Le montant des sanctions prononcées en 2014 par l'Autorité de la concurrence représente 1,13 milliard d'euros, dont 951 millions d'euros pour deux ententes dans le secteur des produits d'hygiène. Cela représente des mètres et des mètres de linéaires de supermarchés. Nous avons sanctionné Procter et Gamble, Unilever, Henkel, des sociétés mondiales, des multinationales. Comment voulez-vous qu'elles disent du bien de nous ? Elles estiment que nous n'avons rien compris à leur « business », et sont persuadées que nous défendons un consumérisme de bas étage. Ce n'est pas la vérité !
Nous sommes en effet favorables à l'économie de marché. Nous croyons fondamentalement à l'économie de marché, dans laquelle les chefs d'entreprise définissent leur stratégie. Nous ne sommes pas pour l'économie administrée, où ce sont les régulateurs qui décident à la place des entreprises. J'ai beaucoup de respect pour les entreprises, et c'est à elles d'agir.
Il existe cependant des règles du jeu dans une économie de marché. Elle ne peut fonctionner que si les entreprises définissent leur stratégie en toute autonomie. Il ne faut pas croire qu'elles sont concurrentes alors que, secrètement, elles s'entendent entre elles pour fixer les prix, partager les clients, ou les marchés. Ce n'est pas de l'économie de marché ! Quand nous avons le courage de le révéler et de les sanctionner de manière dissuasive, on nous dit que nous n'avons rien compris et que nous décourageons la production. C'est tout l'inverse ! C'est comme si l'arbitre sportif renonçait à sanctionner le dopage en estimant qu'il est nécessaire à la compétition sportive. Le dopage est l'antithèse du fair-play et de la loyauté dans la compétition. Or, nous sommes les gardiens de règles du jeu qui ont pour objet de donner les mêmes chances à tous.
Concernant les sociétés d'autoroutes, le procès qui nous est fait est injuste. Nous avons été saisis d'une question précise par la commission des finances de l'Assemblée nationale : les règles du jeu applicables aux concessions autoroutières, notamment les formules d'évolution des péages, garantissent-elles ou non aux sociétés d'autoroutes, depuis la privatisation de 2006, une rentabilité normale ou excessive ? Nous avons constaté que, depuis 2006 - mais la chose aurait été la même que les sociétés aient été privatisées ou non - les formules d'évolution des péages, telles qu'elles avaient été négociées, garantissaient une rentabilité nette, après impôt et remboursement des charges d'emprunt, comprise entre 19 % et 32 % en 2006 ; entre 2013 et 2014, elle oscillait entre 20 % et 24 %. Ce chiffre ne peut qu'augmenter au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'échéance de la concession, les investissements devant être amortis.
Nous avons estimé que l'économie de marché devait permettre des profits élevés lorsque l'entreprise prend un risque important. Nous avons étudié si, à côté de cette rentabilité indéniablement forte, il existait un risque pour les concessionnaires autoroutiers, du côté de l'évolution du trafic, du fait de l'apparition de charges imprévisibles ne pouvant être anticipées, ou de la dette massive qu'ont souscrite les sociétés d'autoroutes... Nous avons constaté qu'il n'existait pas de risques justifiant une rémunération aussi élevée !
On déplore que nous n'ayons pas étudié le taux de retour sur investissement. Bien sûr, le taux de retour sur investissement est un outil utile pour mesurer ex ante si une entreprise doit réaliser un investissement ou non. On nous reproche en quelque sorte de ne pas avoir utilisé un indicateur pour répondre à une question qui ne nous était pas posée. On ne nous a pas posé la question de savoir si l'État a fait une mauvaise affaire en privatisant, ou si les sociétés d'autoroutes ont fait une trop bonne affaire en achetant ces concessions. Le taux de rentabilité interne (TRI) est un bon outil, mais ce n'est pas la question qu'on nous a posée. Il était normal que nous regardions les indicateurs pertinents pour répondre à la question posée. Notre réponse étant dérangeante, on nous dit que nous n'avons rien compris au « business ».
C'est au contraire parce que nous avons trop bien compris et que cette vérité dérange qu'on nous reproche de défendre à tout prix un consumérisme de court terme. Non ! Nous ne défendons pas un consumérisme de court terme. Je le dis devant vous solennellement : je crois à la concurrence. Si tel n'était pas le cas, comment pourrais-je présider cette institution, qui est faite pour la défendre ? La concurrence n'est pas une fin en soi, mais un levier qui permet aux entreprises de donner le meilleur d'elles-mêmes, de se concurrencer grâce à leurs mérites. Je le dis clairement : dans la concurrence il n'y a pas que le prix, il y a aussi la qualité, la présence sur le territoire, la compétitivité. Je ne réduis pas la concurrence à un veau d'or devant lequel il faudrait se prosterner coûte que coûte.
Depuis que nous avons reçu le contrôle des concentrations, en 2009, nous avons examiné environ mille opérations ayant conduit les entreprises françaises à grandir sur notre sol : nous n'en avons interdit aucune. Nous nous sommes montrés pragmatiques, et avons accompagné la croissance des entreprises !
Quant au prolongement de la loi LME, le projet de loi pour la croissance et l'activité part du même constat, mais amplifie les réformes et attire l'attention sur l'inefficacité de certaines mesures prévues par la LME.
La loi, depuis 1986, a transféré au Conseil de la concurrence, devenu Autorité, le pouvoir de sanctions. Ce n'est plus l'apanage du ministère. Le projet de loi pour la croissance et l'activité propose de négocier le montant de la sanction pour éviter trop de contentieux ultérieurs, comme le fait l'AMF avec la composition administrative. Nous sommes déjà compétents pour fixer le montant de la sanction. Le fait que celle-ci soit entre les mains d'une autorité administrative indépendante n'est pas incompatible avec le recours à des procédures négociées, qui permettent d'accélérer et de simplifier les choses.
Je suis heureux de constater la présence dans la salle de Mme Perrot, qui préside la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité. Je ne suis pas toujours d'accord avec cette commission, mais elle s'exprime en toute indépendance et anime ainsi le débat public.
Monsieur Pillet, vous forcez le trait quand vous dites que nous pouvons utiliser l'injonction structurelle sur la foi de seules préoccupations. Non ! Il faut un constat objectif de prix élevés par rapport à la moyenne des prix ou des marges pratiquées habituellement dans le secteur. Ce constat devra être documenté.
En second lieu, il existera une procédure contradictoire.
Par ailleurs, l'injonction structurelle ne pourra être mise en oeuvre qu'en cas d'échec d'engagement négocié avec les entreprises. Il s'agit d'une arme ultime, qui restera un instrument dissuasif utilisé dans un petit nombre de cas, j'en suis persuadé.
Quant à vos interrogations sur la compatibilité avec la Constitution, sachez que le territoire de Nouvelle-Calédonie a adopté une loi de pays calquée sur le modèle de la loi « Lurel » applicable aux départements d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a été saisi de ce texte et a considéré que sa rédaction, très proche de celle que reprend le projet de loi pour la croissance et l'activité, était conforme à la Constitution.
Je reviens sur le Royaume-Uni, Mme Perrot ayant estimé qu'il convenait d'étudier l'exemple britannique. S'il existe une économie de marché en Europe qui croit au libéralisme, c'est bien l'économie britannique. C'est là que l'injonction structurelle a été inventée, et elle donne ce pouvoir à la commission de la concurrence, non seulement dans la distribution, mais aussi dans tout secteur économique.
D'ailleurs, au motif d'une enquête sectorielle constatant un manque de concurrence, cette commission a imposé au Royaume-Uni la vente d'aéroports ainsi que d'usines cimentières. Le texte n'impose pas l'existence d'une position dominante, ni un constat de prix trop élevé, mais donne un pouvoir d'appréciation bien plus large à l'autorité britannique.
J'ai entendu prononcer le mot de « poutinien » ou de « soviétique » pour qualifier l'action de l'Autorité de la concurrence. Or, sa création a été inspirée par ce qui se fait à Londres. M. Cameron ou ses prédécesseurs s'étonneraient si on les comparait au Soviet suprême. Je n'ai pas le sentiment que l'on soit dans le même type d'économie !
La loi française s'inspire de ce modèle, avec encore plus de garanties de procédures et de fond pour mobiliser cet instrument, qui restera exceptionnel, je le répète. Il ne s'agit pas d'un outil d'usage quotidien.
MM. Raoul et Raison ont insisté sur la question des centrales d'achats et sur le renforcement du pouvoir des enseignes grâce à celles-ci. C'est un sujet auquel nous devons nous intéresser. J'ai fait part, dans mon introduction, de deux propositions intermédiaires de l'Autorité de la concurrence. Le sujet est maintenant entre vos mains.
Je ne suis pas d'accord avec vous, Monsieur Raison, lorsque vous dites que nous sommes le seul pays dans lequel cette situation existe. Peut-être les négociations ont-elles atteint, en France, une âpreté jamais égalée, mais elles sont dures dans tous les pays ; j'en veux pour preuve le fait que nos collègues allemands et britanniques ont mené des enquêtes de nature très proche de celles auxquelles nous avons procédé dans ce secteur.
Vous estimez qu'il importe peu que les zones de chalandise disposent d'une, de deux ou de trois enseignes. On ne peut dire cela ! Si les Français n'ont pas le choix entre différentes enseignes, cela se ressentira dans le niveau des prix. Nous devons donc vérifier qu'il existe suffisamment de choix et de diversité dans les zones de chalandises locales, et que la puissance d'achat qu'obtiennent ces firmes en regroupant leurs centrales d'achat ne se traduise par des abus dans la négociation tarifaire avec les industriels de l'amont, notamment dans le secteur agroalimentaire. Ces deux préoccupations ne sont pas contradictoires. Il faut les poursuivre de concert.