Intervention de Jean-Paul Faugère

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 9 avril 2014 à 15h45
Audition de M. Jean-Paul Faugère conseiller d'état directeur de cabinet du premier ministre du 25 mai 2007 au 10 mai 2012

Jean-Paul Faugère, conseiller d'État, ancien directeur de cabinet du Premier ministre :

Je vais vous présenter les souvenirs personnels que j'ai de ce dossier, même si je ne suis pas le plus compétent pour répondre à vos questions. Car de ce dossier très technique, je n'ai vu que les grandes lignes - à Matignon, il était sur le fond suivi par le conseiller en charge du développement durable et par celui en charge du budget. Je me réfèrerai plus à mes impressions personnelles qu'à des données formelles et administratives.

Avant mon arrivée à Matignon, j'ai été préfet de la région Alsace de 2005 à 2007. À l'époque commençait à s'appliquer la LKW-Maut en Allemagne : je me souviens des réactions des Alsaciens, quand ils ont, du jour au lendemain, vu défiler les camions étrangers sur les autoroutes alsaciennes - gratuites. Celles-ci étaient déjà saturées. Les problèmes se sont accumulés, de sécurité routière, de qualité de l'air - d'autant que l'autoroute A35 traverse presque Strasbourg - ainsi que de nuisances sonores et de dégradation des chaussées.

Les élus alsaciens ont très vite voulu une fiscalité dédiée. Comme préfet, j'ai dû expliquer qu'il était très difficile de ne taxer que les étrangers... Les autorités européennes y auraient vu une provocation ! Les élus locaux prétendaient en outre au produit intégral de la taxe pour leurs collectivités. Là encore, j'ai dû tempérer les enthousiasmes. Quoi qu'il en soit, fin 2005, un amendement a été présenté par les parlementaires alsaciens et voté.

Durant toute l'année 2006, l'administration n'a rien fait car elle ne savait comment s'y prendre pour mettre en oeuvre cette initiative parlementaire qu'elle n'avait pas anticipée : plus elle creusait le sujet, moins elle était à même de répondre. Avec le nouveau quinquennat, le Grenelle a été lancé et le ministère en charge du développement durable a repris l'idée d'une fiscalité écologique - qui comporte fondamentalement une ambiguïté entre l'objectif de rendement et celui d'évolution des comportements.

À l'issue du Grenelle, trois mesures concrètes ont été prises : le bonus-malus automobile, que le ministère aurait voulu étendre à d'autres biens de consommation ; la contribution climat-énergie, à savoir la taxe carbone qui a eu le devenir que l'on sait ; enfin, l'écotaxe poids-lourds. Il y avait donc une logique politique, confortée par les conclusions du Grenelle. À quoi s'ajoutait l'impasse budgétaire concernant le financement des infrastructures : cette taxe offrait une solution merveilleuse !

La réflexion sur les modalités, marché classique ou PPP, a été rapide : l'administration, perplexe face à l'ampleur et la complexité du projet, ne se sentait pas à même de le mener à bien dans un délai suffisamment court pour alimenter le budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), gravement déficitaire.

Compte tenu de l'avis favorable du Conseil d'État sur la possibilité d'externaliser la perception et la mise en oeuvre de l'écotaxe, la décision a été assez rapide : la Mappp a souligné que la complexité du projet, l'incertitude sur les choix technologiques, l'ampleur du système informatique, justifiaient naturellement un PPP. Une contrainte juridique a également pesé : compte tenu des directives européennes qui interdisent toute entrave à la libre circulation des marchandises, le système utilisé par les poids lourds devait être interopérable. Enfin, la procédure de PPP comporte une phase de dialogue compétitif, grâce auquel l'administration pourrait comprendre les technologies proposées et décider en toute connaissance de cause. Les expériences des autres pays démontraient la complexité d'une telle écotaxe : son installation en l'Allemagne et l'Autriche avait été laborieuse.

Au-delà des aspects techniques, l'administration ne disposait pas d'un budget d'investissement suffisant ; les PPP ont un coût, mais la charge est étalée dans le temps. En outre, l'administration n'avait pas les moyens humains pour mener à bien un tel projet, ni pour en assurer la maintenance.

Malheureusement, il y eut bien des avatars dans la gestion de ce dossier. D'abord, il s'agissait bien d'un impôt et non d'une redevance puisque les sommes perçues n'étaient pas affectées au réseau autoroutier visé. La loi devait être extrêmement précise, nous avons dû y revenir à plusieurs reprises. Et il y a eu le problème breton : certains des élus de la majorité d'alors se sont montrés particulièrement présents, des négociations à répétition ont eu lieu avec eux et nous avons dû procéder à deux ajustements pour arriver à un compromis, à 40 % puis 50 %. Il fallait leur faire comprendre qu'une exonération totale était impensable sauf à méconnaître le principe d'égalité devant l'impôt. En outre, la variation devait s'inscrire dans les limites autorisées par le droit communautaire au titre des régions périphériques.

Enfin, nous avons dû traiter de la répercussion du coût en pied de facture : on ne pouvait imposer à des transporteurs ayant déjà signé des contrats de supporter un coût supplémentaire. Il a fallu recourir à des dispositions législatives. Puis nous avons dû faire face à un contentieux : le tribunal administratif s'est prononcé en notre défaveur, mais sa position a été infirmée par le Conseil d'État.

Quel a été le rôle de Matignon ? Je n'ai pas suivi ce dossier au jour le jour mais des réunions interministérielles ont régulièrement eu lieu à Matignon sous la présidence des conseillers au développement durable et au budget. Il s'agissait de suivre la mise en oeuvre d'une décision politique actée dans le cadre du Grenelle, vérifier que la procédure se déroulait normalement, sans faille juridique - c'était une obsession alors. Une rumeur s'est répandue quand Médiapart s'est interrogé sur d'éventuelles influences lors du choix du co-contractant. Le Premier ministre a reçu une lettre de la Sanef l'alertant sur le déroulement de la procédure. Matignon n'était pas en charge de l'attribution du contrat, mais le doute véhiculé par ces rumeurs était une musique désagréable aux oreilles du Premier ministre. Pour y mettre un terme, j'ai reçu les représentants de la Sanef pour entendre ce qu'ils avaient à dire : ils m'ont seulement présenté un plaidoyer classique en faveur de leur dossier et ont fait valoir une sorte de préférence nationale. Je les ai renvoyés vers le ministre qui était leur interlocuteur naturel.

Je me suis ensuite assuré que la procédure avait été strictement respectée - à ma demande, le Secrétariat général du Gouvernement a présenté son appréciation juridique. J'avais le sentiment que ce dossier avait trop traîné, j'ai demandé des résultats rapides aux cabinets des ministres concernés. Notre plan de financement pour l'Afitf incluait une recette d'écotaxe à partir de 2011 ou 2012. Cette recette allait manifestement manquer, ce n'était pas satisfaisant...

La question du coût a été régulièrement évoquée. La formule du PPP est nominalement coûteuse, le partenaire privé prélevant sa marge bénéficiaire. Dans le cadre juridique choisi, aurait-on pu faire mieux ? La comparaison avec les autres offres et les autres pays m'a démontré qu'il n'en était rien. Soit dit en passant, la comparaison avec l'Allemagne doit prendre en compte les différences de système entre nos deux pays : le tarif au kilomètre n'est pas le même ; le système français est interopérable ; l'amortissement des coûts fixes en Allemagne porte sur une masse bien plus importante ; et tandis nous taxons des nationales, des départementales et quelques autoroutes gratuites, l'écotaxe allemande touche l'ensemble des autoroutes.

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