Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’évidence, la question des maternités passionne l’opinion et les élus. Il faut dire que c’est un sujet sensible. Vos interventions l’ont montré, tant vous avez mis d’engagement à défendre vos territoires et les maternités qui s’y trouvent, que ce soit en France métropolitaine ou outre-mer.
Il s’agit de savoir dans quelles conditions on donne la vie dans notre pays et comment les femmes sont prises en charge, accompagnées et ramenées à leur domicile.
Chaque année, près de 800 000 bébés naissent en France. C’est considérable ! Au-delà du chiffre, ce sont 800 000 aventures humaines qui commencent dans les maternités. Le lieu de naissance n’est pas seulement le nom d’une ville inscrite sur une carte d’identité ou un passeport, il est attaché à des souvenirs, le plus souvent heureux, qui permettent d’écrire l’histoire familiale.
Tout cela crée un attachement réel à des établissements, à des équipes soignantes. Ainsi, dans mon département où certains établissements réalisent la quasi-totalité des accouchements de ce territoire, sur le papier, tout le monde est né au même endroit. Cela donne l’occasion d’échanger des souvenirs, de se raconter des histoires. Sur le modèle des souvenirs d’écoliers, où l’on se demande si l’on a eu telle maîtresse ou tel maître, on se demande quelle sage-femme, quel médecin nous a accompagnés, pris en charge, comment était le service au moment de notre séjour.
Si cet attachement mémoriel reste intact, la carte de nos maternités, elle, a considérablement changé au cours des dernières décennies. En effet, notre pays s’est beaucoup transformé, de grands progrès médicaux ont été réalisés, qui ont accru le niveau d’exigence dans la qualité de prise en charge des parturientes.
La carte des maternités de 2015 n’a donc plus rien à voir avec celle des décennies précédentes. Depuis un demi-siècle, un certain nombre des maternités de notre pays ont fermé et nous vivons un vaste mouvement de restructuration de nos établissements. Pour autant, nous ne pouvons considérer que cette restructuration s’est traduite par une dégradation de la prise en charge de la naissance, bien au contraire. Un double mouvement s’est engagé avec, d’une part, une concentration des maternités autour d’un seuil minimum d’activité et, d’autre part, la définition d’une organisation graduée des prises en charge en trois niveaux : maternités de niveau I, II ou III. Ce changement a constitué un progrès réel. J’y reviendrai dans un instant, mais je tiens à dire d’emblée que ce mouvement n’est pas contradictoire avec l’affirmation d’un principe de proximité qui répond à des attentes, à des besoins et à des préoccupations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez souligné, le fil conducteur de cette restructuration est clair, c’est celui de la sécurité. Si la sécurité est une exigence, elle est surtout la clef de la confiance. Ne nous y trompons pas : notre population est à la fois attachée à des maternités de proximité et absolument intraitable sur le niveau de sécurité que les femmes et les bébés sont en droit d’y trouver.
Vous l’avez souligné, notre pays s’enorgueillit d’avoir des niveaux de fécondité parmi les plus élevés d’Europe. Les femmes, mais aussi les hommes, ont confiance dans la prise en charge des accouchements. Or la confiance ne se décrète pas. C’est pourquoi nous devons de façon régulière réactualiser l’état de nos connaissances. C’est tout l’enjeu du rapport demandé à la Cour des comptes par l’ancienne présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, Annie David. Ce document, qui, comme l’a souligné l’actuel président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, est d’une subtilité beaucoup plus grande que ce que certains ont laissé croire, dresse un constat qui doit nous interpeller, au-delà de la question même de la localisation des maternités.
Ce rapport souligne en effet que notre pays présente encore des indicateurs de périnatalité qui ne sont pas à la hauteur des ambitions et de la qualité de notre système de santé. Qu’il s’agisse du nombre d’enfants qui naissent sans vie, de ceux qui décèdent après l’accouchement ou des mères qui décèdent en donnant la vie, la France a encore beaucoup de progrès à réaliser. S’il existe un débat sur la pertinence des comparaisons européennes ou internationales qui sont établies sur la base de ces indicateurs, pour des raisons de méthode sur lesquelles je ne m’étendrai pas, il n’en demeure pas moins qu’il nous faut agir.
Agir, c’est d’abord regarder la réalité en face. L’attention médiatique qui a accompagné la publication du rapport de la Cour des comptes s’est très largement focalisée sur les quelques situations locales qui y sont mentionnées, et tous les intervenants ont évoqué la précipitation avec laquelle ils ont lu ce rapport pour savoir ce qu’il en était de leur propre département. Si ces situations méritent une attention particulière, je veux dire avec la plus grande fermeté qu’elles ne sont pas à l’origine de la faiblesse de nos indicateurs en périnatalité. Les défis qui sont aujourd’hui devant nous sont évidemment ceux du temps d’accès et de la démographie médicale, mais aussi et surtout ceux de la prévention, du suivi prénatal pour repérer les grossesses à risque et de l’accompagnement du retour à domicile.
Sur ces points, de très fortes inégalités sociales demeurent. Je prendrai pour seul exemple la recommandation faite aux femmes enceintes de bénéficier de sept consultations prénatales au moins. On observe que la part de femmes ayant eu moins de sept visites prénatales reste inversement proportionnelle au niveau d’études : 17 % des femmes ayant un faible niveau d’études n’y ont pas recours, contre moins de 5 % des femmes ayant un diplôme supérieur ou égal au baccalauréat. Il y a donc là des marges de progression. La question des conditions d’accès aux soins, qui, ainsi que l’a souligné Didier Guillaume, est l’un des enjeux de la mise en place du tiers payant, ne peut laisser indifférent.
Le premier objectif, c’est celui de la prévention et du suivi des femmes enceintes. La prévention regroupe tout un ensemble de mesures et d’attentions à des situations médicales et sociales qui ont un impact direct sur la mortalité néonatale.
J’évoquerai d’abord la question du tabac. J’ai eu l’occasion de rappeler une douloureuse réalité : la France est le pays d’Europe où les femmes enceintes fument le plus. Ainsi, 17 % de nos concitoyennes continuent de fumer pendant leur grossesse, même lorsqu’elles sont proches du terme. Or nous savons que le tabagisme augmente le risque de prématurité et de mort subite du nourrisson. C'est la raison pour laquelle j’ai annoncé la mise en place d’un nouveau pictogramme « femme enceinte » sur les paquets de cigarettes dès le mois d’août prochain, à l’instar de ce qui a été décidé pour l’alcool voilà plusieurs années. Il s’agit de sensibiliser les femmes au danger du tabac pendant leur grossesse.
L’obésité et le surpoids constituent également un important facteur de risque pour la santé des mères et des nouveau-nés. Le projet de loi relatif à la santé contient là aussi des mesures fortes de prévention, notamment la mise en place d’une information nutritionnelle claire et uniformisée sur les aliments.
Promouvoir cette politique de santé publique au plus près des patients est l’une des grandes missions du médecin généraliste. Depuis trois ans, j’ai considérablement revalorisé la rémunération du médecin traitant pour les actes de santé publique, et pas seulement pour les soins et les prises en charge sanitaires. Son rôle sera encore renforcé dans le cadre de ce texte.
Plusieurs d’entre vous, en particulier Didier Guillaume, ont évoqué le pacte territoire-santé qui a été mis en place et qui donne des résultats, y compris en Haute-Normandie où je me suis rendue voilà quelques jours. J’y ai visité un établissement de santé comptant l’une des rares maternités bénéficiant du label « ami des bébés », qui est très prisé à l’échelon tant national qu’international et qui est considéré comme une réussite en France. Madame Duranton, la région Haute-Normandie répond donc très bien aux besoins et aux attentes de ses habitantes.
Les enjeux d’attractivité sont clairement posés. C’est la raison pour laquelle j’ai confié une mission à Jacky Le Menn afin qu’il formule des propositions pour que les praticiens hospitaliers aient envie de s’installer dans ces établissements. L’installation de la médecine libérale, la présence des hôpitaux de proximité, ces deux facteurs sont liés, parce qu’il n’y a d’hôpitaux que là où il y a des territoires vivants et il n’y a de médecine libérale que là où les hôpitaux de proximité demeurent. C’est cette politique que je défends.
Vous avez été peu nombreux à évoquer la coercition à l’égard des médecins libéraux : les propos en faveur d’une telle mesure émanaient de la majorité sénatoriale, c’est-à-dire de l’opposition nationale. Les professionnels de santé entendront. Ce n’est en tout cas pas la position du Gouvernement.
Le deuxième objectif, c’est celui de la coordination et des parcours.
Pour lutter contre la prématurité évitable, il nous faut renforcer la coordination des acteurs impliqués dans la périnatalité et harmoniser leurs pratiques. Pour assurer la fluidité des parcours, éviter les ruptures et garantir ainsi à toutes les femmes une offre de qualité, les réseaux régionaux de périnatalité constituent un acteur incontournable. Ils assurent des formations pluridisciplinaires aux professionnels et offrent un appui méthodologique aux établissements pour améliorer leur organisation et leurs pratiques. Je donnerai très prochainement aux directeurs généraux des agences régionales de santé l’objectif de consolider ces réseaux de santé en périnatalité et de mobiliser tous les acteurs concernés pour couvrir l’ensemble du territoire régional.
Vous m’avez demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, si les actions sanitaires des agences régionales de santé étaient vérifiées, contrôlées. Je tiens à vous rassurer : le ministère de la santé s’assure bien entendu que les objectifs fixés à chacune des agences régionales de santé, qu’il s’agisse de la mise en place d’actions de prévention, d’actions de réseau ou du suivi des établissements, sont respectés et mis en œuvre conformément aux exigences que nous posons.
La mise en place des réseaux de soins n’est pas tant un enjeu organisationnel qu’un enjeu social. Cela a déjà été dit, les femmes en situation de précarité sont les plus exposées aux risques de complications. Nous devons donc faire en sorte que toutes les femmes soient bien accompagnées au cours de leur grossesse. J’insiste sur ce point, car qui ne mesure pas que nos mauvais indicateurs de périnatalité sont dus à un défaut de prévention et d’accompagnement de certaines catégories de la population n’a pas compris les véritables défis posés à notre système de santé.
Nous devons donc développer le suivi en amont en favorisant par exemple les consultations avant même le début de la grossesse afin d’évaluer d’éventuels facteurs de risque. Nous devons également améliorer le suivi pendant la grossesse pour dépister ces facteurs et, le cas échéant, orienter les patientes concernées vers un professionnel ou une structure adaptée.
Dans certains départements – vous les reconnaîtrez aisément –, des femmes se présentent le jour de leur accouchement sans avoir vu un seul professionnel au cours de leur grossesse. Comment peut-on imaginer que la santé de ces femmes et de leurs enfants puisse être de la même qualité que celle des femmes ayant vu un médecin tous les mois au cours de leur grossesse ? Nous devons prendre en compte cette réalité, laquelle est concentrée dans quelques territoires et dans quelques départements.
Nous devons aussi garantir un bon suivi après la grossesse en organisant mieux l’accompagnement des femmes à leur retour à domicile, en lien avec les professionnels de santé. Le dispositif PRADO mis en place par l’assurance maladie constitue un élément important.
De même, nous devons diversifier l’offre de prise en charge des naissances. Les maisons de naissance, que vous connaissez, car elles résultent d’une proposition de loi sénatoriale, seront prochainement expérimentées. Il s’agit de permettre à des femmes d’accoucher dans des structures où les prises en charge sont assurées par des sages-femmes, dans une logique physiologique et de moindre médicalisation, mais qui sont adossées à des établissements totalement sécurisés.
Le troisième objectif, c’est l’accès aux maternités dans la proximité et la sécurité. Les 13 maternités – sur un total de 544 – dont le nombre annuel d’accouchements ne dépasse pas 300 ont été abondamment évoquées. La Cour des comptes estime qu’il est nécessaire d’organiser un suivi spécifique de ces établissements. Je tiens à vous rassurer : ces 13 maternités sont suivies attentivement, et dès lors qu’elles respectent les règles de sécurité, elles pourront poursuivre leur activité. Ce chiffre signifie aussi que la plus grande partie des recompositions a été faite dans de bonnes conditions.
La question qui se pose est de savoir dans quelles conditions les femmes peuvent accoucher à proximité de leur domicile et en toute sécurité. Proximité et sécurité sont non pas de simples objectifs qui peuvent être opposés ou mis en balance, mais deux exigences essentielles. Depuis que je suis aux responsabilités, j’ai constaté que, à chaque fois que des doutes ou des inquiétudes se sont manifestés sur des situations locales, c’est bien à l’aune de ces deux critères que les agences régionales de santé ont pris les décisions qui s’imposaient.
En 2016 – je réponds en particulier à une question de M. Milon, reprise ensuite par M. Vanlerenberghe –, nous disposerons des données nécessaires pour évaluer les effets de l’éloignement des maternités sur les indicateurs de périnatalité. Sans revenir sur le raisonnement que j’ai déjà tenu, je ne pense pas que l’éloignement soit le facteur principal expliquant nos mauvais résultats. Les enjeux de santé publique que j’ai évoqués sont bien plus importants.
Pour garantir des conditions d’accouchement absolument sûres, nous devons être intraitables sur le respect des normes d’organisation et de fonctionnement dans les établissements de santé. La Cour des comptes a fait des préconisations en ce sens, en particulier sur la présence de personnels qualifiés, mais aussi sur la disponibilité d’un plateau technique adapté.
La présence de sages-femmes, d’anesthésistes, d’obstétriciens et de pédiatres est évidemment indispensable. Je le dis, car, alors que chacun déclare ici qu’elle est évidemment indispensable, il arrive que, sur le terrain, alors que l’un ou l’autre manque, on voudrait faire comme si l’on pouvait s’en passer. On ne peut pas se passer de sages-femmes, d’anesthésistes, d’obstétriciens et de pédiatres dans les maternités !
Dans certains établissements, le recrutement de ces personnels se révèle difficile et la stabilité des équipes est complexe à préserver. Maintenir l’attractivité des professions médicales dans tous les établissements de santé est pour moi un enjeu majeur. À cet égard, je serai évidemment très attentive aux conclusions du rapport que me remettra prochainement votre ancien collègue Jacky Le Menn.
Quand les conditions de sécurité ne sont pas réunies, nous devons assumer de dire que la solution est non pas dans le maintien à tout prix d’une maternité, mais dans la définition de réponses nouvelles et mieux adaptées à un territoire, par exemple la mise en place de centres périnatals de proximité. Ces structures médicales assurent des consultations prénatales et post-natales au plus près des patientes. Les sages-femmes y jouent un rôle essentiel. Elles s’insèrent pleinement dans les réseaux de santé périnatals.
Je tiens à profiter de cette occasion pour rappeler la grande avancée que constitue la création d’un statut médical de sage-femme des hôpitaux au sein de la fonction publique hospitalière. Ce nouveau statut reconnaît leur place essentielle à l’hôpital et leur participation en ville à la définition des projets de prévention, de soins et de recherche relevant de leurs compétences.
Parfois, néanmoins, il est vrai que la distance peut faire peser un risque sur l’accouchement des femmes, même si je ne pense pas que l’on puisse dire que, dans notre pays, le nombre de femmes accouchant sur les routes soit très élevé. Si la diminution du nombre de maternités n’a pas dégradé le temps d’accès moyen – dix-sept minutes entre le domicile et la maternité, selon la Cour des comptes –, il existe incontestablement des disparités fortes. Malgré un faible niveau d’activité, certaines maternités sont donc maintenues dès lors qu’elles répondent à une exigence territoriale et que la sécurité y est assurée.
Le Gouvernement soutient les établissements de proximité. Agir en faveur des soins de proximité, tel est le sens de mon action, car je pense fortement que la présence d’établissements de santé dans nos territoires est un facteur d’égalité et d’efficacité. En tant qu’élue d’un territoire à la fois urbain et rural, je sais l’importance des établissements de proximité en milieu rural.
Nous devons renforcer les liens avec les maternités voisines et les professionnels de santé du territoire. Tel est le sens des groupements hospitaliers de territoires que prévoit le projet de loi relatif à la santé. Ils doivent permettent d’insérer chaque établissement, dont les établissements de proximité, dans un réseau d’établissements, dont certains ont un niveau de technicité plus élevé. Ces groupements hospitaliers de territoires renforceront les coopérations entre hôpitaux d’un même territoire. Leur rôle sera en particulier important pour les maternités.
Pour limiter les effets du faible nombre d’actes sur la situation financière de certains établissements, j’ai décidé de leur apporter un soutien financier. J’ai ainsi mis en place un dispositif permettant de compléter la tarification à l’activité, dont nous savons qu’elle est partiellement inadaptée aux établissements isolés, qui ont, par construction, une faible activité. En 2014, trente-quatre maternités ont ainsi bénéficié d’importantes aides financières en raison de leur isolement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France dispose d’un système de santé envié dans le monde entier. L’excellence de nos pratiques, la mobilisation de nos professionnels, la garantie de l’accès de tous nos concitoyens aux structures de soins sont autant de raisons d’avoir confiance dans l’avenir de notre système.
Le rapport de la Cour des comptes nous rappelle que, en matière de naissances, notre pays peut et doit encore progresser. Mieux prévenir, mieux coordonner et mieux sécuriser : telles sont les ambitions de la politique que je porte pour les maternités, pour nos établissements de santé et pour l’offre de soins de manière plus générale. Ces ambitions trouveront une traduction dans le projet de loi relatif à la santé, que vous examinerez très prochainement.
Ma détermination en faveur de la qualité de l’offre de soins, de l’accessibilité, de la proximité et de la sécurité est absolument intacte, et je sais pouvoir compter sur la vôtre, ainsi que sur votre vigilance.