Intervention de Frédéric Marty

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition conjointe de Mm. François Lichère professeur de droit et frédéric marty économiste

Frédéric Marty, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice :

économiste, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice. - Pas plus que M. Lichère, je n'ai eu accès au contrat lui-même. Je me fonderai donc moi aussi sur des données publiques. Il est indubitable que c'est la complexité de l'opération qui explique le recours au PPP : il s'agit d'une mission globale, sur un service innovant, qui requiert la mise en place d'un protocole d'interface, une interopérabilité, la minimisation du taux de fraude... Il n'est pas certain que les services de l'État auraient été en mesure de produire un cahier des charges détaillé.

Quelques problèmes subsistent. Il s'agit d'un contrat dérogatoire, le Conseil constitutionnel exige donc un examen des voies alternatives. Or, la seule voie alternative qui a été examinée est une mission globale, et non une succession de contrats. Nous ne pouvons donc pas savoir si la dissociation des phases de conception, construction et exploitation aurait présenté un intérêt pour l'État. Ce contrat porte, ce qui est possible mais assez rare pour un PPP, sur un service, qui est de surcroît un service technologique complexe, innovant et évolutif. Rares sont les contrats de PPP portant sur ce type de service : l'opération RDIP-Air (réseaux de desserte Internet Protocol des bases de l'armée de l'Air) pour la DGA, la vidéo-protection pour la préfecture de police de Paris... D'un point de vue économique, le choix contraint d'une maturité courte est problématique. Pour de tels montants d'investissement, une maturité plus longue aurait été logique et aurait fait diminuer les loyers. Mais plus la technologie est évolutive, plus il est risqué de contracter sur le long terme : un contrat technologique dure rarement plus de dix ou quinze ans, avec des loyers assez élevés, donc. Si l'on avait passé un contrat sur une plus longue durée, la somme actualisée des loyers à verser aurait été plus importante, car les frais financiers auraient été plus importants. Le mécanisme des clauses d'indexation aurait aussi accru le niveau des loyers d'exploitation. Dans un contrat court, les loyers sont plus élevés. Il y a toujours un arbitrage à opérer.

La question de la mise en concurrence par le marché public doit être traitée en prenant en considération le nombre d'entreprises susceptibles de répondre à l'appel d'offre : moins elles sont nombreuses, moins il faut espérer une minimisation du coût d'acquisition. En l'espèce, la complexité du service était telle que peu d'entreprises pouvaient répondre.

En France, peu de PPP portent sur ce type de service de haute technologie, mais ils ont été plus nombreux au Royaume-Uni, surtout au cours des dix dernières années, où des private finance initiatives ont porté sur la fabrication des passeports ou l'informatisation des tribunaux... Chaque fois, les résultats ont été plutôt négatifs : économies budgétaires faibles, retards et, dans certains cas, échecs. Ce n'est pas parce qu'une administration ne sait pas faire qu'une entreprise le saura automatiquement mieux. Les rapports faits par l'office d'évaluation des choix technologiques du Parlement ou par le Trésor britannique recommandent donc des contrats de court terme relativement flexibles. La capacité de la personne publique à évaluer les offres est déterminante, ainsi que son aptitude à accompagner le contrat en surveillant le prestataire et, à terme, en remettant le contrat en concurrence ou en internalisant la gestion.

Un PPP est-il adapté à un service de recouvrement des taxes ? Cela rappelle les fermes générales sous l'Ancien Régime... Mais la situation est différente. Les revenus de la société gestionnaire ne sont pas liés aux taxes perçues mais à la disponibilité du système, à sa performance et à la qualité du service. Ainsi, plus le produit de la taxe est élevé, moins la part relative du coût de gestion l'est. Il existe des PPP pour des fonctions-support de missions régaliennes, dans la défense ou la vidéo-protection.

La gestion dans le temps du PPP pose le problème de l'évolution de la définition du service attendu par la personne publique. Les technologies évoluent aussi, et peuvent être dépassées. La personne publique doit pouvoir gérer les différends et prendre en compte les interdépendances. Les paiements doivent commencer lors de la mise à disposition des actifs.

Comment apprécier la rémunération du consortium privé ? Le coût de collecte semble important, puisqu'il représente 20 % du montant de la taxe. En Allemagne, il est de 15 % environ - mais il atteint 40 % en République Tchèque. En principe, le coût de collecte d'une taxe est compris entre 5 % et 10 % : généralement le coût d'opportunité des fonds publics est estimé à 20 %, mais ce chiffre comprend aussi les effets de distorsion et d'éviction de l'impôt. Pourquoi avons-nous un taux supérieur au taux allemand ? La technologie est différente : le système allemand ne satisfait pas l'exigence européenne d'interopérabilité. L'assiette n'est pas la même : les Allemands taxent essentiellement 13 000 kilomètres d'autoroutes, puisqu'elles sont pour la plupart gratuites. En France, le réseau non concédé taxable est plus étendu, 5 000 kilomètres de routes départementales et 10 000 kilomètres de routes nationales, sur lesquelles le trafic de poids lourds est moindre : l'assiette de la taxe est donc plus faible, ce qui renchérit le coût de collecte. Il est donc difficile de dire si le taux de 20 % est excessif, mais il est normal qu'il soit supérieur à ce qu'il est en Allemagne.

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