C'est un honneur et un privilège d'évoquer devant vous la normalisation comptable et ses enjeux. La matière, souvent considérée comme technique, revêt une dimension politique et sociétale : au-delà de la norme, il y a la réalité de l'entreprise et des hommes et femmes qui la composent. L'expertise, nécessaire, doit être exercée dans l'intérêt de tous. Nos échanges constituent un temps fort destiné à assurer le lien indispensable entre le travail du législateur et celui de l'ANC.
Je souhaite saluer la mémoire de Jérôme Haas, premier président nommé à la tête de l'ANC en 2010, décédé au printemps dernier. Son talent et ses convictions ont marqué la normalisation comptable en France et à l'étranger. Ses idées demeureront présentes dans tous les esprits. Après son décès, l'ANC a su faire face à l'éprouvante période d'intérim. Je rends hommage au président par intérim, au commissaire du gouvernement, aux membres du collège, au directeur général et à l'ensemble des collaborateurs qui ont fait preuve d'un engagement sans faille et de beaucoup de professionnalisme. Le travail accompli est de grande qualité.
Mes pensées vont enfin au cabinet Mazars dont les 800 associés ont considéré que mon éventuel passage vers la sphère publique, après quatre décennies consacrées à la création d'un cabinet international indépendant, correspondait à leur volonté de contribuer à l'intérêt général. Je les en remercie.
Mon curriculum vitae ayant été diffusé aux membres de la commission, je ne reviendrai pas sur les étapes de ma carrière. J'évoquerai plutôt les convictions, les principes d'actions et les méthodes de travail qui m'ont guidé dans l'exercice du métier d'auditeur et de conseil et qui m'inspirent dans l'exercice de la responsabilité entrepreneuriale et la contribution au service de l'intérêt général. Je vous prie de m'excuser par avance si mes références trouvent toutes leurs sources à la même origine en raison d'un parcours au service d'un seul projet, le développement international du cabinet Mazars.
Pour moi, la force de la vision est centrale dans toute entreprise : rien ne se fait sans vision claire de l'objectif à atteindre. Intuitive au départ, elle s'affine au fil du temps et des confrontations avec la réalité. L'objectif fonde le projet, il cristallise les énergies, il justifie et alimente la passion d'entreprendre. Vouloir créer à partir de l'économie française un acteur indépendant de l'audit et du conseil libre de sa culture, de son organisation, de sa décision n'était pas évident dans un monde qui ne nous attendait pas. La vision de la contribution, de l'utilité à long terme et, pour tout dire, de la nécessité de ce groupe a permis sa croissance : Mazars compte aujourd'hui 14 000 collaborateurs dans soixante-treize pays. Pareillement, inscrire la mission de l'ANC dans le cadre d'une vision partagée sera essentiel.
La mise en oeuvre de la vision initiale requiert de la patience. Savoir garder le cap dans l'adversité est un facteur de succès dans la durée. La patience est une vertu cardinale dans la conduite de tout projet. Je crois également à la force du travail en équipe. Dans les disciplines fondées sur la production du savoir, la gestion des talents doit privilégier un mode d'organisation horizontal qui favorise la responsabilité, l'initiative, l'esprit de projet. Je conçois le rôle du dirigeant comme celui d'un chef d'orchestre, porteur de vision, un primus inter pares qui, sans rechigner à jouer son rôle, agit dans un cadre qui reconnait à chacun sa place et valorise sa contribution. L'ANC sera ainsi, au quotidien, un catalyseur d'énergies.
Le travail en équipe suppose le dialogue, la transparence, la communication permanente. Les grandes équipes sont celles où il n'est plus nécessaire de se parler pour se comprendre... mais elles sont rares et il est préférable en général d'organiser le dialogue. Mon expérience au service de l'action publique - sur le sujet de la normalisation entre 1996 et 2006 puis à occasion de la loi de sécurité financière en 2003, enfin au sujet de la réforme européenne de l'audit - m'a appris que la capacité à écouter et convaincre au rythme de l'action politique est capitale dans la sphère publique. L'ANC est et sera plateforme de dialogue.
L'expertise technique est essentielle. Il est nécessaire d'être à la pointe du progrès, de se situer parmi les meilleurs de sa discipline, pour être respecté et entendu. Avoir une crédibilité de compétences doit être un souci constant de l'ANC.
L'action doit être située d'emblée dans une démarche internationale. La France a un rôle à jouer dans un monde multiculturel et multipolaire. Étudiant, résident à la cité universitaire, j'ai eu la chance de m'ouvrir à l'international dans un cadre de respect et de tolérance. Ayant oeuvré à la création d'un groupe international, dont les activités hors France représente les trois quarts de l'activité, j'ai beaucoup voyagé. J'en ai acquis la conviction que si la France ne peut rien imposer, elle est incontournable par sa capacité à innover et à inspirer, sa force de persuasion lorsqu'elle est au meilleur d'elle-même, en accord avec la riche tradition issue des Lumières. Elle possède un savoir-être et un savoir-faire indispensables dans le monde d'aujourd'hui ; il convient de les faire fructifier. La dimension européenne, dans son inévitable complexité, est fondamentale. La France et l'Europe n'ont pas dit leur dernier mot, ni dans la normalisation comptable ni sur d'autres sujets. Pardon d'avoir puisé trop d'exemples à la même source : le projet Mazars a forgé des convictions qui peuvent contribuer à la dynamique que porte l'ANC.
Vous m'avez interrogé sur les enjeux de la normalisation comptable. Je ne viens pas devant vous avec une stratégie détaillée : ce serait prématuré et contraire à la méthode fondée sur le dialogue et la concertation que je viens d'exposer. Je vous présenterai quelques lignes de force sans revenir sur les missions de l'ANC qui ont été exposées tout à l'heure.
À une période de reflux européen succède une période de possible contribution de notre continent à la production des normes. Il est important de tirer les leçons du passé et de faire vivre les normes au niveau européen, qui a sa pertinence. Il ne s'agit pas de revenir sur les décisions bénéfiques et pragmatiques de 2002 mais de faire valoir ce que l'Europe a de meilleur en matière comptable, de fédérer la diversité et la richesse du continent. Il importe de réussir la réforme institutionnelle du Groupe consultatif européen pour l'information financière (European Financial Reporting Advisory Group - Efrag) et de faire en sorte que l'ANC contribue à ce succès. L'Union européenne a désormais un contrôle sur le processus technique et sur la gouvernance. L'occasion est excellente. En effet, le processus de convergence entre les normes européennes - International Financial Reporting Standards (IFRS) - et les normes américaines - United States Generally accepted accounting principles (US Gaap) - a eu les résultats que l'on sait : les États-Unis conservent leur souveraineté en matière comptable, ce qui n'exclut pas une fructueuse coopération.
Au niveau international, il convient de saluer la contribution exceptionnelle de l'International Accounting Standards Board (IASB) dans un monde qui a besoin d'un langage comptable commun. Les acquis sont considérables. Pour l'anecdote, je signale que René Mazars était présent en 1973 à Sydney pour le lancement de ce qui était alors une simple initiative de la profession comptable. Il convient maintenant, directement ou par l'intermédiaire de l'Europe, d'établir et d'entretenir des relations de confiance avec l'IASB afin d'opérer une co-construction des normes dans l'intérêt de tous, fondée sur le dialogue et le débat. Les questions des destinataires de l'information financière, de la primauté du bilan sur le compte de résultats, de la place de la juste valeur (fair value), de l'interprétation des normes doivent être abordées en amont sans a priori.
L'enjeu national est essentiel car les règles comptables guident la préparation des comptes individuels dont on connait l'importance économique, juridique, pénale et fiscale. L'ANC a été très active l'an dernier dans le domaine des normes privées, qu'il s'agisse de la nouvelle codification du plan comptable général à droit constant, des normes désormais codifiées applicables aux banques, aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et, en partie, aux organismes de placement collectif immobilier (OPCI). Un gros travail reste à accomplir notamment dans le secteur des assurances, des associations sans but lucratif, des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). Il faut donc continuer à faire vivre la normalisation nationale en la mettant au service du développement économique. Les trois priorités doivent être, d'une part, de confirmer la crédibilité de compétence de l'ANC, d'autre part, de développer le dialogue avec toutes les parties prenantes et, enfin, de mener à bien une réflexion sur le cadre conceptuel de la normalisation avec une vision à moyen et long terme, étant observé que le principe de prudence doit être examiné au regard de l'intérêt général.
Un travail considérable doit être mené : IFRS 15, IFRS 9, assurances, contrats de location, rôle des modèles économiques et financiers, transposition de la réforme Solvabilité II et de la directive comptable. L'ANC doit jouer un rôle pivot en mobilisant les énergies et en renforçant ses équipes permanentes. L'ANC est une institution légère - une administration de mission disait-on il y a quelques années - qui trouve sa pertinence dans sa capacité à fédérer. Pour terminer, je soulignerai que les occasions de discuter avec le Parlement sont rares : j'en apprécie toute la valeur !