Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 mars 2015 à 9h06
Ratification de l'accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au fonds de résolution unique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur :

Ce projet de loi vise à autoriser la ratification d'un traité international portant sur le Fonds de résolution unique des banques de la zone euro. Il s'inscrit dans le cadre plus large de l'union bancaire, qui est l'une des réponses à la crise de la zone euro mises en place à partir de 2012. L'union bancaire part du constat que la crise a été alimentée par les difficultés budgétaires des États, elles-mêmes provoquées pour partie par les défaillances de banques qu'ils ont été contraints de secourir au prix fort. L'objectif de l'union bancaire est de briser ce cercle vicieux. Il s'agit d'abord d'organiser une supervision commune des établissements de crédit - c'est le Mécanisme de surveillance unique (MSU), sous l'égide de la BCE, qui est en vigueur depuis le 4 novembre dernier, et qui a été précédé par un exercice de tests de résistance au cours de l'année 2014.

Il s'agit ensuite de mettre en place une gestion commune des crises bancaires. C'est le mécanisme de résolution unique (MRU), qui s'organise autour d'une autorité nouvelle, le Conseil de résolution unique, agence de l'Union européenne composée de personnalités qualifiées et de représentants des autorités nationales de résolution comme l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Le MRU comprend trois volets :

- un volet préventif, qui oblige les établissements de crédit à se doter de plans de résolution, qui sont évalués par le Conseil de résolution unique ;

- un volet de résolution proprement dit en cas de défaillance bancaire, avec des pouvoirs spécifiques confiés à l'autorité de résolution, en particulier des cessions d'actifs, la création d'un établissement relais, la nomination d'un administrateur provisoire, etc ;

- enfin, un volet de financement de la résolution, composé de deux principaux outils : le renflouement interne, c'est-à-dire la possibilité d'éponger les pertes de l'établissement par la conversion en capital de certaines créances ; et un fonds de résolution, alimenté par l'ensemble des banques, et qui doit atteindre 1 % des dépôts de la zone euro, soit 55 milliards d'euros à échéance 2024.

Le MRU repose sur deux textes. D'abord, un règlement européen, qui est d'application directe. Il était cependant nécessaire d'adapter notre droit à ce règlement européen : tel est l'objet de l'ordonnance pour laquelle nous avons habilité le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dit « DDADUE ».

Ensuite, un traité international, signé par 26 des 28 États membres de l'Union européenne, le Royaume-Uni et la Suède n'étant pas signataires. Cet accord intergouvernemental (AIG) permet au fonds de résolution de fonctionner et, ainsi, donne à l'ensemble du MRU sa crédibilité financière.

À l'initiative de Richard Yung, notre commission avait introduit un amendement au projet de loi « DDADUE » visant à conditionner l'habilitation à ordonnance transposant le règlement européen à la ratification de l'AIG. Ainsi, en se prononçant sur l'AIG, nous statuons de fait sur l'ensemble du MRU.

L'amendement de notre commission des finances était lié à l'inquiétude que nous avions sur le montant des contributions des banques françaises au FRU. Ce montant n'est défini ni dans le règlement MRU, ni dans l'AIG, mais dans les actes délégués pris par la Commission européenne et le Conseil sur la base du règlement. Négociés à l'automne, ils ont été définitivement publiés en janvier 2015.

Pourquoi s'inquiéter du niveau des contributions des banques françaises ? L'inquiétude n'est pas d'ordre fiscal ou budgétaire, d'autant que les contributions ne diminuent pas les ressources de l'État, depuis que la dernière loi de finances rectificative les a rendues non déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. L'inquiétude est d'ordre économique : les marchés bancaires restant largement nationaux, ces contributions sont autant de ressources en moins pour le financement de l'économie française. À cet égard, ces contributions s'ajoutent à un ensemble de mesures prudentielles et fiscales qui représentent d'ores et déjà une part importante des revenus bancaires ; nous avons d'ailleurs marqué, lors de l'examen de la dernière loi de finances rectificative, notre opposition à un alourdissement de la fiscalité, à travers une non-déductibilité généralisée des taxes systémiques.

En outre, le mécanisme de résolution unique prévoit que les banques doivent d'abord éponger leurs pertes à hauteur de 8 % de leur passif sur leurs créanciers avant de recourir au fonds. S'agissant de la banque BNP Paribas, cela veut dire qu'elle devrait d'abord couvrir ses pertes par conversion de créances en capital à hauteur d'environ 140 milliards d'euros avant de recourir à un fonds qui disposera de 55 milliards d'euros au total à compter de 2024. On voit que la taille du fonds, même si elle semble importante à première vue, en fait un fonds de résolution destiné d'abord aux petits et moyens établissements bancaires. La probabilité est en effet très faible que la résolution d'établissements de la taille des principaux établissements français puisse être utilement financée par le FRU. La taille du fonds est sans commune mesure avec les fonds propres et le niveau du renflouement interne exigé des grands établissements.

Les banques françaises sont pourtant parmi les premières contributrices au Fonds. En effet, le montant des contributions est essentiellement déterminé de façon forfaitaire sur la base du total de passif, diminué des dépôts. Or, les banques françaises, concentrées et d'envergure internationale, ont un total de passif très important et un total de dépôts relativement faible en raison de l'épargne réglementée et de l'assurance-vie. Dès lors, elles auraient dû se retrouver les premières contributrices au fonds de résolution, devant les banques allemandes.

Cette situation ne correspondait cependant ni à la part qu'elles représentent dans le total des actifs de la zone euro, ni, surtout, à leurs risques, les tests de résistance de la BCE ayant montré leur solidité en comparaison d'autres secteurs bancaires, notamment italien mais aussi allemand.

Le Gouvernement a donc cherché à obtenir dans la négociation plusieurs ajustements dans la méthode de calcul pour réduire le montant des contributions des banques françaises. Trois principaux ajustements ont été obtenus.

Le premier, et le plus important, consiste à assurer une transition entre le montant qui aurait été demandé aux banques dans un système de résolution national et le montant versé en application du MRU. Pour les banques françaises, cette différence est très importante en raison de leur particularité précédemment mentionnée (un total de passif très important, mais peu de dépôts couverts). Les banques françaises auraient payé 11,1 milliards d'euros au fonds de résolution français, et auraient dû payer environ 17 milliards d'euros au FRU sans aucun ajustement. Pour réduire cette différence, la France a obtenu un système de transition. Il réduit d'environ 2 milliards d'euros les contributions des banques françaises. D'autres pays sont perdants, notamment l'Allemagne et l'Espagne.

Le deuxième ajustement, plus technique, concerne la valorisation des dérivés : pour le calcul du total de passif, ces derniers seront comptabilisés en « net », c'est-à-dire en tenant compte des accords de compensation qui leur sont souvent associés. Cela avantage particulièrement les banques françaises, qui sont d'importants acteurs européens des marchés des dérivés actions.

Le troisième ajustement est la neutralisation des expositions intragroupe. Cela permet de tenir compte de la structure des groupes mutualistes français, où les différentes caisses sont exposées les unes aux autres, sans que cela nuise à la solidité du groupe consolidé.

Ces deux derniers ajustements techniques permettraient de réduire d'environ 700 millions d'euros la contribution totale des banques françaises.

La France a cependant dû concéder certains éléments, en particulier la mise en place de contributions forfaitaires très faibles pour les petits établissements de crédit, demandée par l'Allemagne, qui voulait limiter la contribution de ses nombreuses banques locales, notamment les Sparkassen.

Au total, la parité avec l'Allemagne, qui était un objectif de négociation, est assurée d'après les estimations dont nous disposons. France et Allemagne représentent à eux seuls près de 55 % du FRU. Étant donné le point de départ de la négociation, très défavorable aux banques françaises, l'amélioration est significative. La négociation a été difficile.

J'en viens à l'AIG lui-même, qui est l'objet de ce projet de loi. Cet accord international ne détermine pas les contributions, mais il comporte deux éléments qui en permettent l'utilisation au sein du FRU : d'une part, son article 3 autorise le transfert de ces contributions, collectées par chaque État, vers le FRU européen. D'autre part, il organise la mutualisation progressive de ces contributions qui sont, au cours d'une période transitoire de huit ans, jusqu'en 2024, pour partie isolées au sein de compartiments nationaux.

Au cours de cette période transitoire, si une défaillance bancaire nécessitait l'intervention du fonds de résolution, les différents compartiments nationaux du fonds seraient sollicités selon un ordre précis, fixé par l'article 8 de l'AIG :

- d'abord, le compartiment national de l'établissement concerné, dans une limite décroissante chaque année ;

- ensuite, si ce n'est pas suffisant, les autres compartiments nationaux, dans une limite croissante chaque année ;

- ensuite, si ce n'est toujours pas suffisant, le reste du compartiment national de l'établissement concerné ;

- enfin, si ce n'est toujours pas suffisant, le conseil de résolution a deux options : ou bien solliciter des contributions supplémentaires des établissements bancaires pour financer la résolution, ou bien faire un transfert temporaire, c'est-à-dire un prêt, entre les autres compartiments nationaux et le compartiment national qui a été ainsi épuisé.

Il y a ainsi une mutualisation en ciseau entre l'utilisation des compartiments nationaux, qui diminue progressivement, et le recours à l'ensemble des autres compartiments, qui augmente progressivement. En 2024, ces compartiments disparaissent ; il n'y aura alors plus qu'un seul fonds de résolution véritablement unique.

Quel est l'objectif de cette cascade complexe d'utilisations du FRU ? Il s'agit, en réalité, d'éviter que la défaillance d'un établissement, liée à une politique de crédit aventureuse ou un défaut de supervision antérieur à l'union bancaire, ne vienne, dès les premières années de mise en place du MRU, mobiliser un fonds alimenté par l'ensemble des banques de la zone euro. Il s'agit d'une protection pour les premières années de constitution du Fonds dont nous pouvons nous féliciter.

L'Allemagne a d'ores et déjà ratifié l'accord. Je crois que nous devons également voter ce texte. Il s'agit d'abord d'honorer l'engagement de la France. Il s'agit surtout de permettre de compléter, par un dispositif de financement solide, bien que d'utilisation complexe, l'union bancaire qui est une pierre angulaire de la stabilité de la zone euro. Cette stabilité est une garantie pour le contribuable. Elle bénéficie également aux banques, dont la solidité est menacée par les crises systémiques.

Nous devons cependant rester vigilants sur le montant des contributions que devront payer les banques françaises. En dépit des ajustements obtenus, les banques françaises payeront en effet un montant supérieur à leur part dans le total des actifs pondérés par les risques au sein de la zone euro.

Cette vigilance doit se concentrer sur deux éléments. Le premier est la détermination, année par année, du montant des contributions individuelles des banques. Nous ne disposons pour l'heure que d'estimations imparfaites et provisoires, car les calculs sont complexes et les données dont nous disposons, incomplètes.

Le second point d'attention devra concerner certaines compensations que les banques françaises devraient obtenir. D'abord, il faut espérer que les banques obtiennent des modalités de paiement des contributions qui leur permettent de conserver une plus grande partie des sommes dans leur bilan, c'est-à-dire des engagements de paiement et non des subventions « en cash » - dans la limite, fixée par le règlement européen, de 30 % du total des contributions. Par ailleurs, les banques devront verser, en parallèle de leurs contributions au fonds de résolution, des contributions au fonds de garantie des dépôts national. Celui-ci doit atteindre, en vertu d'une directive de 2014, 0,8 % du total des dépôts de chaque pays à l'horizon 2024. La France pourrait solliciter de la Commission européenne une dérogation pour le limiter à 0,5 %, soit une réduction de près de 3 milliards d'euros pour les banques françaises.

Il en va de la capacité des banques à financer l'économie et à accompagner la reprise. C'est pourquoi je vous propose d'adopter un amendement qui complète le projet de loi d'un article prévoyant que le Parlement français est informé chaque année du montant des contributions des banques, en particulier des banques françaises, au regard des estimations initiales, ainsi que d'une évaluation de sa capacité à financer l'économie au regard de la mise en oeuvre des règles européennes en matière de garantie de dépôts et de résolution.

Au bénéfice de cet amendement qui complète l'information du Parlement, je vous propose de donner un avis favorable au vote de cet accord intergouvernemental.

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