Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la question binaire posée par le débat de ce jour, il me semble indispensable de déterminer les objectifs visés par le service civil et d’entamer une réflexion sur les modalités de son organisation, afin de mieux évaluer un financement qui se doit d’être réaliste et pérenne.
Car que voulons-nous, et comment allons-nous y parvenir ?
Le débat n’est pas nouveau, mais c'est aujourd’hui une impérieuse nécessité pour notre société, qui a connu, en quelques décennies, d’importantes mutations et a vu un grand nombre des socles qui la constituaient se modifier profondément.
C’est après la disparition du service national, en 1997, que plusieurs réflexions furent entamées pour qu’un temps d’engagement soit proposé aux jeunes, afin de maintenir une dynamique d’intégration dans la société et renforcer l’adhésion aux valeurs de la République.
C’est dans cet esprit que fut créé, par la loi du 10 mars 2010, l’actuel service civique.
Il est aujourd’hui proposé aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, pour un engagement de six à douze mois, et une durée hebdomadaire de travail minimale de vingt-quatre heures et maximale de quarante-huit heures. Il est rémunéré à hauteur de 570 euros par mois.
Son objectif est de renforcer la cohésion nationale et d’offrir aux jeunes volontaires l’opportunité de s’engager en faveur d’un projet collectif d’intérêt général. Les missions proposées sont à caractère éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. Elles sont effectuées auprès d’associations, de collectivités territoriales – mairies, départements, régions – ou d’établissements publics, comme des musées, des collèges ou des lycées.
Le nombre de jeunes engagés est passé de 6 000 en 2010 à 35 000 en 2014. L’an passé, 120 000 candidatures ont été reçues, mais elles n’ont pu toutes être acceptées, faute de financement.
Le budget alloué par la loi de finances pour 2015 pour l’engagement et le volontariat du service civique a été de 125 millions d’euros, auxquels devraient s’ajouter 18 millions d’euros de cofinancement communautaire, permettant ainsi d’atteindre l’effectif de 40 000 jeunes retenus en 2015. La loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 prévoit une augmentation de 100 millions d’euros complémentaires d’ici à 2017, mais elle ne suffira pas à financer le nombre envisagé de 100 000 volontaires qui s’engageraient dans les conditions actuelles.
Lors d’une récente conférence de presse, le Président de la République a annoncé vouloir ouvrir le service civique à tous les volontaires ; cela pourrait concerner entre 120 000 et 160 000 jeunes et représenter un budget pour l’État, hors coût laissé à la charge des structures d’accueil, d’environ 600 millions d’euros, ainsi que l’a estimé François Chérèque, président de l’Agence du service civique.
En outre, et toujours selon François Chérèque, si le service civique devenait obligatoire dans sa forme actuelle, son coût serait de 3 milliards d’euros par an.
Outre la charge financière extrêmement lourde que représente le service civique, sa finalité même semble loin d’être atteinte. Plusieurs études, dont un rapport publié par la Cour des comptes en 2014, indiquent que l’objectif de mixité sociale n’est que très partiellement atteint et que de nombreuses lacunes subsistent en matière de tutorat et de formation, ainsi que dans l’offre de missions.
En fait, il ressort que le dispositif actuel constitue, pour la majorité des jeunes volontaires interrogés, une occasion de construction personnelle. Le dispositif semble s’inscrire davantage dans une politique d’emploi en faveur des jeunes, voire de lutte contre le décrochage scolaire, que dans une réelle démarche d’apprentissage du civisme.
Tout aussi louable que soit cette chance offerte aux jeunes, le service civique actuel ne semble répondre ni au questionnement ni aux attentes exprimées par l’opinion publique et les hommes politiques depuis les attentats terroristes qui ont frappé la France en janvier dernier.
De plus, son caractère facultatif altère la symbolique forte d’une République s’engageant pour instaurer ou restaurer les valeurs sur lesquelles elle s’est construite.
Car, en réalité, quels objectifs voulons-nous atteindre ?
Ne s’agit-il pas, prioritairement, de réaffirmer le principe de réciprocité sur lequel est fondée notre République, en redéfinissant avec force et précision l’indissociable socle des droits et des obligations de chaque citoyen ?
Ne s’agit-il pas d’œuvrer pour éviter que certains jeunes, plus fragiles que d’autres, en rupture avec leur milieu familial et scolaire, en manque de repères et influençables, ne se retrouvent en déshérence socioprofessionnelle ou ne deviennent la proie d’organisations criminelles ou terroristes ?
Ne s’agit-il pas de rassembler et motiver les jeunes dans un élan d’appartenance nationale, garant du respect des identités, tout en incitant à la mixité sociale ?
Ne s’agit-il pas, enfin, d’éveiller aux valeurs de l’engagement, de la solidarité et de l’intérêt général ?
Alors, comment adapter et organiser cet enseignement et cet engagement civique sans altérer plus encore nos finances publiques, tout en leur conférant un cadre universel et efficace ?
Bien que le débat d’aujourd’hui n’en soit pas l’objet, je souhaite vous livrer quelques pistes de réflexion pouvant mener à l’élaboration de ce que je nommerai un « parcours citoyen ».
Ne peut-on envisager un premier temps d’apprentissage, au sein des établissements scolaires, dispensé, partiellement ou non, sur le temps scolaire, dès la sixième, par exemple ?
Cet enseignement pourrait être constitué d’un socle thématique reprenant les fondements de l’histoire et des valeurs qui ont construit notre République et ses institutions. Il pourrait être animé par des intervenants issus du milieu politique, des services de sécurité et de justice, ou par d’autres acteurs investis dans les domaines social et économique. Il pourrait être complété par des visites au sein des principales institutions de notre pays, des associations et des entreprises.
Ce parcours citoyen pourrait faire l’objet d’une épreuve intégrée, en fin de troisième, au brevet des collèges. Un « livret de vie civile » viendrait confirmer ce premier enseignement.
Ne peut-on envisager, en complément, un temps d’expérience et d’engagement civique, à accomplir entre 16 et 20 ans, d’une durée obligatoire d’un mois et pouvant être prolongé de façon facultative jusqu’à trois mois ?
Afin de ne pas pénaliser les jeunes ayant besoin de travailler pour financer leurs études, un dédommagement financier devrait être envisagé. D’autres avantages, tel un accès simplifié et réduit au permis de conduire, pourraient être également proposés aux jeunes volontaires.
Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet. Il existe, j’en suis persuadé, de nombreuses pistes de réflexion permettant de conduire à l’élaboration cohérente et adaptée d’une conscience civique.
Car, de la même façon que l’instruction a permis de réduire l’ignorance et ses entraves, l’apprentissage du civisme doit permettre de renforcer le respect du jeune citoyen envers la collectivité, ses conventions et ses lois.
Et, de la même façon que l’instruction fut rendue obligatoire, cet apprentissage du civisme, j’en suis convaincu, doit aujourd’hui devenir obligatoire.
Cette opinion semble d’ailleurs partagée par la majorité des Français, puisque 73, 8 % d’entre eux plébiscitaient l’idée d’un service civique obligatoire, contre 65 % en mai 2014, comme l’indiquait, le 29 janvier dernier, un sondage réalisé par le journal 20 minutes.
Cela étant, mes chers collègues, je souhaite terminer sur un simple mais ferme constat : le civisme ne concerne pas seulement les plus jeunes. Pour qu’il puisse s’inscrire durablement dans notre société, il est essentiel que chacun d’entre nous, dans l’exercice quotidien de son rôle, de ses missions ou de ses fonctions, par ses paroles et par ses actes, œuvre pour lui donner tout son sens, toute sa cohérence, et le brandisse comme un repère infaillible pour notre jeunesse.