Intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 11 février 2014 : 1ère réunion
Audition conjointe de Mm. Jean-Philippe Vachia président de la 4ème chambre de la cour des comptes françois-roger cazala conseiller-maître président de la section « transports » à la 7ème chambre de la cour des comptes vincent léna conseiller maître à la 4ème chambre de la cour des comptes nicolas brunner conseiller maître président de la chambre régionale des comptes de languedoc-roussillon et jacques schwartz président de section à la chambre régionale des comptes de champagne-ardenne lorraine

Photo de Marie-Hélène Des EsgaulxMarie-Hélène Des Esgaulx, présidente :

Nous entendrons conjointement MM. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes, François-Roger Cazala, conseiller maître, président de la section « transports » à la 7ème chambre de la Cour des comptes, Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes, Nicolas Brunner, conseiller maître, président de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, et Jacques Schwartz, président de section à la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, Lorraine. Ils nous diront quels enseignements tirer à l'issue du contrôle des partenariats public-privé (PPP), en prenant l'exemple des prisons, des hôpitaux et des PPP passés par les collectivités territoriales. Ils détailleront également l'impact des PPP sur le budget de l'État : rappelons qu'ils doivent être retracés hors-bilan en annexe du compte général de l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Philippe Vachia, François-Roger Cazala, Vincent Léna, Nicolas Brunner et Jacques Schwartz prêtent serment.

M. Jean-Philippe Vachia, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Notre délégation illustre la diversité des juridictions financières et de leurs travaux. La Cour des comptes s'intéresse aux PPP depuis bientôt dix ans, puisque dès 2006 le sujet figurait dans son rapport public thématique Garde et réinsertion-La gestion des prisons. Les juridictions financières se sont penchées sur certaines catégories de PPP à l'occasion de contrôles sectoriels, ainsi que sur le contrat de partenariat générique. Des textes ont institué des formes particulières de contrats de partenariat, comme la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 qui a créé les PPP dans le secteur pénitencier, l'ordonnance de 2003 qui en a créé d'autres dans le secteur hospitalier, ou bien encore l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales sur les baux emphytéotiques administratifs. Le contrat de partenariat générique a été défini, de façon plus restrictive que dans les textes spécifiques que j'évoquais, dans l'ordonnance du 17 juin 2004, modifiée en 2008 : c'est là que sont inscrites les trois conditions (non cumulatives) que sont l'urgence, la complexité et le bilan coût-avantage. Le PPP a fait l'objet de réserves d'interprétation de la part du Conseil constitutionnel, exprimées en 2003 et en 2008.

Les juridictions financières, chargées de vérifier le respect du principe constitutionnel de bon emploi des deniers publics, opèrent des contrôles a posteriori sur les PPP. Nous avons aujourd'hui un recul suffisant pour tirer quelques leçons.

Nous avons sur ces contrats, cinq catégories d'interrogations. D'abord la régularité de la procédure, même si c'est d'abord le juge administratif qui en est saisi, notamment lors des nombreux recours contentieux, comme actuellement dans l'affaire du Palais de justice de Paris. À ce titre, nous examinons par exemple la coexistence d'un contrat initial et de possibles avenants qui en modifient l'équilibre. Nos juridictions mesurent également l'efficacité du PPP sous deux aspects : l'ouvrage est-il livré dans les délais et répond-il bien aux prescriptions du cahier des charges ? L'exploitation et la maintenance sont-elles assurées selon les exigences imposées initialement ? L'appréciation du résultat ne pouvant se faire que dans la durée, l'administration prend un certain risque, qui doit être mesuré ; elle paye également le risque pris par le cocontractant. Nous évaluons aussi l'efficience du PPP : est-il le meilleur moyen d'atteindre le but recherché, au meilleur coût ? Des comparaisons sont nécessaires entre une construction ou une exploitation en partenariat et une solution en maîtrise d'ouvrage public et en service public direct. Autre aspect auquel nous nous intéressons : la soutenabilité budgétaire. Les dépenses d'investissement, de financement et d'exploitation ont un impact sur le budget de l'État dans la durée. Il y a un avantage au départ, mais un risque de rigidification des dépenses publiques à long terme. Enfin, la comptabilité nationale et générale de l'État doit refléter correctement les engagements pris, au bilan et au hors-bilan.

Nous allons illustrer ces interrogations dans trois secteurs étudiés par la Cour. Nous avons réalisé un rapport, demandé par la commission des finances du Sénat, sur les PPP pénitentiaires. Les PPP hospitaliers font l'objet de développements dans le rapport public annuel de la Cour, présenté ce jour au Sénat par le Premier président M. Didier Migaud. Enfin, une enquête est en cours sur les PPP des collectivités, dont nous pourrons vous dire quelques mots.

M. Vincent Léna, conseiller maître à la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Le rapport d'enquête, établi à la demande du Sénat au titre de l'article 58-2° de la LOLF, date de 2011 et n'a pas été actualisé, mais deux autres l'avaient précédé, en 2006 et en 2010. Le secteur pénitentiaire offre à la Cour, dans la durée, un champ d'observation privilégié des PPP. Car dès 1987, la loi Chalandon a autorisé le recours au privé pour la conception et la gestion de prisons. La sophistication croissante des contrats pilotés par le ministère de la justice a nécessité l'implication de l'Agence pour l'immobilier de la justice (Apij) qui, notamment, constitue les cahiers des charges.

Au regard de la grille d'analyse qui vous a été présentée, deux éléments ressortent qui concernent l'efficience de ces contrats et la soutenabilité budgétaire des PPP.

Les investigations menées en 2011 ont mis en évidence un recours très volontariste aux PPP. À partir de 2009 les engagements ont certes été comptabilisés au bilan et au hors-bilan de l'État, mais ces décisions de recours aux PPP répondaient à des arguments de nature budgétaire auxquels s'est ajoutée, depuis 2007, l'idée de contribuer à la relance de certains secteurs économiques prioritaires. La Cour des comptes a émis des critiques sur les évaluations préalables rendues obligatoires par l'ordonnance de 2004. La grille d'analyse de la Mission d'appui aux PPP (Mappp) quant au bilan économique a toujours privilégié - c'est compréhensible ! - le recours aux PPP, surévaluant le risque pris en charge par le secteur privé. L'efficacité du recours aux partenariats n'est pas contestable, le travail réalisé par les entreprises privées est bien fait, mais il n'est pas hors de portée d'une gestion publique. Quant à l'efficience, il est difficile de l'apprécier faute de référentiel pour comparer ces contrats avec une gestion entièrement publique.

La soutenabilité budgétaire des partenariats public-privé est au coeur du rapport de 2011, notamment à cause de la forte montée en puissance des crédits consacrés à la gestion déléguée à des entreprises privées, qui concerne de plus en plus de services, tels que la maintenance dans les maisons d'arrêt, ce qui a un effet d'éviction sur les crédits publics. La croissance exponentielle des crédits consacrés aux loyers des PPP fait peser un risque sur le budget, à moyen terme. En 2011, la Cour s'interrogeait sur la soutenabilité du nouveau programme immobilier, qui se traduira par une dépense multipliée par six d'ici 2017. Le programme a été gelé : sans doute est-ce un effet de cette alarme.

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