La logique de cette intervention budgétaire est financière de l'Union européenne est assez innovante. Trouver le moyen de mobiliser 315 milliards d'euros d'investissements a constitué un véritable défi, pour trois raisons fondamentales.
Le premier défi est la contrainte budgétaire. Le cadre financier de l'Union est fixé pour une période pluriannuelle de sept ans, ce qui permet d'avoir une certaine visibilité et d'éviter des affrontements annuels autour de la question budgétaire. La cadre actuel 2014-2020, qui a résulté d'un accord politique difficile adopté à l'unanimité des États membres, programme des crédits répartis par rubriques soumis à des plafonds, ce qui constitue une certaine rigidité. Le « plan Juncker » devant être adopté rapidement par le Conseil et le Parlement du fait de son caractère urgent pour l'Europe, la Commission a écarté l'idée de rouvrir le cadre financier pluriannuel 2014-2020 afin de l'y inclure. Il a donc fallu faire avec les crédits déjà programmés. Ainsi, deux possibilités ont été étudiées pour financer ce plan : soit se servir des marges existantes au sein du cadre, soit procéder à un redéploiement entre programmes. En réalité, le choix était contraint du fait que ce plan rentrait dans la rubrique « compétitivité », plafonnée à hauteur de 120 milliards d'euros sur sept ans, et au sein de laquelle il a donc fallu trouver des redéploiements. Sur les 960 milliards d'euros prévus par le cadre financier pluriannuel, seuls 2 milliards d'euros de marges disponibles ont été trouvés. Pour pouvoir provisionner les 8 milliards d'euros du fonds de garantie, il a donc fallu trouver 6 milliards d'euros par redéploiement en prenant dans les dotations de certains programmes. Le choix s'est porté sur les programmes qui intervenaient dans les mêmes domaines que le « plan Juncker ». Ainsi, des dotations prévues pour des subventions ayant un effet multiplicateur limité ont été redéployées dans le plan d'investissement dont l'effet multiplicateur sera efficace. Les deux grands programmes qui étaient suffisamment dotés pour procéder à ce redéploiement sans trop de difficulté étaient le programme pour les infrastructures, dans lequel 3,3 milliards d'euros ont été pris (soit 10 %), et le programme cadre de recherche, dans lequel 2,7 milliards d'euros ont été pris (soit 3,5 %). Ces 2,7 milliards d'euros sont pris sur l'ensemble du champ de la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, pour les mettre dans un plan d'investissement destiné à des interventions plus proches du marché. Il y a donc une redistribution au sein du programme de recherche, mais ce montage va permettre de faire davantage pour l'innovation et la recherche en Europe.
Le deuxième défi auquel nous sommes confrontés tient au fait que le budget communautaire est limité, par une règle quasi constitutionnelle, à 1,23 % du PIB de l'Union européenne. Il n'a, par conséquent, pas les moyens de jouer un rôle de stabilisateur macroéconomique ou de redistribution dans des proportions qui permettraient de répondre à un choc asymétrique au sein de l'Union. Son rôle consiste essentiellement à financer des interventions structurelles. Sur les 960 milliards d'euros dont seront dotés les fonds européens sur les sept prochaines années, 325 milliards d'euros seront ainsi consacrés, sous forme d'investissements, à la politique de cohésion. En prenant en compte les financements nationaux, ce sont 500 milliards d'euros qui seront investis en Europe. Pour prendre l'exemple du pays d'où je viens, l'Espagne, les fonds structurels européens ont représenté, pendant la crise, 10 % des investissements publics. Or, je le rappelle, l'Espagne est le cinquième client de la France, devant les États-Unis. L'ensemble des États membres bénéficient donc de cet effort, y compris indirectement. Sur un autre sujet, 77 milliards d'euros seront consacrés aux dépenses de recherche et le développement, ce qui représente le troisième poste budgétaire de l'Union européenne, après l'agriculture et la cohésion. Il s'agit, là encore, d'un effort important, structurel et de long terme.
Le plan d'investissement est destiné à mobiliser l'investissement, qui constitue l'un des éléments principaux de la demande agrégée, afin de permettre à l'Europe de sortir de la crise et de créer des emplois.
Le troisième défi réside dans le fait que, si les investissements sont insuffisants, cela n'est pas dû à un manque de liquidités. En effet, les banques centrales ont triplé leur bilan, les liquidités sur les marchés de capitaux sont donc très élevées. On constate cependant que les investisseurs préfèrent souvent des titres dont les rendements sont négatifs plutôt qu'investir dans des projets de l'économie réelle. Il nous a donc fallu réfléchir à un moyen d'orienter ces liquidités vers l'économie réelle, de jouer un rôle de « catalyseur », sans nécessairement mobiliser de grands volumes d'investissement public.
Le plan d'investissement proposé résulte de ces trois défis. Il s'agit d'une solution qui n'a peut-être pas été suffisamment exploitée par l'Europe. L'Union européenne est en effet dotée de deux principaux « bras » budgétaires et financiers : le budget de l'Union européenne et la BEI. Mais ces deux « bras » ne coopèrent que très rarement directement. Je citerais toutefois un précédent : lors de la chute du mur de Berlin, les États européens se sont retrouvés face à un défi géopolitique majeur tenant à la nécessité d'aider les pays de l'Est à moderniser leur économie. Cet accompagnement s'est traduit par une extension de la BEI qui, je le rappelle, constitue la plus grande banque d'investissement publique au monde, loin devant la banque mondiale, vers l'Europe de l'Est. Cet accompagnement a nécessité l'intervention du budget européen sous la forme d'une garantie. L'objectif du plan d'investissement est de transposer en interne ce qui est actuellement réalisé par la BEI dans le cadre de son mandat externe. Cette solution devrait permettre de mobiliser d'importants moyens budgétaires et financiers et de jouer ce rôle de catalyseur.
En conclusion, je dirais que le « plan Juncker » constitue un montage solide et prévisible, parce que programmé. En effet, dès son adoption par le Conseil et le Parlement, ce plan ne sera plus soumis à des aléas politico-budgétaires. Cette stabilité répond à une attente des contribuables et des investisseurs.