Merci Monsieur le Président. La mission que j'ai eu l'honneur de présider a débuté en juillet 2013, à la demande de Mme Fleur Pellerin, alors secrétaire d'État à l'économie numérique. Cette mission comprenait un nombre égal de sénateurs et de députés, ainsi que trois rapporteurs qui sont ici présents et qui ont accompli un remarquable travail.
Vous avez, à juste titre, rappelé les termes du débat entre ceux qui souhaitaient un basculement radical vers la fibre et ceux qui privilégiaient la modernisation du réseau cuivre. Les préconisateurs de la première solution affichaient comme priorité la rentabilité des réseaux d'initiative publique (RIP) déployés par les collectivités territoriales dans les zones les moins denses du territoire.
Ainsi, notre territoire peut se subdiviser en trois types d'espace : les centres-villes, où joue une pleine et entière concurrence entre opérateurs ; les zones considérées comme intermédiaires, partagées entre les opérateurs Orange et SFR ; et enfin, le reste du territoire, soit les zones les moins denses, géré par les collectivités territoriales qui doivent construire des réseaux d'initiative publique (RIP). Ces derniers sont subventionnés par l'État puisque l'économie de la fibre dépend énormément de la densité de la population. En effet, il est beaucoup moins coûteux de desservir par cette technologie des logements dans des zones très densément peuplées. Certaines collectivités territoriales, y recourant pour leurs RIP, demeuraient soucieuses de la rentabilité de leurs installations et souhaitaient par conséquent que soient fermés les réseaux de cuivre.
Les premières réunions furent relativement houleuses puisque s'y affrontaient les défenseurs de la maintenance du réseau de cuivre avec les partisans de la fibre. Aucun pays au monde n'a procédé à la fermeture de son réseau cuivre ; l'Australie, qui l'a un temps envisagé, s'est ravisée suite à un changement de majorité politique. À l'automne 2013, il est apparu que la fermeture du réseau cuivre ne suscitait pas l'assentiment de la majorité des membres de la mission ; ce point a été clairement consigné dans son rapport intermédiaire publié à la fin de cette année-là.
Je souhaite également revenir sur la définition du très haut débit. Son débit doit être supérieur ou égal à trente méga-octets par seconde. Actuellement, la plupart des utilisateurs dispose d'un débit de cinq méga-octets par seconde, mais la fibre assure un flux bien plus important ! D'autres technologies permettent d'atteindre un tel résultat : le câble, qui représente une part de marché de 10 %, en France à la différence d'autres pays occidentaux, où sa part est plus importante, a connu des avancées technologiques significatives ces dernières années. Il peut aujourd'hui fournir un débit de 100 méga-octets par seconde susceptible d'être distribué, dans quelques années, aux logements qui lui sont connectables. Toutefois, le câble s'avère plus cher que la fibre si l'on doit construire un réseau entier. En outre, le réseau cuivre, une fois optimisé, devrait être capable de fournir un débit de trente méga-octets et d'autres technologies, comme le WiMax ou les liaisons satellitaires, s'avèrent très adaptées aux zones à faible densité.
Le Gouvernement s'est engagé à ce que l'ensemble des logements puisse avoir accès au très haut débit à l'horizon 2022. Si l'on admet que les zones de densité moyenne seront couvertes, les projets actuels prévoient de couvrir quelque 70 % des zones les moins denses, impliquant de ce fait l'usage d'autres technologies pour assurer la couverture du reste du territoire. Les collectivités territoriales ont adressé des plans locaux de déploiement comportant certes l'usage de la fibre, mais aussi d'autres technologies. En Auvergne, certains villages devraient ainsi être couverts en très haut débit par le réseau cuivre, tandis que d'autres le seront en WiMax ou par satellite.
Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent et la mission a souligné que, faute d'une impulsion réelle, aucune avancée ne devrait se produire. L'ensemble des mesures, présentées dans le rapport, devrait y contribuer.
La fermeture de la boucle cuivre nous est apparue comme irréaliste puisque de nombreuses connexions actuelles à ce réseau ne peuvent être converties en connexions au réseau fibre. Certes, certaines, comme celles assurant la maintenance des ascenseurs ou le téléphone filaire, peuvent être substituées, mais à la condition d'employer d'importants moyens induisant des coûts substantiels. En revanche, d'innombrables usages utilisant le réseau cuivre ne peuvent être modifiés, car ils fonctionnent de manière analogique et non numérique. Or, le passage au numérique est l'une des étapes nécessaires à la connexion à la fibre ! En outre, les grandes entreprises à réseau, comme EDF, ou encore une grande part des activités quotidiennes, comme l'usage des cartes bancaires, fonctionnent avec des réseaux cuivre ; on ne sait guère comment les faire fonctionner avec la fibre. Ce problème ne se pose pas qu'en France d'ailleurs. En outre, la couverture de l'ensemble du territoire par la fibre représenterait un coût trop important, induit notamment par l'équipement de certaines zones rurales. Pour toutes ces raisons, nous avons écarté l'idée d'une fermeture générale du réseau cuivre.
Parmi nos recommandations, nous préconisons l'amélioration des compétences et de l'emploi. En effet, des investissements importants devront être réalisés et le système de formation n'est pas suffisamment calibré pour accompagner les mutations technologiques en cours. Par ailleurs, l'homogénéisation technique et tarifaire pose problème : le réseau fibre a été réalisé par un seul opérateur et est par conséquent homogène, tandis que les RIP demeurent très divers. La connexion des réseaux aux RIP peut ainsi s'avérer complexe, d'où l'urgence d'une homogénéisation technique, mais aussi tarifaire. Ainsi, conformément aux dispositions européennes, il faut que les tarifs pratiqués par les RIP coïncident avec ceux pratiqués dans des zones de densité moyenne. Une telle homogénéisation doit être la contrepartie des subventions.
En outre, l'évolution des tarifs doit devenir lisible. Certes, une littérature abondante existe sur la relation entre investissements et tarifs d'accès. Notre mission a pris le parti de recommander la stabilité des tarifs. Néanmoins, un problème se pose avec la tendance constatée à la baisse de ces tarifs alors que la hausse du coût unitaire est à terme prévisible. Nous recommandons ainsi un certain lissage.
Enfin, il faut que le grand public soit informé de l'évolution technologique future et de l'intérêt qui est le sien de passer à la fibre. Cette démarche n'est pas que de communication ; elle est aussi financière. En effet, les travaux nécessaires pour se connecter à la fibre sont susceptibles de dissuader ses éventuels utilisateurs. Il est certes possible de réaliser une connexion en fibre, certes à des débits plus faibles, sans modifier l'intérieur des logements, mais il faudra que les opérateurs soient capables de proposer ce type de prestations à leurs clients.
Autre point qui me paraît très important : nous proposons la définition de « zones fibrées ». Une zone définit l'ensemble des logements qui sont connectés au même répartiteur. Si les investissements réalisés dans une telle zone ont permis de connecter la totalité des logements à la fibre, cette zone est totalement fibrée et devient, de ce fait, prête à prendre le relai du réseau cuivre. Notre mission propose que la désignation des zones fibrées incombe à l'État et que cette démarche permette l'augmentation ultérieure des tarifs de gros de l'accès au réseau cuivre, de manière à rendre moins attractif, pour les opérateurs, la commercialisation du réseau cuivre. On peut alors modifier la règle actuelle qui impose aux constructeurs d'immeubles de doter leurs constructions nouvelles des deux réseaux, cuivre et fibre, au seul bénéfice de l'installation de la fibre. Il s'agit bel et bien d'inciter les utilisateurs à passer à la fibre et de laisser à l'opérateur unique gestionnaire du réseau cuivre, à savoir Orange, le soin de décider de son extinction. Notre mission a ainsi fait attention à clarifier les responsabilités de l'État et de l'opérateur historique. Il est clair que la méthode que je viens de décrire n'impose aucune compensation de l'État à Orange.
En conclusion, les échéances selon les territoires seront différentes ; il est ainsi clair que la France ne basculera pas, de manière homogène et au même moment, vers la fibre.