Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 février 2015 à 9h30
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Je veux d'abord souligner deux évolutions favorables concernant la médiation avec les services publics. D'une culture de médiation factuelle, on est passé à une mise en oeuvre des droits fondamentaux dans les relations entre les usagers et les services publics. J'installerai à la fin du mois un comité de liaison des usagers du service public sur le modèle des huit comités qui existent déjà et concernent les représentants LGBT, les femmes, les handicapés... Rien de nouveau, cependant, puisque Hector Rolland, dit Spartacus, s'est intéressé aux usagers dès 1974. Aujourd'hui, lorsqu'un service est prévu par la loi, l'usager a des droits. Dans les grands services publics, chez EDF, GDF, aux finances, des services de médiation ont été créés ; un médiateur de l'énergie a été instauré, d'autres également. Voilà aussi pourquoi le nombre de saisines au Défenseur des droits n'augmente plus guère.

En revanche, nous travaillons avec le ministre Thierry Mandon sur la simplification. Nous participons au comité de pilotage. Cela me semble important : le RSA, par exemple, est issu en droite ligne de Kafka ! Autre souci : que la lutte contre la fraude ne soit pas dévoyée, car trop de personnes sont poursuivies alors qu'elles ont seulement demandé leurs droits. C'est une forme de déni.

Il avait été prévu, lorsqu'a été créé le Défenseur des droits, que le Contrôleur lui serait intégré à l'issue du mandat de M. Delarue. Cela ne s'est pas fait, le Parlement a au contraire voté la loi Tasca qui donne au Contrôleur plus de pouvoirs : fort bien. Les relations entre les deux institutions sont normales. La seule difficulté est pour l'usager, contraint de s'adresser aux deux. Un détenu des Baumettes envoie un courrier à Adeline Hazan et formule aussi sa réclamation auprès de notre délégué qui se rend sur place chaque semaine. Nous avons fait progresser les choses en matière de déontologie de la sécurité. Il serait judicieux d'inscrire dans la loi le droit pour un détenu à voir la vidéo utilisée à l'appui d'une procédure disciplinaire à son encontre ; c'est un minimum.

Qu'est-ce qu'un lieu d'enfermement ? Il faudrait y réfléchir collectivement. Un EHPAD n'en est certainement pas un ! Enfermement organique dans la maladie, enfermement juridique par la tutelle, n'impliquent pas l'enfermement physique. L'expérience de liberté des horaires que vous citez me semble très intéressante. Nous nous penchons sur le système des tutelles, comparant le nôtre et celui mis en oeuvre chez nos voisins - les différences compliquent la situation des Français qui vivent dans des établissements belges - et nous avons rédigé une proposition d'amendement pour le projet de loi sur la santé. Lutter contre les discriminations passe aussi par une lutte contre la maltraitance - je salue les dispositions proposées par Alain Milon et votre commission des affaires sociales. L'insuffisance de moyens matériels et humains accroît bien sûr le risque de maltraitance.

Lutter contre les discriminations, promouvoir l'égalité : pour moi, il n'y a pas de différence. J'ai du reste renforcé un département intitulé « promotion de l'égalité et de l'accès aux droits ». Il y a trente ans, on se préoccupait d'égalité devant la loi ; aujourd'hui, d'égalité par la loi. Ainsi la promotion de l'égalité entre hommes et femmes passe par des dispositions contre la discrimination. La situation des femmes en zone rurale s'assimilait à un déni de droit, il fallait le prendre en compte. Je souhaite du reste que les délégués soient renforcés, quantitativement et qualitativement. Il y va de l'accès au droit. Ils seront 500 dès l'an prochain, mieux formés et recrutés dans des milieux professionnels plus divers.

La circulaire Taubira de 2013 sur les mineurs isolés étrangers a eu des effets concrets parce que dans le même temps, un fonds était doté de 10 millions d'euros. Cependant le Conseil d'État a partiellement annulé la circulaire. Le Gouvernement compte à présent revoir les critères de répartition, le Premier ministre l'a dit, et cela se fera par la voie législative : vous aurez l'occasion d'en débattre, Monsieur Béchu. Si les 10 millions d'euros sont reconduits, le travail accompli pendant un an et demi pourra reprendre, et M. Bartolone n'aura plus à décider comme en 2011 une grève de l'accueil des mineurs étrangers. Le cloisonnement, d'un département à l'autre, est la conséquence de la décentralisation, mais rien ne justifie un traitement différencié. J'approuve la proposition de loi de Mmes Meunier et Dini créant un pilotage national de l'aide sociale à l'enfance.

Enseigner le droit, c'est enseigner les droits et les obligations, la notion de contrat, de responsabilité, y compris pénale. Oui, j'appelle de mes voeux une culture juridique de base. Le numérique, l'internet, posent effectivement problème pour la protection des droits fondamentaux. Le Conseil d'État a mené une étude, descriptive ; il faut aller plus loin, nous y travaillons. Le profilage informatique, qui ouvre la possibilité de messages publicitaires ciblés, devrait faire l'objet d'un encadrement législatif.

Le maintien de l'ordre n'est pas assuré chez nous par l'armée, comme c'est le cas aux États-Unis. J'organiserai prochainement une réunion avec mes homologues européens pour réfléchir à la doctrine en la matière. Déjà, je me suis prononcé en faveur d'un meilleur encadrement des contrôles d'identité. Il serait bon de dépasser le cadre de l'article 141 du code de l'organisation judiciaire, qui vise les recours pour mauvais fonctionnement de la justice, pour créer une catégorie de recours distincte.

M. Lecerf a raison de souhaiter un suivi des sanctions disciplinaires... Vous seriez parfaitement dans votre fonction de contrôle, dans les prisons, si vous interveniez après nous : je puis vous transmettre toutes les recommandations disciplinaires que nous formulons, afin que vous vérifiiez leur respect. Ce serait une collaboration utile.

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