Les taux de croissance de la population sont aujourd'hui plus élevés dans le rural que dans l'urbain. Il n'y a que très peu de cantons et de départements qui affichent un solde net négatif en la matière.
S'ils sont plus nombreux, les urbains expriment néanmoins leur souhait d'embrayer vers une vie davantage tirée par la ruralité. Ils attachent plus d'importance aux valeurs et aux ressources fondamentales pour lutter contre le changement climatique et mener une vraie politique de développement durable. La problématique essentielle n'est plus : « Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? » C'est désormais : « Quels enfants allons-nous laisser à notre planète ? » Nous débordons là sur les questions d'éducation.
À mon sens, les ressources déterminantes pour le pilotage de la société de demain se trouvent dans le rural : l'air, l'eau, le bois, la biomasse... Le recours abusif aux pesticides a fait perdre à l'Europe plus de 400 millions d'oiseaux en trente ans. Paradoxalement, certaines réserves de biodiversité sont maintenant situées dans les villes.
Il n'en demeure pas moins que les ruraux sont en général les mieux placés, grâce aux ressources de leurs territoires, pour prendre en main la transition énergétique. Comme le disait Jean Viard sous forme de boutade, il y a eu les cols bleus, les cols blancs, il y a maintenant les « cols verts ». Dès lors que les différents groupements et interprofessions se montreront capables de faire le lien entre, d'un côté, les besoins en termes d'agroécologie, d'agriculture intensive, de tourisme rural et, de l'autre, le développement des nouvelles ressources, ils auront une maîtrise des politiques à mener que les urbains n'auront pas. Je sens que la situation est en train d'évoluer. Il reste à voir si les transformations auront lieu.
Par ailleurs, pour répondre à Mme Bouchoux, dans le cadre des études que nous menons actuellement sur l'évolution des comportements alimentaires, la sensibilité aux risques environnementaux, aux pesticides, la mondialisation des systèmes alimentaires, nous retrouvons systématiquement, parmi les variables déterminantes, le rôle des femmes et la féminisation. Là où il y a un gîte rural coquet, fleuri, pour attirer les touristes, là où il y a petit commerce de vente à la ferme pour permettre à l'exploitation de s'en sortir, il y a une femme - conjointe, fille, belle-soeur - pour s'en occuper.
La féminisation dans l'agriculture est pour nous un sujet de réflexion très important. Le monde agricole était masculin. Il valorisait la masculinité, il fallait travailler dur. Aujourd'hui, les outils existent pour que les femmes puissent faire tout à l'égal des hommes. Voilà une ligne de modernisation évidente.
Sur la majorité des sujets, qu'il s'agisse de la souffrance animale dans les abattoirs, des risques environnementaux, de l'exposition aux pesticides, c'est toujours la frange féminine qui tire les hommes vers le haut et les amène à se poser les vraies questions.
Pour toutes ces questions, nous entretenons une veille attentive. La féminisation dans l'agriculture est une tendance observée au niveau mondial. Faisons une hypothèse prospective de long terme : parmi les éléments moteurs des transformations profondes des sociétés du XXe siècle, les historiens du futur retiendront sans doute la féminisation, la hausse du niveau d'éducation et la baisse de la natalité. La majorité des évolutions en matière de comportements alimentaires sont impulsées par les femmes, dans les sociétés riches comme dans les sociétés pauvres. Qui dit évolutions dans les comportements alimentaires dit évolutions dans la production et la distribution agricoles.
S'agissant des modes de vie et des emplois du temps, les rythmes de vie sont, je le soulignais, de plus en plus des « rythmes de villes » et, plus particulièrement, aurais-je dû préciser, des « rythmes de femmes urbaines ». Attentives à concilier vie privée et vie professionnelle, elles imposent leurs nouvelles normes dans le modèle familial : diminution des portions alimentaires, essor des plats préparés, alternatives à la voiture, etc.
L'accélération, la densification des rythmes, les nouveaux emplois du temps sont des thèmes auxquels mon équipe et moi sommes très sensibles, notamment parce qu'ils entraînent de nouvelles représentations. Mme Robert l'a rappelé, tout cela ressort davantage d'une vision subjective. Mais il existe des enquêtes très objectives pour mesurer, si je puis dire, le subjectif. Grâce aux échelles d'attitude et aux enquêtes d'opinion, il est possible de croiser les données et de reconstituer de façon très précise la subjectivité temporelle. Comment les gens s'imaginent-ils le temps qui passe, le déroulé d'une journée ? Qu'entendent-ils par « être pressé » ou « perdre du temps » ? Des modèles très précis permettent de répondre à ces questions et beaucoup de choses passionnantes sont à lire sur le sujet.
Sur le nombre de divorces, je confirme à M. Fouché le taux de 44 % en moyenne nationale. Dans la dernière publication annuelle sur les évolutions de la démographie française, on peut lire ce sous-titre : « Le nombre de divorces continue à augmenter. » Il s'agit d'ailleurs, si ma mémoire est bonne, du taux de divorce dans les cinq ou sept premières années de mariage. Le pourcentage global doit donc être encore plus élevé. Il n'empêche que, selon les métiers, les âges, les milieux, la conception qu'on se fait de la famille, de l'affectivité, diffère. Cela reste une moyenne statistique.
Je terminerai sur les critiques qui m'ont été adressées par M. Collombat, auquel j'espère ne pas avoir fait fausse impression. Peut-être ai-je « brassé » trop de notions trop rapidement. Je me suis efforcé d'être, non pas pessimiste ou optimiste, mais réaliste, de synthétiser les grandes tendances, ni souhaitables ni haïssables, de la société. Il revient à chacun de nous de réfléchir à transformer ces futurs probables en futurs souhaitables. La prospective, c'est connaître les tendances passées et présentes pour imaginer les futurs probables, pour mieux prendre la décision construisant les futurs souhaitables. Moi-même je suis plutôt optimiste de nature.