Intervention de André Reichardt

Réunion du 5 mars 2015 à 10h30
Débat sur le thème « service civil : volontaire ou obligatoire ? »

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Ainsi posée, cette question en suscite immédiatement d’autres : pour quoi faire ? Quel est l’objectif du service civil ? S’agit-il de mettre le pied à l’étrier à des jeunes en décrochage scolaire, sans formation, sans diplôme et donc, dans les circonstances actuelles, sans emploi ? Ou s’agit-il d’une planche de salut pour une société aux prises avec un communautarisme de plus en plus prégnant et qui cherche à renforcer sa cohésion nationale ?

Selon la réponse apportée à cette dernière question, l’interrogation sur le caractère volontaire ou obligatoire du service civil prendra immanquablement un autre éclairage.

De quoi s’agit-il en effet ? Une période de six à douze mois – huit, en moyenne – pendant laquelle un jeune de 16 à 25 ans effectue une mission d’intérêt général, au sein d’une association, d’une collectivité locale ou d’un établissement public, plus particulièrement dans les secteurs de la santé, de la solidarité et du sport, mission pour laquelle il est rémunéré 573 euros par mois exactement.

Ainsi défini et conçu, le service civil peut effectivement servir à tous les jeunes qui, sans formation et sans emploi, ont le sentiment d’être sans avenir et qui, pour un certain nombre d’entre eux, malheureusement, basculent dans la petite délinquance, la drogue ou autres parcours de vie chaotiques.

Ceux-ci, que la société française, système scolaire en tête, laisse, hélas, au bord du chemin, doivent assurément être aidés. Le service civil peut constituer à leur égard une première occasion de reprendre confiance en eux, de se sentir utiles, de faire des rencontres différentes, d’apprendre des choses, bref, de retrouver foi en leur avenir.

Certes, des dispositifs autres permettent déjà de lutter dans cette direction. Je pense particulièrement à l’apprentissage, célébré hier, lors des Quinzièmes rencontres sénatoriales de l’apprentissage. Il obtient des résultats extraordinaires et il faut absolument le développer, en lui donnant les moyens qui lui manquent. Cela étant, ces dispositifs complémentaires laissent encore trop de jeunes hors de leur champ d’action et les besoins, on le sait, sont si importants !

Dès lors, pour cette catégorie de personnes, il me semble que l’efficacité du service civil ne peut pas reposer sur son caractère obligatoire, mais bien plutôt sur la qualité de la mission et de l’engagement proposé. Il y a actuellement à peu près cinq candidats pour chaque mission : à cet égard, le défi prioritaire est non pas d’augmenter le nombre de postulants en rendant ce service civil obligatoire, mais bien plutôt de faire émerger beaucoup plus de missions de qualité, comme le prônait déjà la Cour des comptes en 2014.

C’est de cette capacité à offrir un nouvel horizon à ces jeunes, avec des encadrants de qualité – cela ne va pas de soi, car on ne s’improvise pas référent de jeunes en difficulté – que dépendra la montée en puissance du service civil. Il devra, soit dit en passant, continuer à être rémunéré, et garder une durée en relation avec le sens d’un engagement civil, au sens étymologique et strict du mot « engagement. »

Par ailleurs, le service civil peut incontestablement constituer un outil en faveur de la cohésion nationale et reconstituer le creuset républicain, perdu depuis la suspension du service militaire obligatoire en 1997. L’école, à laquelle aurait pu incomber cette tâche, n’y parvient malheureusement pas. Au lieu de combler les inégalités de départ, elle les aggrave même parfois.

Dès lors, le service civil qui, souvenons-nous, était déjà une forme d’alternative au service militaire obligatoire, ne pourrait-il pas, à nouveau, jouer ce rôle et devenir lui-même obligatoire aujourd’hui ?

Pour ma part, j’y suis plutôt favorable, mais à la double condition que, d’une part, l’on ne transige pas avec le concept d’« engagement civil », et que, d’autre part, l’on en trouve les moyens.

Ne pas transiger avec la notion d’« engagement civil » signifie clairement que l’on ne diminue pas la durée du service, par exemple à trois mois, comme certains ont proposé de le faire, notamment le Président de la République. En effet, ne consacrer que quelques semaines à une mission qui ne présentera inévitablement qu’un intérêt mitigé, et que le jeune souvent n’aurait pas choisie, s’apparentera plus pour lui à une perte de temps – comme l’était pour certains le service militaire, mes chers collègues – voire à une punition, plutôt qu’à un engagement sociétal.

Par ailleurs, dès lors qu’il s’agit de créer, à l’instar du service militaire, ce creuset républicain où se rencontreront des jeunes issus de cultures et de niveaux sociaux différents – c’est la définition même du creuset -, ce sont 800 000 missions de qualité qu’il s’agira de mobiliser chaque année, correspondant à la totalité d’une classe d’âge.

Pour y parvenir, la réflexion devra porter à tout le moins sur une redéfinition totale de la notion de « service civil ». À cet égard, les inégalités dans le choix des missions pour les différentes catégories de jeunes devront être proscrites, sinon, cela n’aura servi à rien.

Nous devons également poser la question des moyens à mobiliser. Dans la mesure où le service civil serait obligatoire, conviendrait-il de le rémunérer à l’identique ? En maintenant la durée du service et le niveau de rémunération actuels, ce sont vraisemblablement de 3 et 4 milliards d’euros qu’il faudrait mobiliser chaque année !

Quoi qu’il en soit, même si l’on décidait de revenir sur le niveau de rémunération ou sur le principe même d’une rémunération, se poserait la question de la prise en charge des dépenses de la vie courante pour tous ces jeunes pendant la durée de leur service. L’enveloppe financière resterait assurément très importante.

En conclusion, le service civil obligatoire, s’il trouve sa justification dans la refondation – indispensable - du pacte républicain, devra, s’il veut être efficace, s’entourer d’exigences de qualité fortes. Il aura également un coût élevé. Mais, faute d’une autre forme de creuset républicain, à moins de rétablir le service militaire, et face à la perte de repères civiques de tant et tant de jeunes, n’est-ce pas le prix à payer ?

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