Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de Mme la présidente Annie David, la commission des affaires sociales avait demandé voilà deux ans à la Cour des comptes une enquête sur la situation des maternités en France.
Les conclusions de cette enquête ont été présentées devant la commission le 21 janvier dernier par le président de la sixième chambre de la Cour, M. Antoine Durrleman, lors d’une table ronde à laquelle participaient également, sur notre invitation, deux directeurs généraux d’agences régionales de santé et les représentants de la Fédération hospitalière de France.
L’étude conduite par la Cour a impliqué plusieurs chambres régionales des comptes, ce qui a permis d’affiner les analyses grâce aux éléments plus précis recueillis dans six régions de métropole et en Guyane.
Compte tenu de l’ampleur de ce travail, des nombreuses questions qu’il soulève et des enjeux de santé publique qu’il aborde, il nous a paru nécessaire de prolonger la discussion et d’échanger avec le Gouvernement sur ce volet tout à fait essentiel de notre organisation sanitaire.
Je vous remercie donc, madame la ministre, de participer à notre débat pour nous dire dans quelle mesure les constats et recommandations de la Cour des comptes rejoignent, ou non, l’analyse du Gouvernement et les actions qu’il envisage ou qu’il a déjà engagées.
Je voudrais dire d’emblée que ce rapport ne saurait se réduire à la seule question du maintien ou de la fermeture de certaines maternités, sur laquelle semble se focaliser l’intérêt des médias. Le document, je tiens à le préciser, ne comporte d’ailleurs aucune liste de sites dont la Cour préconiserait la cessation d’activité.
De la même manière, si la Cour, conformément à sa vocation, s’est livrée à une analyse économique et financière de l’activité hospitalière en maternité, elle ne s’est pas limitée, tant s’en faut, à cette seule dimension. Elle a également apporté des éclairages très approfondis sur les difficultés de recrutement des établissements dans les spécialités médicales liées à la périnatalité, le niveau des équipements techniques, les conditions d’accès aux soins ou le suivi médical des femmes enceintes.
Enfin, je ne crois pas que la Cour des comptes ait voulu dresser un tableau alarmiste de la situation des maternités en France, même si elle ne dissimule pas leurs difficultés et leurs fragilités.
Elle constate que la restructuration, d’une ampleur sans précédent, intervenue durant les quarante dernières années s’est opérée pour l’essentiel sans compromettre l’accès aux soins. Elle attire toutefois l’attention sur les zones isolées, l’efficacité inégale des réseaux de périnatalité et une articulation parfois mal assurée du suivi des grossesses.
Elle estime aussi que la sécurité de l’activité d’obstétrique s’est améliorée depuis quinze ans, mais elle insiste, à juste titre, sur le fait que les normes de sécurité et d’organisation fixées par les décrets de 1998 sont encore insuffisamment respectées.
Bref, cette enquête s’est efforcée d’évaluer la pertinence de notre organisation en termes d’accès à des soins de qualité, de cohérence réglementaire et de financement. Sur la base de constats objectifs, elle invite les pouvoirs publics à réfléchir aux voies d’amélioration possibles et à anticiper les évolutions nécessaires. Sinon, nous nous trouverions contraints de prendre, dans l’urgence, des décisions brutales, lorsque surviennent, malheureusement, des événements dramatiques, comme ce fut le cas à la maternité d’Orthez voilà quelques mois.
Madame la ministre, Jean-Marie Vanlerenberghe, notre rapporteur général, vous interrogera dans un instant sur les réponses qui peuvent être apportées aux observations ou propositions contenues dans ce rapport.
Pour ma part, je m’en tiendrai à quelques points essentiels.
J’évoquerai tout d’abord l’état des lieux des spécialités médicales présentes en maternité et leurs perspectives d’évolution démographique.
Face aux départs en retraite massifs qui s’annoncent, tant en obstétrique qu’en pédiatrie ou en anesthésie-réanimation, le flux de formation dans ces spécialités n’a été relevé que de manière limitée, et dans des proportions moindres que pour le numerus clausus global. Au-delà de cette situation générale préoccupante, la Cour met en évidence des disparités géographiques considérables et des difficultés de recrutement, tant en zones rurales que dans certaines zones urbaines, partiellement compensées par des solutions qu’elle juge précaires et onéreuses, comme le recours à l’intérim médical ou à des médecins ayant obtenu leur diplôme à l’étranger.
Il s’agit là bien évidemment d’un obstacle majeur à l’application uniforme sur le territoire national des normes d’encadrement médical et du principe de permanence des soins prévus par les décrets de 1998.
Vous nous communiquerez, madame la ministre, les solutions envisageables pour remédier à ces difficultés. Je pense toutefois que la question de l’attractivité des postes en maternité ne peut pas être traitée en faisant abstraction de l’aspiration de plus en plus affirmée des jeunes médecins à exercer en équipe et à disposer de plateaux techniques adaptés.
L’enquête de la Cour dresse aussi le bilan de la structuration des maternités selon les types de grossesses prises en charge, les niveaux de soins à apporter aux nouveau-nés et les moyens pouvant être mis en œuvre.
Ce principe directeur des décrets de 1998 n’a pas été mis en œuvre ex nihilo. Appliqué à l’équipement préexistant, il l’a fait évoluer sans totalement le bouleverser, ce qui permet d’expliquer des situations que la Cour juge parfois peu cohérentes par rapport à une couverture optimale des besoins sur l’ensemble du territoire et une prise en charge dans les structures les plus adaptées à chaque type de grossesse.
Face à ce constat, le Gouvernement considère-t-il possible et souhaitable d’aller plus loin, comme l’y invite la Cour des comptes, ce qui impliquerait à la fois une planification plus affirmée des équipements, une articulation ville-hôpital plus poussée et une orientation plus directive des patientes ?
Enfin, je souhaite insister sur la qualité et la sécurité des soins, qui me semblent constituer le véritable fil conducteur de cette enquête.
C’est en effet un point sur lequel la Cour revient à de multiples reprises, lorsqu’elle évoque les normes d’effectifs insuffisamment respectées, les retards dans la mise en conformité des locaux, la nécessité de systématiser les analyses des résultats de périnatalité en vue d’améliorer les pratiques médicales ou encore les précautions spécifiques à prendre pour les établissements fonctionnant selon des modalités dérogatoires.
La grossesse n’est pas une pathologie et, dans l’immense majorité des cas, elle se déroule heureusement sans anomalie. L’issue peut toutefois s’en révéler dramatique, lorsque les moyens nécessaires à une prise en charge adaptée font défaut.
Le débat sur le lien entre proximité et sécurité reste bien entendu très prégnant. On peut toutefois observer que le critère de la sécurité est souvent privilégié par nos concitoyennes. L’enquête le confirme en soulignant l’attraction exercée par les maternités de niveau II ou III et le « taux de fuite » affectant les maternités de niveau I, sauf lorsqu’elles se situent dans des zones très isolées n’offrant pas d’alternative.
La proposition de la Cour visant à mener une enquête épidémiologique pour préciser la relation entre l’éloignement des parturientes des maternités et les résultats de périnatalité a recueilli une large approbation au sein de notre commission.
Une telle étude serait de nature à clarifier un débat qui, en tout état de cause, ne doit pas occulter les nombreux autres enjeux liés à la prise en charge de la maternité.
Telles sont, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler en introduction à un débat qui porte sur un sujet particulièrement sensible.
Je crois que l’enquête effectuée par la Cour des comptes apporte des éléments d’information utiles et comporte des réflexions stimulantes. Nous serons naturellement très attentifs aux réponses qu’apportera le Gouvernement aux constats et recommandations qu’elle a formulés.