Je vous remercie, monsieur Hérault, de ce panorama qui fourmille d'information. Pour autant, je ne suis pas forcément d'accord avec vous. Vous nous avez présenté un tableau de la réalité. Le peintre a un incontestable talent, mais le résultat est très particulier.
Vous avez commencé par dire : pour faire une société, il faut des hommes, de l'espace et du temps. Des hommes, certes, mais de l'espace ? Vous assimilez l'espace mondial, le village planétaire avec le village tout court. Cela n'a strictement rien à voir. L'un est un village virtuel, qui n'existe que par l'image que les médias nous en transmettent. L'espace en lui-même ne suffit pas pour faire une société, il faut que les gens se rencontrent. Cet espace virtuel a été démultiplié, notamment par le numérique, mais il ne permet pas de s'y rencontrer, sinon de façon aseptisée. Je pourrais faire un commentaire similaire pour la notion de temps.
Surtout, vous semblez oublier que, pour faire une société, il faut aussi un héritage culturel et historique, un projet commun, un certain nombre de normes, de modèles d'identification. Lorsque tout cela dérape, cela provoque, entre autres, de la délinquance, de l'anomie. Étrangement, vous n'en avez pas parlé dans votre long exposé.
Vous avez insisté, au-delà des problèmes, sur le fait que notre société tient, grâce à ses normes sociales, aux réussites de l'intégration, qui nous préserve de tout communautarisme. Certes. Mais les plus aveugles d'entre nous viennent tout de même de s'apercevoir que notre société élevait des enfants qui, ne se reconnaissant plus du tout dans les valeurs de la République, allaient chercher ailleurs des modèles d'identification à l'opposé des nôtres, adoptaient des comportements tout à la fois monstrueux et aberrants. Peut-être y a-t-il une raison à cela.
Vous nous décrivez une société de producteurs et de consommateurs, mais pas vraiment de citoyens. Est-ce un mot tellement vieillot qu'il vaut mieux ne pas le prononcer ? Je ne m'y résoudrai pas. Vous donnez l'impression de céder à la fatalité. À vous entendre, il y aurait un sens de l'histoire que rien ne pourrait changer et que l'on ne peut qu'accompagner. Quid de la crise financière et écologique qui est au-dessus de nos têtes ? Un jour, tout risque de nous exploser à la figure.
Marx, à une certaine époque, s'était posé la question : il avait prédit la fin de l'Histoire et l'avènement du paradis sur terre. Si j'ai apprécié la richesse de votre présentation, je l'ai trouvée insuffisamment dialectique. Finalement, vous semblez vous ranger à la description que font les chantres du libéralisme triomphant, c'est-à-dire une évolution absolument inéluctable de la société. Cela me paraît tout de même plus que problématique.