Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 16 mars 2015 à 21h00
Contributions au fonds de résolution unique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier :

Je pense que le vœu va être exaucé, monsieur le secrétaire d'État !

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le vice-président de la commission des finances, mes chers collègues, l’accord international sur lequel nous sommes invités à nous prononcer à travers le projet de loi de ratification peut apparaître comme un texte technique. Il est certes complexe et ne peut être compris qu’au regard d’autres textes européens, règlement et actes d’exécution.

Il s’agit pourtant d’une étape majeure pour assurer la stabilisation de la zone euro et la protection des contribuables nationaux contre les conséquences d’éventuelles défaillances bancaires à l’avenir.

Lors de la crise financière, les finances de nombreux États, en particulier européens, ont été mises en danger par les aides qu’ils ont été contraints d’apporter à des établissements bancaires défaillants. Les banques fragilisées ont en effet fait appel aux États, dont la dette a explosé. Les titres de dette souveraine achetés par ces mêmes banques ont accru cette relation d’interdépendance : c’est le cercle vicieux qui a menacé de faire exploser la zone euro.

L’Union bancaire vise précisément à mettre un terme à ce cercle vicieux et à cette interdépendance des États et des banques nationales en mutualisant, d’abord, la surveillance des banques, ensuite, la gestion ordonnée de leur défaillance éventuelle.

Ainsi, le mécanisme de surveillance unique, MSU, sous l’égide de la Banque centrale européenne, assure, depuis le 4 novembre dernier, la supervision directe des 120 établissements bancaires les plus importants de la zone euro. Il a été précédé par un exercice de « tests de résistance » au cours de l’année 2014 à l’issue duquel les banques françaises se sont globalement révélées parmi les plus solides de la zone euro.

La deuxième étape de l’Union bancaire est la mise en place d’un mécanisme permettant de gérer de façon ordonnée à l’échelle de la zone euro les éventuelles défaillances bancaires. L’objectif est de pouvoir y faire face sans mobiliser le contribuable national. C’est le mécanisme de résolution unique, qui s’organise autour d’une autorité nouvelle, le Conseil de résolution unique, agence de l’Union européenne composée de personnalités qualifiées et de représentants des autorités nationales de résolution comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, plus connue sous le nom d’ACPR.

La France dispose certes déjà d’un système de résolution, mis en place par la loi bancaire de 2013, mais ce système est strictement national, tant dans son processus de décision que dans son financement.

Pour mutualiser le financement des crises bancaires, il était nécessaire de mettre en place un système de résolution commun à l’ensemble de la zone euro.

Le mécanisme de résolution unique comprend trois volets. D’abord, un volet préventif, qui oblige les établissements de crédit à se doter de plans de résolution. Ensuite, un volet de résolution proprement dit en cas de défaillance bancaire, avec des pouvoirs spécifiques confiés à l’autorité de résolution. Enfin, un volet de financement de la résolution, composé de deux principaux outils : le renflouement interne, c’est-à-dire l’effacement des pertes de l’établissement par appel aux actionnaires et par conversion en capital de certaines créances, et un fonds de résolution, celui dont nous parlons précisément aujourd’hui, alimenté par l’ensemble des banques, qui doit atteindre 1 % des dépôts de la zone euro, soit 55 milliards d’euros, en 2024.

Le mécanisme européen de résolution unique repose sur deux textes. D’abord, un règlement européen, qui est d’application directe, comme vient de le rappeler M. le secrétaire d’État. Il était cependant nécessaire d’adapter notre droit à ce règlement : tel est l’objet de l’ordonnance pour laquelle nous avons habilité le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi DDADUE.

Ensuite, un traité international, signé par vingt-six des vingt-huit États membres de l’Union européenne – le Royaume-Uni et la Suède n’en sont pas signataires. Cet accord intergouvernemental, AIG, permet au fonds de résolution de fonctionner et donne ainsi à l’ensemble du MRU sa crédibilité financière.

Le gouvernement français était, à l’origine, défavorable à la signature d’un accord séparé, en parallèle du règlement européen. Je constate pourtant que la nécessité de conclure puis de ratifier un accord intergouvernemental a permis à la France et à son Parlement de faire pression sur les négociations s’agissant du montant des contributions. Nous estimons que le contrôle démocratique s’en est trouvé renforcé.

Sur l’initiative de notre collègue Richard Yung, que je salue, la commission des finances du Sénat avait introduit un amendement au projet de loi DDADUE visant à conditionner l’habilitation à ordonnance transposant le règlement européen à la ratification de l’accord intergouvernemental. Ainsi, en nous prononçant sur ce projet de loi, nous statuons de fait sur l’ensemble du mécanisme de résolution unique.

L’amendement de notre commission des finances était à l’époque lié à l’inquiétude que nous avions sur le montant des contributions des banques françaises au Fonds de résolution unique. Ce montant n’est en effet défini ni dans le règlement sur le mécanisme de résolution unique, ni dans l’accord intergouvernemental, mais dans les actes délégués pris par la Commission européenne et le Conseil sur la base du règlement. Négociés à l’automne, ils ont été définitivement publiés en janvier 2015.

Monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, l’inquiétude n’est pas d’ordre fiscal ou budgétaire puisque les contributions ne diminuent pas les ressources de l’État depuis que la dernière loi de finances rectificative – nous avions longuement débattu sur ce point – les a rendues non déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

À cet égard, je rappelle que j’avais présenté, lors de l’examen en séance de ce texte, un amendement, au nom de la commission des finances, qui visait à rétablir la déductibilité de la taxe de risque systémique, tout en maintenant la non-déductibilité des contributions au Fonds de résolution unique. Cette évolution était en effet cohérente avec la logique assurantielle du Fonds de résolution ; la même position a d’ailleurs été adoptée par l’Allemagne.

Notre préoccupation n’est donc pas d’ordre budgétaire ou fiscal. Elle est d’abord d’ordre économique : les marchés bancaires restant largement nationaux, ces contributions sont autant de ressources en moins pour le financement de l’économie française.

À cet égard, elles s’ajoutent à un ensemble de mesures prudentielles et fiscales qui représentent d’ores et déjà une part importante des revenus bancaires : taxe de risque systémique, non-déductibilité généralisée, Bâle III, coussins systémiques dits « TLAC ».

Monsieur le secrétaire d'État, nous devons, me semble-t-il, être très vigilants à ce que les réglementations successives qui sont adoptées ne conduisent pas à un secteur bancaire surprotégé mais incapable de financer les besoins des entreprises.

Cela est d’autant plus vrai, s’agissant du Fonds de résolution unique, que la protection qu’il offre a, en définitive, peu de chances – ou de risques ! – d’être utile aux établissements français. En effet, le mécanisme de résolution unique prévoit que les banques devraient d’abord solliciter leurs créanciers à hauteur de 8 % de leur passif avant de recourir au Fonds.

Ainsi, dans l’hypothèse d’une défaillance, BNP Paribas, grande banque française, devrait d’abord couvrir ses pertes par conversion de créances en capital à hauteur d’environ 140 milliards d’euros avant de recourir à un fonds qui disposerait au total de 55 milliards d’euros à compter de 2024 seulement ! On voit donc que la taille du Fonds, même si elle semble importante à première vue – 55 milliards d'euros –, le destine d’abord aux petits et moyens établissements bancaires.

Les banques françaises seront pourtant parmi les premières contributrices au Fonds. En effet, le montant des contributions est essentiellement déterminé de façon forfaitaire, sur la base du total de passif, diminué des fonds propres et des dépôts. Or les banques françaises, concentrées et d’envergure internationale, ont certes un passif très important mais un niveau de dépôts relativement faible lié, nous le savons, à des raisons propres à l’épargne française : volume de l’épargne réglementée, Livret A, livret de développement durable, et poids de l’assurance vie.

Dès lors, les premières estimations, connues au mois d’octobre, donnaient les banques françaises premières contributrices au fonds de résolution, nettement devant les banques allemandes.

Cette situation ne correspondait cependant ni à la part qu’elles représentent dans le total des actifs de la zone euro, ni, surtout, à leurs risques : les tests de résistance de la BCE ont montré leur solidité en comparaison d’autres secteurs bancaires, notamment italien, mais aussi allemand et espagnol.

Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, vous avez cherché à obtenir certains ajustements. J’espère que, dans le cadre de cette négociation, la position ferme adoptée par le Sénat, sur l’initiative de la commission des finances, aura été utile.

Trois principaux ajustements ont été obtenus.

Le premier, et le plus important, consiste à assurer une transition entre le montant qui aurait été demandé aux banques dans un système de résolution national et le montant versé en application du mécanisme de résolution unique. Cette différence est très importante pour les banques françaises, en raison de leur particularité précédemment mentionnée : un total de passif très important, mais peu de dépôts couverts, compte tenu de la structure de l’épargne en France.

Les banques françaises auraient payé 11, 1 milliards au fonds de résolution français, mais environ 17 milliards d’euros au Fonds de résolution unique, sans aucun ajustement. Pour réduire cette différence, la France a obtenu un système de transition, qui réduit d’environ 2 milliards d’euros les contributions des banques françaises.

Le deuxième ajustement, plus technique, concerne la valorisation des dérivés. Cela avantage particulièrement les banques françaises, qui, nous le savons, sont d’importants acteurs européens des marchés des dérivés actions.

Le troisième ajustement est la neutralisation des expositions intragroupe. Cela permet de tenir compte de la structure des groupes français, où différentes caisses sont exposées les unes aux autres, sans que cela nuise à la solidité du groupe consolidé.

Ces deux derniers ajustements techniques permettraient de réduire d’environ 700 millions d’euros la contribution totale des banques françaises.

La France a cependant dû concéder certains éléments, en particulier la mise en place de contributions forfaitaires très faibles pour les petits établissements de crédit, demandée par l’Allemagne qui voulait limiter la contribution de ses nombreuses banques locales.

Au total, d’après les estimations dont nous disposons et que vous avez rappelées, la parité entre banques françaises et banques allemandes est assurée. À cet égard, je rappelle toutefois que cette parité vaut seulement pour la période de constitution du fonds de résolution, grâce au mécanisme de transition. Une fois la transition achevée et le fonds de résolution constitué, si les banques devaient être appelées à contribuer à nouveau pour compenser une éventuelle intervention, les banques françaises paieraient sans doute une quote-part plus importante que la part allemande. Nous n’en sommes pas là aujourd’hui.

Sur la période de constitution du fonds, qui nous intéresse directement, France et Allemagne représentent près de 55 % des sommes versées, soit 27 % pour la France et 28 % pour l’Allemagne. Doit-on s’en satisfaire ? Étant donné le point de départ de la négociation, très défavorable aux banques françaises, l’amélioration est, il faut le reconnaître, significative.

La négociation a été difficile ; elle l’a été d’autant plus que le gouvernement français n’était sans doute pas en position de force à l’automne, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, alors que d’importants débats avaient cours sur notre trajectoire de consolidation budgétaire.

Tous ces éléments chiffrés ne figurent pas dans l’accord intergouvernemental, qui est l’objet de ce projet de loi, mais ils sont indispensables à la compréhension de ses enjeux.

L’accord comporte deux éléments qui permettent l’utilisation des contributions au sein du Fonds : d’une part, son article 3 autorise le transfert de ces contributions, collectées par chaque État, vers le fonds de résolution européen ; d’autre part, il organise leur mutualisation progressive, celles-ci étant, au cours d’une période transitoire de huit ans – jusqu’en 2024 –, pour partie isolées au sein de compartiments nationaux.

Durant cette période transitoire, si une défaillance bancaire nécessitait l’intervention du fonds de résolution, les différents compartiments nationaux du fonds seraient sollicités selon un ordre précis, fixé à l’article 8 de l’accord intergouvernemental : d’abord, le compartiment national de l’établissement concerné ; ensuite, si ce n’est pas suffisant, les autres compartiments nationaux, dans une limite croissante chaque année ; si ce n’est toujours pas suffisant, le reste du compartiment national de l’établissement concerné ; enfin, si ce n’est encore pas suffisant, le Conseil de résolution a deux options, ou bien solliciter des contributions supplémentaires des établissements bancaires pour financer la résolution, ou bien faire un transfert temporaire, c’est-à-dire un prêt, entre les autres compartiments nationaux et le compartiment national qui a été ainsi épuisé.

Il y a ainsi une mutualisation en ciseaux entre l’utilisation des compartiments nationaux, qui diminue progressivement, et le recours à l’ensemble des autres compartiments, qui augmente jusqu’en 2024, date à laquelle la distinction disparaît ; il n’y aura plus alors qu’un seul fonds de résolution véritablement unique.

Le Gouvernement était favorable à une mutualisation la plus rapide possible. J’estime cependant que la mutualisation progressive permet de protéger les secteurs bancaires les plus solides, comme le secteur bancaire français. Elle permet en effet d’éviter que la défaillance d’un établissement, liée à une politique de crédit aventureuse ou à un défaut de supervision antérieur à l’Union bancaire, ne vienne, dès les premières années de mise en place du MRU, mobiliser un fonds alimenté par l’ensemble des banques de la zone euro. C’est donc une protection pour les premières années de constitution du Fonds, dont nous pouvons nous féliciter.

Au total, la commission des finances s’est prononcée pour l’adoption de ce projet de loi de ratification.

Il s’agit en effet de compléter par un dispositif de financement important, bien que d’utilisation complexe, l’Union bancaire, qui est une pierre angulaire de la stabilité de la zone euro.

Cette stabilité est une garantie pour le contribuable public. Elle bénéficie également aux banques, dont la solidité était menacée par la spirale de crise de la monnaie unique.

Nous devons cependant rester vigilants sur le montant des contributions que devront payer les banques françaises. Cette vigilance, notre commission l’a manifestée à travers l’adoption d’un article additionnel qui prévoit que le Parlement sera informé annuellement des conditions de mise en œuvre du fonds de résolution.

Cela concerne principalement deux éléments, sur lesquels je serais heureux que vous nous donniez d’ores et déjà votre sentiment, monsieur le secrétaire d’État.

Le premier concerne les modalités de paiement des contributions bancaires. En effet, il faut espérer qu’un montant important de ces contributions puisse être versé en engagements de paiement et non en subventions « cash », c’est-à-dire sonnantes et trébuchantes, ce qui permettrait aux banques de conserver une plus grande partie des sommes dans leur bilan. La fourchette est fixée par le règlement entre 15 % et 30 % du total des sommes, et il reviendra au Conseil de résolution unique de fixer chaque année ce niveau.

Le second point d’attention concerne les contributions au fonds de garantie des dépôts national, qui seront versées par les banques à côté de leurs contributions au Fonds de résolution unique.

Le fonds de garantie des dépôts doit, en vertu d’une directive de 2014, atteindre 0, 8 % du total des dépôts de chaque pays à l’horizon 2024. La France pourrait solliciter une dérogation auprès de la Commission européenne pour le limiter à 0, 5 %, soit une réduction de près de 3 milliards d’euros pour les banques françaises.

Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous l’intention de solliciter cette dérogation, et selon quel calendrier ? Quelles sont les chances de parvenir à l’obtenir ? J’espère que vous pourrez nous éclairer sur ces points.

J’ajoute, en conclusion, que les négociations sur le Fonds de résolution unique ne sont pas terminées. En effet, pour que le lien entre la dette bancaire et la dette souveraine soit parfaitement brisé, il serait encore nécessaire que soit mis en place un « filet de sécurité » commun à tous les pays de la zone euro qui puisse, notamment, garantir les éventuels emprunts du FRU. Il pourrait s’agir, par exemple, du Mécanisme européen de stabilité, qui ne peut aujourd’hui recapitaliser une banque que sous des conditions très restrictives.

Un tel dispositif mettrait fin définitivement, au-delà du renflouement interne et du Fonds de résolution unique lui-même, à tout risque de contamination des finances publiques d’un État particulier par la défaillance de l’un de ses établissements au sein de la zone euro.

Monsieur le secrétaire d’État, où en sont les négociations en la matière et quelle est la position défendue par la France ?

Même s’il reste du chemin à parcourir, des étapes majeures ont déjà été franchies ; le chantier, complexe, n’est pas sans coût pour les banques françaises et le financement de notre économie, mais la stabilité de la zone euro et la protection du contribuable nous ont semblé le justifier. C’est la raison pour laquelle la commission de finances s’est prononcée en faveur de l’adoption de l’article 1er, et a adopté un article additionnel.

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