Merci de donner à Finance Watch l'opportunité de vous exprimer l'opinion de la société civile sur cette question d'importance sociétale. Finance Watch est une association d'intérêt public sans but lucratif créée en juin 2011 pour faire contrepoids au lobby de l'industrie financière et remettre la finance au service de la société. Nous menons des actions de plaidoyer technique auprès des décideurs politiques avec l'intérêt général en ligne de mire. Parmi nos membres figurent des unions de consommateurs, des syndicats, des associations de logement, des experts financiers, des fondations, des think tanks, des ONG. Nous sommes basés à Bruxelles.
Une réforme, pour quoi faire ? D'abord pour maîtriser le risque systémique. Cette séparation structurelle a une portée macro-économique complémentaire des régulations micro-économiques, telles que les exigences de fonds propres et les plans de résolution bancaires, centrées sur des entités individuelles, passent partiellement à côté du risque systémique. Ensuite pour limiter le risque de contagion des activités de marché - trading pour compte propre ou tenue de marché pour compte de la clientèle - par nature volatiles, sur les activités coeur des banques, dépôts collectés et moyens de paiement, qui doivent être protégées et seules bénéficier du filet de protection public. Enfin, pour rééquilibrer les fragilités du modèle économique des banques systémiques et non pour mettre en péril les banques universelles de plus petite taille. La séparation améliore la discipline de marché et la concurrence, en effaçant la distorsion introduite par la subvention implicite et indue des activités de marché au sein des too big to fail.
La loi bancaire française de juillet 2013 échoue au titre de ces trois objectifs. Une loi nationale va à l'encontre des principes du marché unique, du livre unique de règles et du superviseur unique de l'union bancaire. Une réforme efficace doit établir des règles claires ex-ante et éviter de laisser un trop grand pouvoir discrétionnaire au superviseur national si elle veut conforter transparence et confiance dans le marché unique. La séparation prévue par la loi française aura un impact minimaliste : 2 % à 3 % du produit net bancaire des banques de financement et d'investissement (BFI) ; pour des banques universelles comme BNP Paribas ou la Société générale, cela signifie en fait 0,5 % à 0,75 % du chiffre d'affaire total. Quel est l'intérêt d'une si modeste réforme ? Le terme de « séparation » est-il pertinent au-delà des éléments de langage et de la posture politique ?
Le rapport Liikanen d'octobre 2012 était bien plus ambitieux, qui proposait de séparer la tenue de marché et pas seulement le trading pour compte propre, comme se borne à le faire la loi française. Or les professionnels prennent des positions directionnelles sous le couvert de la tenue de marché et de systèmes de gestion de risques comme la value at risk.
M. Fernandez-Bollo a dit la difficulté pour le superviseur de déterminer la bonne granularité. C'est pour cela que le projet Barnier de janvier 2014 proposait la filialisation de la tenue de marché à partir de seuils identiques pour toute la communauté et non laissés à la discrétion des autorités nationales comme le fait la loi française. Celle-ci n'avait-elle pas pour véritable objectif de préempter le projet européen en allant à l'encontre de l'intérêt général ? Aujourd'hui, la France invoque le principe de subsidiarité pour rejeter le projet Barnier.
Pourquoi une réforme à l'échelle européenne ? Elle améliore la discipline de marché et la concurrence en uniformisant les règles du jeu, le single rule book, dans le cadre de l'union bancaire. Le projet Barnier est équilibré, touchant 29 ou 30 banques sur 8 000 institutions bancaires en Europe. Il faudrait le renforcer, non le diluer comme veut le faire le rapporteur M. Hökmark, dont les 90 amendements limiteraient le champ de la réforme à huit ou neuf institutions, dans un grand flou et en laissant un pouvoir discrétionnaire élargi aux superviseurs nationaux. Ce serait vider le projet de sa substance.
Pourquoi les autres régulations sont-elles insuffisantes pour régler le problème des too big to fail qui nous tiennent collectivement en otage ? Les cadres réglementaires actuels sont fondés sur le statu quo d'un système doté de méga-banques. Il faut aux banques plus de fonds propres et moins d'effet de levier pour résister aux chocs futurs et continuer à financer l'économie réelle. Malheureusement, les fonds propres des banques systémiques seront insuffisants en cas de crise, notamment à cause du risque de contrepartie sous-jacente à leurs activités de dérivés. L'effet de levier et le risque de liquidité induit par le recours à des financements à très court terme sur les marchés de gros augmentent de façon disproportionnée le risque systémique et rendent le montant de capitaux propres difficile à estimer ex ante. C'est le paradoxe du régulateur, mis en évidence par l'étude récente d'Adrian Blundell-Wignall, Paul Atkinson and Caroline Roulet pour l'OCDE.
En l'absence de séparation juridique, il sera difficile pour une autorité de supervision d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'imposer la scission d'une banque universelle, notamment si ses homologues ne suivent pas cette voie, comme le souligne l'Autorité bancaire européenne. Le mécanisme de résolution va se gripper.
Le plan de résolution de BNP Paribas fait 1 800 pages. Ceux qui croient qu'un tel plan peut être mis en oeuvre en un week-end en porteront la responsabilité devant l'opinion.
Le niveau requis de capital pouvant absorber des pertes, le TLAC (Total Loss Absorbing Capacity) préconisé par le Conseil de stabilité financière en novembre 2014 repose, au plan micro-économique, sur l'hypothèse que les fonctions bancaires indispensables sont organisées de telle façon que l'absorption des pertes éventuelles des activités non critiques sera délimitée au bon endroit. Cela ne tient pas pour une banque systémique dotée d'activités et de structures trop complexes : une séparation en amont est donc nécessaire. Au niveau macroéconomique, l'objectif du TLAC est de placer les instruments de dette en dehors du système bancaire pour éviter la contagion. Cela peut être un voeu pieux : le renflouement par les créanciers pourrait entraîner la défaillance d'autres acteurs comme les assureurs ou les gestionnaires d'actifs. Si le Trésor américain n'avait pas renfloué AIG, de grandes banques internationales auraient été défaillantes, entraînant des faillites en chaîne.
Le problème de la taille ne peut être résolu qu'en morcelant ces grosses banques via une séparation ou au moins une filialisation. Le paradoxe de la crise, c'est qu'il en est ressorti des entités encore plus grosses. Ne pas séparer la tenue de marché, c'est reconnaître l'existence d'une garantie indirecte des États et donc d'une subvention accordée par les contribuables « à l'insu de leur plein gré ». Alors que la société civile subit des plans d'austérité, la non-séparation revient à garantir le bonus des opérateurs de marchés de ces banques systémiques, ce qui n'est pas de nature à redonner cette confiance dont nous avons tant besoin pour relancer la croissance.