Le rapport, présenté aux ministres la semaine dernière, est une oeuvre collective réalisée par un groupe de travail interministériel qui comprenait des représentants du ministère de la culture et de la communication, du ministère des finances, de l'agence des participations de l'État (APE) et du contrôle général économique et financier. Ce groupe de travail avait pour mission d'explorer, de la manière la plus large possible, sans tabou, les sujets relatifs à l'avenir de France Télévisions. Ce rapport n'est pas une réalisation de la Cour des comptes, ni du Gouvernement. Les pouvoirs publics n'ont d'ailleurs pas suivi toutes ses préconisations. Il s'agit d'une réflexion stratégique sur les forces et les faiblesses de France Télévisions et non d'un bilan réalisé sur le passé. Ce travail a été mené dans le respect des compétences des uns et des autres.
Le rapport comprend quatre messages concernant l'avenir du groupe France Télévisions. Le premier message tient au fait que le monde a changé, ainsi que les usages de la télévision au cours des dix dernières années. Avec la multiplication des écrans, on a assisté au développement d'usages fragmentés et d'une offre non linéaire. Le « deuxième écran » numérique est devenu le « premier écran » pour de nombreux jeunes, ce qui pose la question de savoir comment on s'adresse aux jeunes qui regardent de moins en moins la télévision. Cette évolution pourrait fragiliser à terme la légitimité même du financement de l'audiovisuel public qui repose sur le contribuable.
L'offre de contenus a également explosé. Nous sommes passés de la rareté à l'abondance, avec notamment le passage de 5 à 25 chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), auquel il convient d'ajouter les contenus disponibles sur Internet qui sont le plus souvent gratuits.
Par ailleurs, de nouveaux concurrents sont apparus en plus des nouvelles chaînes de la TNT avec les acteurs de l'Internet qui, à l'image de Netflix, développent une stratégie mondiale. Ces acteurs remontent la chaîne de valeur en ajoutant à leur activité initiale de diffusion des investissements dans la production de contenus dont ils détiennent ainsi les droits. Cela pose des questions fondamentales en termes de concurrence. Nous faisons face à un changement de paradigme, le modèle traditionnel des chaînes linéaires étant confronté à une baisse et à un vieillissement de leur audience tandis que le marché publicitaire est fragmenté entre 25 chaînes. Le groupe de travail reste néanmoins convaincu que la télévision traditionnelle peut avoir un bel avenir si elle arrive à développer de nouveaux usages complémentaires.
Le deuxième message tient au fait que le rôle de la télévision publique nous paraît indispensable dans une société qui a besoin de repères et de références stables. Pouvoir réunir les Français à une époque marquée par des tensions sociales et la poursuite d'une crise économique est fondamental. La télévision et la radio publiques jouent ce rôle. Nous avons observé que tous les pays comparables avaient plutôt réaffirmé cette mission des médias de service public. Dans la plupart des pays que nous avons étudiés, les médias de service public ont mis en place un bouquet de chaînes composé de deux chaînes généralistes auxquelles s'ajoutent des chaînes thématiques consacrées, en particulier, à l'information, aux enfants et aux jeunes adultes. L'offre de télévision publique est ainsi devenue multiple. Pour le groupe de travail, l'absence de chaîne publique d'information est une question qui mérite d'être posée dans le cadre du réaménagement du bouquet et les candidats à la présidence de France Télévisions auront à se prononcer sur cette évolution dans leur projet stratégique.
Le groupe de travail a constaté une particularité française qui tient à l'éclatement des sociétés de l'audiovisuel. Dans les autres pays, une seule société rassemble les activités de télévision, de radio et d'audiovisuel extérieur.
La contrainte sur le financement a également eu des effets significatifs sur l'ensemble de ces sociétés depuis les années 2000 tandis qu'elle ne concerne France Télévisions que depuis 2013.
Le troisième message porte sur la simplification du cadre d'exercice de la télévision publique que le Gouvernement a pris en compte lorsqu'il a annoncé un allègement des objectifs et des missions assignés au groupe. Il est absolument indispensable de réduire l'accumulation de textes législatifs, réglementaires, contractuels et d'accords interprofessionnels. L'empilement des textes et des objectifs contribue à entraver le développement de l'entreprise.
La responsabilité en incombe pour partie à l'entreprise, qui n'a peut-être pas opposé une résistance suffisante à cette accumulation d'indicateurs et d'objectifs. Mais la responsabilité première revient à l'État au sens large, ce qui inclut le législateur, le Gouvernement, les autorités indépendantes. Le cahier des charges de France Télévisions peut sembler raisonnable lorsqu'on le compare, par exemple, à la Charte royale qui s'impose à la BBC. Mais cette charte concerne l'ensemble des médias de service public. Pour que la comparaison soit adéquate, il faudrait la comparer à l'ensemble des cahiers des charges de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l'Institut national de l'audiovisuel, Arte...
L'autre élément qui ressortait de cette étude rétrospective des contrats d'objectifs et de moyens (COM), conclus avec l'État et qui se succèdent tous les cinq ans à l'occasion du changement de président, est une forte instabilité en matière de stratégie. Cela se double, en cours de mandat, de la volonté de l'État d'imposer de nouveaux objectifs, notamment par la négociation d'avenants. Les textes stratégiques ont une durée de vie moyenne de deux ans environ, ce qui est manifestement insuffisant, quand France Télévisions aurait besoin de stabilité et de visibilité, ainsi que d'une simplification et d'un allègement des demandes des pouvoirs publics. Il est absolument nécessaire, pour que l'entreprise déploie tous ses talents et toutes ses énergies, de procéder à une telle simplification. Je crois que ce message a été entendu.
Le quatrième message concerne l'entreprise elle-même. Il s'agissait de réaliser un état des lieux de l'entreprise publique, non dans une démarche d'évaluation personnelle des différents dirigeants, mais dans l'esprit de mener à bien une analyse objective et équilibrée des forces et des faiblesses de l'entreprise.
Vous l'avez rappelé dans votre introduction, madame la présidente, France Télévisions a connu une décennie difficile, avec de nombreux changements de cap successifs qui ont affecté la lisibilité de sa stratégie. La mise en place de l'entreprise commune a eu pour conséquences des changements organisationnels importants qui ont parfois désorienté et découragé les équipes.
Le groupe a perdu un peu plus du quart de son audience en dix ans, une dégradation sensiblement plus forte que celle de ses concurrents. Ses téléspectateurs ont vieilli : leur âge moyen est de 58 ans, quand le téléspectateur moyen a 50 ans et l'âge moyen de la population française est de 42 ans.
Son modèle économique a été fragilisé, comme cela a été mis en évidence par le rapport n° 572 (2011-2012) sur l'application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision de MM. Legendre et Assouline, notamment par la suppression de la publicité après vingt heures sur les chaînes publiques et du fait des aléas liés à l'évolution de sa dotation budgétaire. Le groupe connaît également un alourdissement de la structure des charges et une difficulté à se diversifier, en grande partie du fait de la réglementation qui amène à une segmentation des activités entre producteurs, diffuseurs et distributeurs. On observe à l'étranger et dans l'évolution des marchés une plus grande fluidité des métiers, qui permet aux diffuseurs de se diversifier à la fois du côté de la production et de la distribution.
Cela étant dit, même si la situation de France Télévisions est, à bien des égards, difficile, le groupe conserve des atouts considérables. Il dispose encore d'une image très positive auprès du public, les personnels sont très attachés à leur entreprise et ses ressources sont relativement stables - même si elles pourraient l'être encore davantage. De plus, le groupe conserve une place centrale dans le financement de la création. Enfin, son empreinte et sa place restent inégalées dans le paysage audiovisuel français, du fait de ses cinq canaux de diffusion.
Je le dis avec force : l'adaptation du groupe à son nouvel environnement a commencé. Je pense notamment à sa stratégie numérique, largement saluée. L'audience a été stabilisée en 2014, notamment grâce au redressement de France 2. Le groupe met également en oeuvre un profond renouvellement des programmes et effectue des changements organisationnels majeurs - je pense en particulier à l'entreprise commune et au rapprochement des rédactions d'information, dans le cadre du projet « Info 2015 ». Il faut porter au crédit des dirigeants de France Télévisions cet important effort d'adaptation aux évolutions du paysage audiovisuel.
Le rapport s'intitule « France Télévisions 2020, le chemin de l'ambition », car d'une part nous considérons qu'il est absolument essentiel que France Télévisions dispose d'un projet ambitieux. D'autre part, le groupe a besoin d'un cadre normatif et contractuel avec l'État qui soit stabilisé, simplifié et modernisé.
J'évoquerai rapidement nos recommandations, qui portent sur les missions de service public, qui doivent être fortes et distinctives, les enjeux stratégiques - en évitant une précision excessive en ce qui concerne l'avenir des chaînes et des rédactions, ces éléments relevant des candidats à la présidence de France Télévisions - ainsi que sur le cadrage économique. Dans ce dernier domaine, le rapport préconise l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public et une ouverture maîtrisée de nouveaux espaces publicitaires. Le développement de recettes de diversification, par le développement des métiers de production et de gestion des droits, fait partie des recommandations. À cet effet, il sera nécessaire de moderniser le cadre réglementaire, afin de permettre à France Télévisions d'accroître l'étendue de ses droits patrimoniaux.