À la suite de la crise de 2007, les régulateurs ont cherché à sécuriser le système bancaire européen, oubliant qu'il finance l'essentiel de l'économie. Dans une économie atone avec une demande de crédit faible, les banques ne sont plus suffisamment présentes pour jouer ce rôle. L'idée de l'union des marchés de capitaux est donc de développer le financement par les marchés financiers non seulement pour les grandes entreprises et les États, mais aussi pour les émetteurs de dette de taille moyenne. Les banques devront émettre de la dette bail-inable - pour BNP Paribas, 34 milliards d'euros d'ici 2019 - censée se substituer en cas de crise majeure à nos fonds propres, qui ont pourtant doublé depuis la crise. Il faudra trouver des investisseurs ! Or la plupart sont aux États-Unis, fonds de pension américains ou fonds souverains qui confient leurs actifs à des gestionnaires américains. Si les banques européennes devaient, en plus du TLAC, séparer les activités de market making, cela ouvrirait grand la porte aux principaux acteurs dans ce domaine, les banques américaines qui agissent au départ de Londres. Il n'y a pas de grande plate-forme de fixed income à Francfort, Paris ou Bruxelles. Le danger pour les émetteurs de dette, y compris les États souverains, est considérable. En 2015, le plus gros consommateur de dette sur le marché européen est l'État français, dont nous sommes le premier spécialiste en valeurs du Trésor. La société civile souhaite-t-elle que J.P. Morgan ou Citibank détiennent la totalité de la dette française ?
Pour financer les grands travaux que prévoit le plan Juncker, il faudra aller chercher sur les marchés près de 300 milliards de dette ! Comment faire cela sans l'union des marchés de capitaux et sans activités de tenue de marchés dans les grandes banques européennes ? Le résultat en serait des banques de la zone euro affaiblies, des problèmes de financement des entreprises et des États de la zone euro. Responsabilité vis-à-vis de la société civile ? Je n'aimerais pas être responsable d'avoir mis l'Europe dans cette ornière !
Nous devrons absorber à partir de 2018-2019 le Net Stable Funding Ratio (NSFR). La crise bancaire est venue en bonne partie des liquidités. Mais les coussins sont aujourd'hui considérables : 291 milliards d'euros à BNP Paribas, contre 120 milliards d'euros avant la crise. La crise de 2011 a beaucoup gêné les banques européennes : nous avons perdu 100 milliards de funding dollar en deux mois, car les grands marchés prêteurs s'inquiétaient de notre niveau de détention de dette souveraine. D'où les plans de résolution qui limitent la part de la dette d'État dans les bilans. Mesurons mieux l'impact - les précédentes mesures étaient assez erronées. Le grand objectif de la Commission européenne doit être le redécollage de l'économie européenne et son financement. Régulons, mais sans étouffer le système. Si l'on ajoute la séparation au TLAC, au NSFR, à Bâle III, cela ne fonctionnera pas en termes d'union des marchés de capitaux : les banques européennes seront peu présentes sur les marchés d'intermédiation, alors que nous sommes la première maison d'émission de dette de la zone euro pour le compte d'entreprises et d'États. C'est un sujet crucial pour nous et nos clients.
En octobre, la Fed a constaté que les inventaires de market making des banques du monde avaient été divisés par trois en quatre ans. Ce jour-là, l'emprunt d'État américain à dix ans a dévissé de 10 % dans la journée, faute de liquidités dans le marché. S'il y a beaucoup de vendeurs sans coussins bancaires avec leurs inventaires pour l'absorber, la volatilité des prix sur les marchés obligataires sera considérable. Ce sera vrai pour la dette d'État, d'entreprise, et catastrophique pour la dette structurée comme les project bonds.