Intervention de Roland Peylet

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 5 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Roland Peylet conseiller d'état président de la commission consultative créée par le décret du 30 mars 2009

Roland Peylet, conseiller d'État, président de la commission consultative :

Tout d'abord, je voudrais vous donner quelques éléments sur le contexte de la mise en place de cette commission consultative. En 2006, le Parlement a instauré par amendement, contre l'avis du Gouvernement, une taxe expérimentale sur les poids lourds en Alsace pour tenter de mettre un terme au report de trafic des poids lourds en transit sur le réseau routier alsacien et lorrain à la suite de l'instauration, en Allemagne, de la LKW-Maut, s'appliquant aux poids lourds d'au moins 12 tonnes et circulant sur le réseau autoroutier fédéral. Le dispositif de cet amendement n'avait pas été soumis à l'avis du Conseil d'État. Il n'y a pas eu non plus de recours devant le Conseil constitutionnel. L'article 27 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a inséré à cet effet un article 285 septies dans le code des douanes, rapidement modifié par l'article 118 de la loi de finances rectificative pour 2006 du 30 décembre 2006 prévoyant notamment l'intervention d'un prestataire privé pour l'établissement de l'assiette de la taxe. Ainsi, c'est dès cette loi de finances du 30 décembre 2006 qu'est prévue l'intervention d'un prestataire mais dont les missions n'étaient pas aussi étendues que celles prévues par la suite. On peut penser que c'est en raison des difficultés prévisibles de recouvrement d'une taxe de cette nature que le Gouvernement avait donné un avis défavorable à l'amendement instituant son expérimentation en Alsace.

Le Gouvernement, souhaitant étendre la taxe à l'ensemble du territoire, a demandé au Conseil d'État un avis, portant notamment sur la possibilité de confier à un prestataire privé, sous le contrôle de l'État, non seulement la conception, la réalisation et la gestion des moyens électroniques de télépéage, mais aussi l'établissement de l'assiette de la taxe, sa liquidation et son recouvrement. L'avis de la section des finances du Conseil d'Etat du 11 décembre 2007 indique que « Aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé la mission de réaliser les prestations de collecte des éléments d'assiette, de liquidation et de recouvrement de la taxe « poids lourds», sous réserve que cet organisme soit placé dans cette mesure sous le contrôle de l'État, que soient constituées des garanties de nature à assurer le reversement intégral des sommes facturées et que l'exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables appropriées ». La nature fiscale du prélèvement n'a jamais fait de doute pour personne.

La voie était ainsi ouverte à la généralisation du dispositif, ce qui fut fait avec l'article 153 de la loi de finances pour 2009 maintenant le dispositif alsacien qui sera abrogé seulement par la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transport. Le dispositif national forme le chapitre II du titre X du code des douanes (articles 269 à 283 quinquies). Le III de cet article, modifié par la loi de finances rectificative pour 2012, a autorisé l'État à confier à un prestataire privé l'exercice, sous son contrôle et dans le cadre fixé par l'avis du 11 décembre 2007, l'essentiel des tâches de recouvrement. Les technologies envisagées, conformément à la directive 2004/50/CE du 29 avril 2004 concernant l'interopérabilité des systèmes de télépéage routier étaient soit celle des ondes courtes soit la technologie satellitaire. Dans les deux cas, le système exige des équipements embarqués à bord des véhicules, plus coûteux avec la technologie satellitaire, laquelle en revanche n'impose pas la réalisation de portiques ou de potences.

C'est là qu'est intervenue la commission consultative que j'ai été amené à présider, dont le Gouvernement a décidé la mise en place par le décret du 30 mars 2009 relatif aux modalités d'application du III de l'article 153 de la loi de finances rectificative pour 2009. Nul texte n'obligeait le Gouvernement à créer cette commission consultative. Il l'a souhaité et le Conseil d'État n'avait rien trouvé à redire sur ce sujet. Les missions de cette commission, selon l'article 2 du décret, consistaient à donner un avis, d'une part, sur la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat que devait conclure, selon la loi, le ministre chargé des transports - ces missions sont obligatoires - et, d'autre part, sur toute question relative au déroulement de la procédure et sur les dossiers présentés - il s'agit de missions facultatives. Rien ne s'opposant à la création d'une telle commission, le décret n'a pas reçu d'objection de la part du Conseil d'État qui, toutefois, a disjoint l'article soumettant le contrat lui-même à l'approbation de la commission, dès lors qu'elle avait un rôle consultatif. La nature du contrat n'était alors pas précisée parce que, peut-être, le Gouvernement ne souhaitait pas soumettre à l'avis du Conseil d'Etat cette question. Il n'avait d'ailleurs pas à le faire. Cependant, le Gouvernement avait sans doute déjà décidé de conclure un contrat de partenariat, ce que laisse sous-entendre la présence, au sein de la commission, d'un représentant de la Mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp).

La composition de cette commission, définie à l'article 3 du décret, comprenait : un président membre du Conseil d'État - j'ai été désigné par le vice-président du Conseil d'État - le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), le directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI), le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le directeur du budget, le président de la Mappp - ou leurs représentants. Son secrétariat était assuré par la DGITM. Il s'agissait donc d'une commission purement administrative et sa mission était à géométrie variable. Le ministre, qui pouvait lui soumettre toute question relative au déroulement de la procédure et aux dossiers présentés, n'a fait usage de cette faculté qu'une seule fois, pour l'élimination d'une offre ne répondant pas au cahier des charges, avant l'examen comparé des offres finales. Les membres de la commission ont pris un engagement de confidentialité.

Au total, le rôle de la commission est demeuré relativement modeste. Elle ne s'est réunie que trois fois : le 28 juillet 2009, pour le choix des candidats invités à participer au dialogue compétitif selon la procédure prévue par l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ; le 14 octobre 2010, pour statuer sur la recevabilité des offres finales - il s'agissait d'un avis facultatif de la commission ; le 13 décembre 2010, pour le classement des offres restant en lice. Chaque séance s'est déroulée en deux temps. D'abord, présentation, par la DGITM, des formalités accomplies et des analyses réalisées par ses services, en présence de ses conseils, puis délibération en présence des seules personnes chargées du secrétariat. Ont été remis à chaque fois aux membres de la commission un rapport écrit circonstancié comparant les candidatures puis les offres, ainsi qu'un document de synthèse sous forme de transparents pour le classement final. Les membres de la commission étaient tous présents lors de la première séance ; le représentant de la DGCCRF était absent lors des deux dernières, sans motif particulier. Les cinq candidats initiaux ont tous été admis à participer au dialogue compétitif, par décision ministérielle du 28 août 2009 - suivant en cela l'avis de la commission -, malgré les qualités techniques moindres de l'un d'eux que la commission n'a pas estimé suffisantes pour l'écarter. Il aurait fallu déclarer ce candidat dans l'incapacité de répondre au cahier des charges mais rien ne nous permettait d'aller jusque-là.

De longs mois ont passé ensuite pendant lesquels l'administration a conduit le dialogue compétitif - qui est une formalité assez longue dans le cadre d'un contrat de partenariat. Il a duré plus d'une année au cours de laquelle la commission n'a pas été sollicitée et n'a pas reçu d'information particulière. Lors de sa deuxième réunion - le 14 octobre 2010 -, elle a pris connaissance d'un rapport sur la complétude des offres finales - il ne s'agissait pas encore de classer les offres -. L'avis de la commission avait été demandé car l'administration pensait qu'il lui fallait éliminer l'un des candidats dont l'offre ne répondait pas aux spécifications du cahier des charges mais a souhaité recueillir l'avis de la commission pour y procéder. Ainsi, elle a constaté la renonciation à poursuivre du candidat A et l'insuffisance de l'offre du candidat E au regard des exigences du cahier des charges - elle a donc proposé de l'écarter. Il en restait trois en lice. Pour finir, la commission a reçu communication d'une analyse très fouillée des trois offres restantes, faisant application des critères fixés par l'ordonnance et le règlement de la consultation ce qui lui a permis de proposer, le 13 décembre 2010, un classement entre les trois offres, à l'issue d'une discussion critère par critère. Nous avons accepté les notes proposées par l'administration, sous réserve d'une légère modification d'une des notes de l'un des candidats, sans incidence sur le classement.

Pour rappel, cinq critères ont été examinés. Sur le coût global de l'offre (critère pondéré à 25 %) - à savoir la valeur actuelle nette des redevances demandées à l'État - le candidat en tête s'est montré nettement meilleur que les deux autres après uniformisation des modes de calcul, avec notamment la prise en compte des éléments fiscaux et des index de révision de prix. Je précise que le coût pour l'État était, dans les trois cas, supérieur à ce qui avait été estimé initialement. Le deuxième groupe de critère concernait la qualité technique du projet, comprenant la qualité globale des ouvrages, des équipements et des biens immatériels pour 30 %.,En troisième lieu, la robustesse du financement, y compris la solidité des garanties et le niveau des engagements éventuellement demandés à l'État (15 %). En quatrième lieu, le délai de mise en service du dispositif, la crédibilité des moyens proposés pour le respecter et les garanties associées proposées par le candidat (15 %) constitue un critère assez complexe à apprécier compte tenu des nombreux aléas présents sur les « chemins critiques » présentés par chaque candidat. Sur ces chemins critiques, il y avait un certain nombre de facteurs sur lesquels la probabilité devait être crédible. C'est sur ce point que la note du candidat en tête a été revue légèrement à la baisse en raison de quelques incertitudes dans la mesure où les délais annoncés dépendaient, dans une petite mesure, de l'attitude de l'État. Étaient également pris en compte des objectifs de performance, y compris en matière de développement durable, appréciés selon plusieurs indicateurs, ainsi que la crédibilité des moyens proposés pour les atteindre (10 %) et, enfin, la part du contrat confiée aux PME (5 %). Au total, l'offre de l'un des trois candidats se détachait nettement des deux autres.

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