C'est un honneur pour moi que de venir vous présenter Expertise France, qui est le dernier-né des opérateurs de l'action extérieure de l'Etat et, aujourd'hui, l'opérateur de référence en matière d'expertise publique à l'international. Je viens vous présenter ce que nous avons fait d'une réforme que vous avez proposée et adoptée à l'initiative du sénateur Berthou que je veux saluer ici.
Qu'est-ce qu'Expertise France ?
Nous sommes un établissement public industriel et commercial. Nous faisons pour l'essentiel des missions de conseil à la demande d'Etats du Sud ou parfois européens qui demandent du soutien pour réformer leurs politiques publiques dans différents domaines qui vont du plus régalien au moins régalien : nous traitons ainsi les questions de gouvernance, de réforme de l'Etat, d'organisation territoriale, de droits de l'Homme, de sécurité, de finances publiques, de développement économique, de développement durable, de santé ou encore de protection sociale.
Nous sommes d'abord un opérateur de l'Etat, sous la double tutelle des ministres chargés de l'économie, M. Sapin et M. Macron, et du ministre chargé des affaires étrangères et du développement international, M. Fabius, ainsi que la secrétaire d'Etat en charge du développement et de la francophonie, Mme Girardin. Nous travaillons aussi en lien étroit avec les ministères sociaux chargés de la santé et du travail.
Notre conseil d'administration, qui est en cours de formation, est présidé par M. Jean-Christophe Donnellier, qui est également le délégué interministériel à l'expertise publique internationale.
Quant à moi, je gère, en tant que directeur général exécutif, une équipe de 250 personnes au siège, qui sont des gestionnaires de projet et environ 80 personnes à l'étranger pour les permanents, cela sans compter les centaines d'experts, suivis par le siège à Paris. Notre coeur de métiers c'est de projeter à l'international le meilleur de nos savoir-faire en matière de politique publique, à travers des projets qui sont soit financés par les Etats eux-mêmes, soit par les banques ou agences de développement multilatérales, régionales ou européennes, soit par la coopération française, soit en combinant tous ces financements.
Nous délivrons un peu plus de 50 000 jours d'expertise dans plus de 80 pays pour un chiffre d'affaire annuel d'environ 120 millions d'euros. Nous portons environ 450 projets. Pour mener à bien nos missions, nous nous appuyons sur un vivier de plus de 10 000 experts provenant des administrations françaises mais également de bureaux d'études privés.
Pourquoi ce nouvel opérateur ?
Deux réponses : regrouper les principaux opérateurs de la coopération internationale pour être plus efficace ; se mettre en ordre de bataille pour répondre à une demande croissante du marché de l'expertise dans le monde.
Comme vous l'avez dit auparavant, chaque ministère avait son opérateur, le résultat de cette situation était un paysage éclaté, des opérateurs de faible taille qui ont été amenés, au fil du temps, à se faire concurrence. En effet, au fur et à mesure que l'Etat a réduit ses financements, les pouvoirs publics ont demandé à tous les opérateurs de s'autofinancer, d'une part, en gagnant des marchés sur des appels d'offres internationaux, d'autre part, en élargissant leurs champs de compétence.
Ces opérateurs partaient ainsi en ordre dispersé tout en se diversifiant et élargissant leurs actions, si bien qu'ils se trouvaient fréquemment en concurrence les uns contre les autres, là où les Allemands avaient créé une agence unique ou presque, la GIZ, les Anglais Crown Agency, les Espagnols, la FIIAP.
Le résultat était que, pour vous donner un ordre de grandeur, la seule agence allemande a un chiffre d'affaires sur appels d'offres internationaux de l'ordre de 300 millions d'euros quand la somme des chiffres d'affaires des dix-sept opérateurs français atteignait difficilement les 80 millions d'euros en 2012.
Vous l'avez compris, avec cette réforme, nous poursuivons quatre objectifs :
- s'appuyer sur la complémentarité là où il y avait concurrence : les savoir-faire de chacun permettent de se positionner sur des projets transversaux notamment européens associant différents champs de compétences ;
- assurer une meilleure visibilité, lisibilité et un soutien politique renforcé des autorités politiques, des administrations centrales et de l'ensemble des réseaux du quai d'Orsay et de Bercy. Preuve en est le décret constitutif et ses quinze signataires ;
- créer une taille critique : permettre une meilleure performance en matière de veille et d'élaboration des dossiers de réponses aux appels d'offres ainsi que des économies d'échelle.
- faire en sorte qu'Expertise France agisse en synergie avec les autres institutions publiques françaises engagées à l'international, comme Business France ou l'AFD, et soutienne chaque fois qu'elle le peut l'expertise privée et nos entreprises.
D'ores et déjà, on peut dire que cette fusion a formé un opérateur de taille européenne, mais surtout, dans les années à venir, on peut anticiper un potentiel de développement considérable lié à une demande croissante d'expertise publique, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays émergents.
Dans les pays en développement comme les pays africains où, comme vous le savez, le doublement de la population d'ici quarante ans va imposer aux pouvoirs publics de nourrir, loger et former au moins un milliard d'êtres humains supplémentaires, les besoins en expertise publique sont considérables. Ce sont des enjeux que les sénateurs Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux avaient analysés dans leur rapport « L'Afrique est notre avenir » que le Président Macky Sall a cité lors du récent sommet Afrique-France pour la croissance.
Ce défi démographique impose de mettre en oeuvre rapidement des politiques publiques adaptées, notamment dans les secteurs de la santé, de l'urbanisme ou de l'éducation, mais aussi dans les domaines financiers. Il est en effet plus que jamais nécessaire de favoriser, dans ces zones, la croissance des ressources publiques domestiques, ce grâce à la mise en place de régimes fiscaux, fonciers et statistiques adaptés. Autant de domaines pour lesquels nous possédons une expérience reconnue.
En outre, deux phénomènes renforcent le rôle stratégique de l'expertise :
- d'une part, tout le monde est conscient aujourd'hui du fait que les pays les plus défavorisés ont besoin tout autant, sinon plus, d'expertise que de financements. Sans amélioration de la gouvernance, l'aide au développement a des effets limités, ne serait-ce qu'en capacité d'absorption ;
- d'autre part, l'aide publique au développement joue un rôle de plus en plus réduit dans le développement : elle ne représente que 2 % des dépenses budgétaires pour les pays à revenu intermédiaire et 30 % des dépenses budgétaires des pays les moins avancés. Ces pays ont un accès croissant aux financements privés. Dans le contexte de restriction budgétaire français, ce dont nous disposons pour nourrir notre coopération avec les pays du Sud, c'est l'expertise publique, une ressource rare et essentielle pour faire face aux défis que nous avons évoqués.
Dans les pays émergents, l'enjeu pour les pouvoirs publics locaux est de transformer la croissance économique en développement durable des populations, c'est-à-dire favoriser un modèle de croissance plus durable et plus inclusif. Pour cela, ces pays devront répondre aux aspirations de la classe moyenne montante en termes d'accès à des services publics de qualité et favoriser une croissance plus sobre en carbone. Dans ces deux registres, nous avons une expertise de qualité qui est compétitive et qui fait d'Expertise France un opérateur stratégique en matière de politique d'influence.
Comment se traduit concrètement l'action d'Expertise France sur le terrain ?
Permettez-moi d'illustrer très concrètement ce que nous faisons. Nous sommes organisés autour de sept départements thématiques qui concernent des domaines très variés.
En lien avec les activités régaliennes de l'Etat, nous accompagnons par exemple l'Etat afghan dans la formation de ses élites administratives. Nous assistons le gouvernement marocain dans la gestion des questions de migration professionnelle sur des financements européens. Nous assistons la Guinée pour le renforcement des forces de protection civile. Nous avons aidé à la mise en place de média indépendants en RDC grâce à un financement britannique et suédois.
Le deuxième pôle d'activités concerne la promotion de la stabilité, la gestion de la sortie de crise des pays fragiles et le renforcement des capacités des Etats en matière de sûreté. Dans ce secteur, nous intervenons notamment en Afghanistan, au Mali, en RCA, au Togo ou en Syrie. Au Mali, l'ONU a demandé à la France de l'aider dans la logistique de la MINUSMA : nous avons, pour le compte de l'Etat, associé expertise publique et entreprises privées pour améliorer les camps de Kidal et Tessalit après que nous avons rénové en 2014 les pistes aéroportuaires. Nous contribuons ainsi en quelque sorte à ce que la France tire les dividendes économiques de son engagement politique et militaire. Nous sommes également un des leaders dans l'expertise publique en matière de lutte contre la piraterie maritime, un enjeu majeur comme l'avait souligné le rapport de MM. Trillard et Lorgeoux sur la maritimisation. A ce titre, nous intervenons dans le Golfe d'Aden, le Golfe de Guinée et dans l'Océan indien.
Le troisième pôle s'articule autour des finances publiques, la France dispose, à travers la direction générale des finances publiques et la direction du budget du ministère des finances, d'un savoir-faire très ancien sur les réformes budgétaires et comptables, la fiscalité notamment foncière, le cadastre ou encore les marchés publics et l'évaluation des politiques publiques. Nous sommes notamment intervenus en RCA sur des crédits de la Banque mondiale et de l'Union européenne pour recréer l'Etat au sens financier du terme, en mettant en place une agence comptable centrale du trésor et en développant un système fiscal et douanier. Nous avons également contribué à mettre en place des instituts des finances dans cinq pays, le Liban, la Jordanie, la Palestine, la Côte d'Ivoire et la Serbie.
Nous contribuons également à promouvoir un cadre des affaires propice au développement économique. C'est le quatrième pôle d'Expertise France. Nous portons par exemple l'expertise de l'AFNOR dans le domaine de la certification, projetant ainsi à l'international un univers normatif familier pour les entreprises françaises.
Développement économique, mais aussi développement durable, pour le compte du ministère de l'environnement. Nous venons de signer à ce titre, en partenariat avec l'AFD, une « facilité climat » qui permettra de renforcer les capacités des pays du Sud et de les aider à proposer un plan climat dans la perspective de la COP 21, qui nous tient beaucoup à coeur. Nous appuyons également des politiques d'efficacité énergétique, de transport et d'infrastructure.
Expertise France intervient enfin dans le domaine de la santé, sixième pôle, qui concerne l'accompagnement des politiques de lutte contre les pandémies, mais également plus généralement, le renforcement des systèmes de santé. Nous allons à ce titre participer avec la Commission européenne et la task force française de lutte contre Ebola au renforcement des systèmes de santé des trois principaux pays touchés par l'épidémie.
Nous portons, dans un septième et dernier département, des réformes visant à améliorer la protection sociale et la formation professionnelle, ce qui nous conduit à intervenir notamment en Chine pour la protection sociale ou à renforcer la formation professionnelle supérieure dans quinze pays d'Afrique francophone et anglophone afin de créer des filières intermédiaires (bac +2 ou +3) à même de répondre aux besoins locaux.
Où en est la mise en place de l'agence ?
Ce bilan assez positif laisse penser que nous sommes déjà en plein régime de croisière. La réalité est plus nuancée car nous sommes encore en phase de construction.
En gros, les six opérateurs ont été fusionnés. La nouvelle agence fonctionne selon un nouvel organigramme. Mais comme ailleurs, une fusion, c'est un processus, au terme duquel nous aurons défini un modèle économique, un projet d'établissement et une culture d'entreprise nouvelle. Cela ne se décrète pas. Nous allons démarrer un travail sur le modèle économique ces jours-ci. Nous entamons également des ateliers pour définir le projet d'établissement d'ici septembre. Nous procéderons à l'élection des représentants du personnel en juin. Nous allons déménager dans un immeuble commun en juillet. La maison commune ne fera pas tout, mais c'est tout à fait essentiel.
Un atout d'Expertise France c'est de disposer d'un personnel jeune et extrêmement motivé. Il faut entendre les chefs de projet parler avec des trémolos dans la voix de leur projet. Ils ont souvent participé dès le début à la construction de leur opérateur d'origine. Aujourd'hui cet engagement peut aussi être une source de frottements car chacun doit faire un effort pour construire de nouvelles méthodes de travail communes. Mais demain, cela sera une richesse considérable.
L'objectif de cette année, c'est d'harmoniser les méthodes de travail et de créer une culture commune à travers différents exercices dont le projet d'établissement que j'ai mentionné plus tôt et le contrat d'objectif et de moyens. Nous serons sans doute en mesure de vous proposer un contrat d'objectifs et de moyens vers la fin de l'année. Il sera soumis à l'avis de votre commission, à l'instar de celui de l'AFD.
Comment contribuons-nous à la politique étrangère de la France ?
Notre mandat est triple : politique, de solidarité et économique.
Nous projetons, à travers notre expertise, notre vision du monde, nos valeurs, celles de la République : Etat de droit, démocratie, droits de l'Homme. En exportant le meilleur de nos savoir-faire, nous défendons également les positions de la France dans les différentes enceintes internationales. Cela se traduit notamment dans l'investissement d'Expertise France dans des projets, comme la réussite de la COP 21, la couverture sanitaire universelle ou la lutte contre les discriminations. Nous sommes à ce titre un opérateur d'influence.
La solidarité : nous facilitons le développement des pays les moins avancés pour les aider à sortir de l'ornière grâce à une meilleure gouvernance. Nous accompagnons la reconstruction des Etats fragiles et tentons de prévenir les crises qui les affectent. Nous sommes une agence de coopération au développement. C'est notre coeur de métier.
Enfin, nous participons à la diplomatie économique à travers trois modalités :
- les gains de parts de marché sur les appels d'offres internationaux, qui permettent d'augmenter le taux de retour de la France vis-à-vis de ses contributions multilatérales ;
- la création d'un écosystème favorable aux intérêts français (au niveau normatif, commercial, entrepreneurial pour la création de PME ou par l'exportation du modèle des partenariats public-privé) ;
- l'assemblage d'expertise publique et privée en réponse à des demandes de l'ONU et de gouvernements étrangers. Je pense par exemple au secteur de la santé où la construction d'un hôpital de référence conjugue différents secteurs d'expertise. Nous sommes aussi à ce titre un opérateur du commerce extérieur.
La coopération technique a toujours mêlé ces trois dimensions. Elles ne sont nullement contradictoires. Quand nous mettons en place une coopération technique pour aider les pays du Sud à préparer la COP 21, nous exerçons un mandat de solidarité au titre du renforcement de compétence, un mandat politique parce que nous accompagnons la diplomatie climatique en vue de la présidence de la COP 21 et un mandat économique parce que nous faisons travailler des bureaux d'études privés français.
Nous nous inscrivons ainsi pleinement dans la politique de diplomatie globale du Gouvernement, portée aussi bien par les ministères financiers que le ministère des affaires étrangères ou encore les ministères sociaux. Nous essayons de promouvoir la paix en renforçant la gouvernance des pays du Sud, de contribuer à un développement de la planète plus harmonieux, c'est-à-dire plus durable et mieux réparti, et de participer au redressement économique du pays en défendant les intérêts français.
En conclusion, cette agence a déjà des résultats. Elle a un potentiel considérable. Je considère que nous aurons réussi cette réforme si demain nous arrivons à nous imposer dans le paysage de la coopération internationale comme une des toutes premières agences d'expertise publique, et si nous arrivons à devenir aux yeux de toutes les administrations françaises un acteur incontournable de la projection à l'international de nos savoir-faire en matière de politiques publiques. C'est à ces conditions que nous pourrons effectuer une deuxième vague de regroupement que Jean-Christophe Donnelier, le délégué interministériel à l'expertise publique internationale, a été chargé de préparer sous la forme de nouvelles fusions mais plus vraisemblablement de filialisation ou de prestations de service.