discussions ont eu lieu pour étendre l'expérimentation alsacienne à l'ensemble du territoire : s'agissait-il d'une taxe ou d'une redevance en droit français, alors qu'au sens communautaire, il s'agit dans tous les cas d'un péage ? La direction de la législation fiscale et la direction des affaires juridiques de Bercy ont rapidement conclu qu'il ne pouvait s'agir que d'une taxe, car seuls les véhicules de transports de marchandises y sont assujettis et le produit de la perception n'est pas affecté exclusivement à l'entretien des routes.
Dès lors qu'il s'agissait d'une taxe, pouvait-on confier sa collecte à un prestataire externe ? Pour le faire en interne, il aurait fallu des moyens et des effectifs que la douane ne possédait pas. Cette difficulté a été signalée dès 2006 au ministre du budget lors de l'expérimentation en Alsace. Elle était décuplée pour une application nationale.
L'interopérabilité des systèmes de télépéage routiers communautaires adoptée en 2004 et applicable à partir de 2007 pour tout nouveau dispositif de péage s'imposait à nous, alors que les Allemands y avaient échappé. Avoir un dispositif interopérable imposait de fortes contraintes juridiques et techniques. Ainsi, un contrat doit être signé entre le percepteur de péage (la douane) et chaque prestataire de service européen de télépéage (SET) - en France, nous parlons de sociétés habilitées fournissant un service de télépéage (SHT). La nature du contrat entre la douane et des sociétés privées installées dans les divers pays européens posait également de grandes interrogations et difficultés. Quel droit et quelle juridiction devaient être retenus ? Comment contrôler la bonne exécution des contrats dans un autre État membre ? La multiplicité des contrats entraînait une dispersion des garanties de paiements. Le contrôle sur la perception de la taxe n'était pas non plus assuré. En effet, en application de la directive interopérabilité, il appartient à la SHT, ou à la SET, d'établir la liquidation de la taxe. Or les SHT ne sont pas nécessairement établies en France et la douane n'a aucun pouvoir de contrôle en dehors des frontières nationales.
Pour la douane, il était indispensable de désigner un interlocuteur unique faisant l'interface avec tous les sous-traitants afin d'éviter les dissolutions et les reports de responsabilité entre les prestataires - c'est un point fondamental du dispositif avec le prestataire.
Le périmètre de ces missions restait à définir. Il fallait donc s'assurer au préalable que l'externalisation était juridiquement possible. Par une lettre que j'ai signée en avril 2007, la direction du budget a demandé l'avis de la direction des affaires juridiques et de la direction de la législation fiscale. Suite à leur réponse favorable émise en juillet 2007, mais sous certaines conditions, le Conseil d'État a ensuite été saisi pour avis sur l'externalisation en novembre 2007. La section des finances a rendu un avis fondamental et fondateur sur le dispositif le 11 décembre 2007 : aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé les missions de collecte et de recouvrement, sous réserve que cet organisme soit placé sous le contrôle de l'État, que soient constituées des garanties de reversement des sommes facturées et que l'exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables ; en revanche, les missions purement régaliennes (recouvrement forcé, contrôle physique, sanctions) relèvent exclusivement de l'État.
La douane a ensuite participé aux discussions sur le choix d'un contrat de PPP, ainsi qu'au benchmark dans les différents pays, et les équipes ont poursuivi leurs travaux en Allemagne, en Autriche, en République Tchèque et en Suisse, pays qui avaient déjà mis en place des dispositifs de télépéage. La douane a contribué à l'évaluation préalable de différents montages contractuels. La maîtrise d'ouvrage publique dans le cadre d'un marché public global était la seule alternative possible puisque le marché alloti a été écarté compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs qu'il aurait fallu mobiliser. La délégation de service public a été également rapidement mise de côté, le critère de rémunération lié aux résultats d'exploitation n'étant pas cohérent avec le dispositif. Le contrat de partenariat reposant sur l'article 2 de l'ordonnance du 17 juin 2004 a donc été choisi, car ces contrats ne peuvent être conclus que si, au regard de l'évaluation, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n'est pas en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet. Compte tenu de la complexité du projet, il apparaissait difficile de déterminer a priori et de manière définitive les besoins. Le critère de complexité technique pouvait être assez légitimement invoqué, en raison de la nature, de l'envergure du projet et de son caractère novateur. En outre, le réseau taxable était important et très hétérogène, et l'État ne disposait pas de réelle base de comparaison par rapport à d'autres dispositifs installés en France. Le réseau allemand étant composé presque exclusivement d'autoroutes, l'identification du linéaire est un peu plus simple. Enfin, le projet se devait de rester technologiquement neutre lors de l'appel à candidature, il était donc ouvert tant aux solutions satellitaires qu'aux ondes de courte portée, dites DSRC.
Une complexité également juridique, puisque le montage juridique et financier pouvait être fortement influencé par la solution technologique proposée par les candidats. En outre, les relations juridiques entre le prestataire et les SHT n'étant pas encore définies précisément, elles devaient être précisées lors du dialogue compétitif, préalable indispensable à la définition plus fine des besoins de l'État d'un point de vue technique et juridique.
Les ministères du budget et de l'environnement ont ainsi saisi la mission d'appui aux PPP (Mappp) qui a émis un avis favorable le 12 février 2009, conformément à l'article premier de l'ordonnance de 2004.
Les douanes ont également participé à la rédaction de l'article 153 de la loi de finances initiale pour 2009 qui a instauré le dispositif de taxe poids lourds en France. Le vice-président du Conseil d'État, conscient de l'importance de la décision d'externalisation, a demandé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009, au Conseil d'État, un vote solennel de son assemblée générale. Les débats ont été serrés, mais le vote a été positif.
Une réunion interministérielle du 13 février 2009 avait décidé de confier la procédure de dévolution du contrat au ministère de l'écologie représenté par la DGITM, mais elle avait précisé que la DGDDI devait être étroitement associée à toutes les phases de la procédure dans la mesure où il lui appartiendrait de mettre en oeuvre la collecte et le contrôle de la taxe. Le pilotage de la procédure a été confié à un directeur de projet choisi par les deux directeurs généraux : M. Antoine Maucorps est rattaché formellement au ministère des transports ; il est également le chef de la mission de la tarification au sein de la DGITM. Il est assisté de deux adjoints, M. Olivier Quoy représentant la DGITM, et Mme Anny Corail, responsable de la mission taxe poids lourds de la douane (MTPL) à la DGDDI. Cette mission relève du sous-directeur chargé des droits indirects et elle est exclusivement dédiée au projet. Chargée du pilotage et de la coordination de tous les travaux menés pour la mise en oeuvre de la taxe poids lourds, elle s'appuie sur l'expertise ponctuelle des services juridiques et informatiques de la douane. Il s'agit bien d'un projet transversal. Un comité directeur « taxe poids lourds », interne à la direction générale, réunit les services de la douane en tant que de besoin.
Des cabinets de conseil ont assisté l'équipe projet (sur des sujets techniques, financiers et juridiques) avant la signature, depuis lors, elle est assistée par Cap Gemini. Les échanges dématérialisés entre ces différentes entités ont été cryptés jusqu'à la signature du contrat. Au-delà du secret professionnel prévu à l'article 59 bis du code des douanes, tous les agents ayant participé à la procédure ont signé un engagement de confidentialité.
La douane a participé à chacune des phases de la procédure. Lors de la rédaction de l'avis d'appel public à concurrence, lancé en mai 2009, elle a été entendue sur la modulation des critères, notamment pour obtenir une pondération plus importante du coût global de l'offre. Elle s'est également prononcée lors de la rédaction des spécifications de l'État, de l'élaboration du programme fonctionnel et d'une partie du contrat de partenariat, en particulier sur les aspects relatifs à la collecte de la taxe. Durant le dialogue compétitif, elle a répondu aux questions des candidats sur la collecte et sur le contrôle et participé à toutes les auditions des candidats ainsi qu'à l'évaluation des offres des candidats sur les éléments impactant directement la collecte ou le contrôle de la taxe. Elle a examiné les critères relatifs à la qualité technique du projet et s'est penchée sur la partie garantie fiscale du critère de solidité financière. Enfin, un représentant de la douane a siégé à la commission consultative instituée pour suivre les étapes importantes de la procédure. Cette commission était présidée par un membre du Conseil d'État, M. Roland Peylet, président adjoint de la section des travaux publics : la DGITM y était représentée par des adjoints du directeur général, la DGDDI par l'adjoint du directeur général de la douane. Des représentants de la DGCCRF, du Budget et de la MAPPP participaient également à cette commission.
La douane voulait s'assurer que les conditions fixées par le Conseil d'État pour l'externalisation des missions de collecte étaient pleinement respectées. Nos demandes de modification ont été prises en compte, parfois après des échanges un peu longs. La rédaction à laquelle nous avons abouti a été globalement satisfaisante. Ainsi en a-t-il été des modalités de délégation des missions de collecte et de contrôle qui constituent la spécificité de ce contrat.
Dès le départ, la douane a voulu concilier deux enjeux différents : ce contrat de partenariat public-privé (CPPP), signé pour le compte du ministre de l'écologie, implique une responsabilité importante pour le titulaire du contrat qui est à la fois maître d'ouvrage et maître d'oeuvre. Ce CPPP suppose également un montage financier spécifique : la société contractante est une SPV (special purpose vehicle), société ad hoc sans aucune responsabilité financière et sans effectifs. Ses missions sont toutes déléguées à des sous-traitants qui supportent les responsabilités correspondantes. Enfin, ce CPPP était signé avec une administration autre que celle chargée de la collecte de la taxe et du contrôle du prestataire chargé de ces missions. L'autre enjeu de ce contrat était de mettre en place une commission, décision unilatérale du ministre du budget, délivrée pour couvrir les missions de collecte et de contrôle déléguées afin de garantir la sécurité du dispositif de délégation.
Il était indispensable d'encadrer le dispositif et de fixer des règles de fonctionnement qui pouvaient même aller à l'encontre des principes habituels d'un CPPP. Aussi, après de nombreux échanges avec la DGITM, avec les candidats, après les avis juridiques de la DLF et de la DAJ de Bercy, des discussions avec le pré-rapporteur spécialement désigné par le Conseil d'État pour établir le décret relatif au commissionnement du prestataire privé, après différentes réunions interministérielles, notamment un arbitrage rendu le 4 mai 2010, des précisions importantes ont été apportées aux spécifications de l'État. Il ne s'agit pas à proprement parler de modifications, car cela correspond bien au schéma initial de la douane. En revanche, face aux questions et aux multiples difficultés des candidats, l'État, après avoir tenté d'assouplir ses exigences, ce qui n'a pas été possible compte tenu de l'avis du Conseil d'État, a dû préciser ses spécifications. Ainsi, le périmètre des missions commissionnées a été défini de manière aussi précise que possible. De même, toutes les missions commissionnées devront être réalisées directement et personnellement par la SPV, elles ne pourront pas être renvoyées à d'autres prestataires, les missions confiées ne pourront pas être déléguées, les sites d'exploitation devront être localisés en France, toute personne susceptible de traiter des données personnelles collectées par le dispositif sera comprise dans le personnel agréé par la douane. Ces précisions se sont traduites par la modification du programme fonctionnel : les spécifications relatives aux missions commissionnées ont été remplacées par des instructions précises, intégrées en annexe du contrat.
La loi a été modifiée à plusieurs reprises, et les dispositions concernant la collecte et le contrôle ont été intégrées dans quatre décrets et dix arrêtés. La douane a révisé ou diminué un certain nombre de ses exigences : les échanges avec les candidats ayant démontré que la garantie attendue du prestataire s'agissant de la collecte de recettes, initialement fixée à trois mois, impactait trop fortement le financement du dispositif, partant son coût, elle a été ramenée à un mois.
Le contrat a été signé le 20 octobre 2011 : le cadre juridique a été rédigé en commun par les deux missions (16 décrets publiés, 2 en cours ; 20 arrêtés publiés, 4 en cours). Les travaux menés avec Écomouv' ont été pilotés en fonction des compétences des deux administrations. La MTPL, en liaison avec les autres bureaux, a assuré le pilotage des ateliers de travail avec Écomouv' pour mettre en oeuvre les dispositifs de collecte et de contrôle de la taxe, la définition des outils mis à disposition des agents chargés du contrôle, la détermination des flux échangés entre la douane et Écomouv' (définition des interfaces, des données, du format...).
La MTPL a également participé à l'analyse des documents techniques du dispositif en reprenant les spécifications fonctionnelles générales et détaillées et les procédures opérationnelles. Elle a validé les documents échangés avec les redevables en collaboration avec la mission de la tarification de la DGITN. Elle a participé aux tests de vérification d'aptitude au bon fonctionnement (VABF) et à l'analyse des résultats des tests de vérification de service régulier (VSR).
Le suivi des travaux d'Écomouv' a été réalisé en commun avec un comité d'avancement qui s'est réuni toutes les deux semaines puis à un rythme hebdomadaire au moment des VABF. Régulièrement, des revues de projets ont été dirigées par les deux directeurs généraux et le président d'Autostrade. Pendant ce temps, les travaux menés avec les autres administrations ont également été pilotés par la MTPL : définition des modalités communes de constatation des infractions, notamment pour les autorités de contrôle ; création et informatisation d'un procès-verbal commun ; travaux avec la chancellerie pour la définition des modalités de traitement des poursuites judiciaires par voie d'ordonnance pénale ; définition avec la DGFIP des circuits particuliers d'attribution du produit de la taxe aux collectivités territoriales et de remboursement aux redevables. Ces travaux ont été complétés par ceux qui se sont poursuivis à la DGDDI pour déterminer les besoins en effectifs et moyens, mais aussi les procédures métiers internes à la douane, la création et la mise en place d'un service spécialisé à Metz, des développements informatiques divers, la formation de tous les agents concernés.
Le suivi de la procédure de dévolution et de la construction du dispositif a mobilisé depuis 2009 la MTPL, qui est composée de sept agents, et qui a été soutenue, en fonction des besoins, par des représentants d'autres bureaux en interne à la douane mais aussi par des formateurs de l'Ecole nationale des douanes (dix agents pendant un an). En outre, des équipes, dans les centres informatiques douaniers, ont élaboré en 2013 six télé-services et deux modules.
Lorsque la taxe sera en place, les effectifs de la douane assureront l'exercice des missions régaliennes (recouvrement de la taxe, traitement du contentieux, recouvrement forcé, contrôle du prestataire commissionné, contrôles manuels). La douane a souhaité créer un service centralisé pour le suivi de la taxe. Elle a rapidement admis qu'il était difficile d'en rester à sa structure régionale (quarante chefs de services comptables et quarante directeurs régionaux) alors que le prestataire de service assurerait une gestion centralisée. La liquidation est réalisée par position tarifaire et les constats peuvent être établis sur les dispositifs de contrôle fixes ou déplaçables répartis sur tout le territoire. Le service unique et centralisé est constitué d'environ 130 agents. Des vacations dédiées dans les brigades de surveillance seront réparties sur les brigades les mieux situées pour réaliser les contrôles dans les zones de stationnement appropriées pour ne pas gêner la circulation et assurer la sécurité des agents. Les contrôles prévus sont évalués à 1 % du trafic : 170 agents ont été attribués à ces brigades.
Les différentes phases du contrat ont fait l'objet d'un suivi régulier en revue de projet : la VABF a été effectuée dans un délai raisonnable eu égard à la complexité du dispositif : environ 1 300 tests ont été réalisés lors des trois VABF.