L'OTRE est une fédération patronale, représentative des PME à capitaux familiaux du transport routier, fondée en 2000. Elle a voulu dès sa création, s'inscrire dans une dimension européenne, répondant ainsi à la réalité du marché du transport routier français de marchandises, de par la situation de transit de notre pays.
Concernant le dossier de l'écotaxe, de la délégation de sa collecte et de sa gestion à la société privée Écomouv' pour laquelle vous avez souhaité nous entendre, l'OTRE a toujours eu une démarche constructive sur le projet d'une taxation visant au financement des infrastructures routières. Cet engagement avait une condition : une taxation à iso-fiscalité pour les entreprises de transport routier de marchandises nationales, devant permettre de réduire le différentiel de compétitivité entre les entreprises européennes et les entreprises françaises.
Tout au long des travaux menés sur la mise en place de l'écotaxe, nous avons alerté les pouvoirs publics sur les déviances des choix qui se formalisaient, avec d'un côté une taxation dont la collecte serait sous-traitée à une société privée et des prestataires mandatés, et, d'un autre, le principe d'une taxe dont le transporteur était le redevable, mais qu'il était autorisé à répercuter.
Une fois le choix du contrat de partenariat public-privé fait, la première erreur commise, à notre sens, a été d'écarter les représentants des futurs redevables de l'établissement du cahier des charges. En effet, les particularités de notre secteur et de ses multiples activités n'ont pas été efficacement identifiées à la source et ont contribué à la mise en place d'un système qui s'avère finalement totalement inadapté aux 36 000 entreprises du secteur et, plus globalement, aux propriétaires des quelque 500 000 poids lourds français.
Dès l'appel d'offres, l'OTRE s'est dite surprise de voir dans les candidats en lice une société qui avait dans ses actionnaires une entreprise publique appelée à être une des principales bénéficiaires des recettes de la taxe poids lourds, au nom du report modal, la SNCF, deuxième actionnaire du consortium Écomouv'.
S'agissant des candidats en lice, nous pensons que le choix s'est porté sur l'opérateur qui avait le moins d'expérience sur la mise en place d'un tel système. Ce sont donc les critères financiers qui ont prévalu par rapport aux critères techniques, qui doivent être selon nous prépondérants.
Enfin, une fois Écomouv' désignée, nous nous sommes heurtés à la mise à l'écart de la représentation professionnelle de notre branche et au secret sous lequel cette mise en oeuvre s'est réalisée.
Il est utile, à ce stade, de vous informer de l'absence totale de transparence et d'informations vérifiables émanant du délégataire depuis septembre 2012. Les relations engagées par Écomouv' et les SHT avec les représentants professionnels sont des relations commerciales, basées sur du lobbying, voire des menaces concernant l'obligation d'équiper les véhicules concernés. Il en a été de même avec la mission de la tarification.
Mon propos portera sur les constats que nous avons pu faire tout au long de cette mise en place, à partir de la décision de délégation de ce service public à un consortium privé.
Premier constat : l'obstruction de la mission de la tarification est caractérisée. Durant plusieurs mois, nous avons demandé à la mission de la tarification de nous préciser les éléments techniques et opérationnels du contrat signé, afin de pouvoir appréhender ce qu'allait être la collecte, sans aucune réponse. Elle a refusé de répondre à nos interrogations légitimes, nous renvoyant aux obligations légales, et indiquant même que les litiges éventuels ne pourraient se résoudre que devant les juridictions administratives concernées.
Nous avons donc saisi le 22 mars 2013 les ministres des transports et du budget afin de consulter le contrat de partenariat signé. En l'absence de réponse à cette demande, nous l'avons réitérée, le 3 juin 2013. Une réponse nous est enfin parvenue le 13 août 2013, nous refusant cette consultation au motif du secret industriel et financier de ce partenariat.
Devant une telle obstruction, nous avons saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 7 octobre, et obtenu une décision le 5 décembre 2013 et, enfin, une communication de ce contrat le 8 janvier 2014.
Bien évidemment, de nombreux éléments ont été jugés confidentiels et ne permettent pas de connaître la réalité des enjeux juridiques et financiers mais, au-delà, cette obstination à ne pas fournir les informations nécessaires a totalement rompu la confiance de notre organisation, et de nos adhérents, dans le système de perception de taxe qui leur était imposé.
Deuxième constat : les conditions financières sont particulières. Le consortium va percevoir un quart de la taxe pour frais de gestion annuels et retour sur investissement. Pour information, c'est le montant de taxe à l'essieu payé par l'ensemble des propriétaires de poids lourds français... Ceci est purement et simplement inacceptable pour les redevables !
Or, Écomouv' incite les redevables à souscrire un abonnement auprès des SHT et a prévu que 80 % des badges commercialisés le seraient via celles-ci, Écomouv' ne gardant en gestion directe que 20 % du parc poids lourds. Nous constatons donc qu'Écomouv', pour gérer un cinquième du parc, perçoit un quart de la taxe.
Par ailleurs, les SHT ont intégré à leur offre commerciale des frais de gestion, alors même qu'elles perçoivent de l'État pour ce service un loyer annuel par badge délivré, ainsi que les cautions bancaires exigées pour la délivrance des badges. La facture pour les entreprises du secteur est donc particulièrement importante.
Enfin, Geodis, filiale transport de marchandises de la SNCF, a signé un contrat exclusif avec Écomouv' pour la gestion de la logistique du consortium, d'un montant de plusieurs millions d'euros par an, sans aucun appel d'offres.
Comment expliquer de telles dépenses pour percevoir une taxe dans un contexte économique européen et mondialisé très défavorable aux entreprises françaises et, plus particulièrement, aux entreprises du secteur du transport routier de marchandises ? En tant que redevables les entreprises de transport routier sont une clientèle captive et soumise aux diktats d'une entreprise privée, l'administration ne proposant, quant à elle, que le recours, comme je l'ai dit, à la juridiction administrative en cas de litige.
Troisième constat : la sous-traitance par les SHT pose question. Un contrat de délégataire existe entre le consortium et les six SHT. Or, de nombreux prestataires proposent ce type de services par le jeu d'une sous-traitance du contrat initial. Est-ce pertinent et adapté dans le cas de la perception d'une taxe, et réellement prévu par le contrat initial ? Nous contestons cette déviance !
Quatrième constat : la fiabilité du système n'est pas prouvée. En l'absence totale de transparence sur la mise en place de la technologie choisie par le délégataire, la fiabilité du système n'est pas officiellement et contradictoirement vérifiée. En effet, dès le début de l'année 2013, à quelques semaines de la mise en place en Alsace, nous avons recueilli des témoignages de transporteurs indiquant que les tests qu'ils menaient, soit pour les entreprises du consortium, soit pour les SHT, démontraient une absence totale de cohérence des résultats obtenus dans le calcul des kilomètres parcourus, ou le repérage des véhicules par les portiques installés.
Je dois préciser, à ce stade, que les entreprises qui ont témoigné l'ont fait de manière confidentielle, puisqu'elles étaient tenues par des contrats avec les entreprises concernées les obligeant à ne pas révéler les résultats des tests pratiqués.
Pour l'OTRE, les trois reports successifs ne sont que la conséquence de l'impossibilité de pouvoir mettre en oeuvre la technologie choisie, sans incidents.
Le 6 septembre 2013, le ministre des transports convoquait les organisations professionnelles du secteur pour faire le point sur l'avancée du dossier, à trois semaines de la date supposée d'entrée en service. Les quatre organisations ont fait le même constat : le report de la taxe était une nécessité au vu de tous les dysfonctionnements -enregistrements défectueux, fiabilité du système insuffisante, voire inexistante.
Au cours de la réunion, le ministre Cuvillier s'est même étonné, puis offusqué, de l'absence d'engagement des entreprises de transport et de leur non-enregistrement, tout particulièrement pour la société Geodis, dans la démarche de marche à blanc.
Le représentant de la société Heppner s'est étonné, preuves à l'appui, de l'impossibilité pour son entreprise d'entrer dans le dispositif de marche à blanc, alors qu'elle s'était portée volontaire à deux reprises, en juillet, puis en septembre.
Le ministre, répondant à la volonté des organisations professionnelles, a alors décidé de la mise en place d'un comité de suivi de la mise en oeuvre de l'écotaxe. La première réunion de ce comité aura lieu cinq semaines après ! Sur le même principe, des commissions régionales de suivi de cette mise en place et de l'impact de celle-ci sur l'économie du transport devaient être initiées. Au moment de la réunion du comité national de suivi, toutes ces commissions régionales ne s'étaient pas réunies !
Tout ce dispositif d'information et de concertation n'a pas été en mesure de répondre à l'ensemble des questions que la profession se posait, et encore moins de résoudre les problèmes posés.
Cinquième constat : la marche à blanc s'est révélée être un trompe l'oeil. N'ayant jusque-là jamais été sollicitée par Écomouv', l'OTRE s'est engagée pendant la réunion ministérielle à s'inscrire dans la marche à blanc. Au total, ce sont une trentaine d'entreprises, réparties sur le territoire, et de tailles différentes, qui ont tenté de se lancer dans cette phase de test. Seules les PME ayant contracté avec une SHT avaient la possibilité de participer à la marche à blanc. Il n'était pas possible pour une PME non abonnée de récupérer ses badges auprès du délégataire et de tester le dispositif ! La possibilité pour ce type d'entreprises de s'inscrire sur le site Écomouv' est d'ailleurs arrivée bien plus tard, fin novembre 2013.
Au final, sur la trentaine d'entreprises proposées par l'OTRE, une seule arrivera à passer toutes les étapes pour démarrer ces tests grandeur nature. Le bilan de cette phase de marche à blanc est catastrophique. Quant au test mené par l'entreprise Guisnel -800 cartes grises moteurs- il révèle une incohérence et une inadaptation totales du mode de facturation. Nous avons un dossier à vous remettre au sujet de ce test...
Aujourd'hui, aux dires des déclarations d'Écomouv' lors de son audition devant la mission parlementaire de l'Assemblée nationale, le bilan de la marche à blanc qui aurait été menée sur les véhicules de Geodis serait tout à fait probant. Comment croire qu'une entreprise non badgée en septembre 2013 a pu contribuer à valider le système en si peu de temps ? Si tel est le cas, pourquoi ne pas rendre public ce bilan, si cela doit définitivement asseoir le système retenu ?
Nous avons, à de multiples reprises, demandé communication des résultats, sans succès. Les retours de la société Guisnel et l'article de presse sur les transports Orain, que nous avons joints à notre dossier, démontrent que le système ne fonctionne toujours pas.
En conclusion, l'ensemble des éléments démontrent des dysfonctionnements majeurs dans la phase d'enregistrement que la société Écomouv' est incapable d'assumer, malgré le travail préparatoire et de vérification effectué par les SHT, et dans le calcul de la taxe.
Quant au système de facturation de la taxe, il est faux et invérifiable ce qui est inacceptable : il n'y a pas de mention des kilomètres parcourus, pas de localisation géographique et temporelle des trajets, et pas de mention du tarif kilométrique appliqué.
Enfin, à ce jour, nous ne savons toujours pas si le dispositif correspond au cahier des charges proposé par l'État, et -plus important- s'il est adapté à la réalité du quotidien des entreprises de transport routier.
Le dernier constat concerne l'absence de contrôle périodique de fonctionnement des badges. Alors que le principe de la taxe est un nombre de kilomètres parcourus multiplié par un taux de taxe, en fonction des caractéristiques du véhicule, nous n'avons aucune garantie sur la métrologie des badges et sur leur fiabilité dans le temps.
De nombreux équipements de contrôle ou de comptabilisation sont installés dans les véhicules poids lourds, qu'il s'agisse des temps de travail ou de la limitation de vitesse du véhicule. Tous ces équipements font l'objet de vérifications à échéances périodiques. Nous nous demandons donc pourquoi le badge n'a pu faire l'objet de ce type de vérification.
Au regard de l'ensemble de ces constats, l'OTRE exprime clairement son opposition à l'écotaxe Écomouv' mais, consciente des enjeux relatifs au financement des infrastructures et à la transition énergétique, elle a fait des propositions alternatives en ce sens à la mission parlementaire réunie sur ce sujet.