Intervention de Jean-Paul Alduy

Réunion du 26 octobre 2004 à 16h00
Aménagement protection et mise en valeur du littoral — Débat sur l'application d'une loi

Photo de Jean-Paul AlduyJean-Paul Alduy, président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me féliciter de l'initiative prise par le Sénat d'organiser un débat en séance publique sur la protection et la mise en valeur du littoral, à la suite du rapport que le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires économiques a élaboré sur l'application de la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral ».

Ayant eu l'honneur de présider ce groupe, je brosserai les grandes lignes du travail qu'il a effectué, en rappelant les raisons qui ont justifié sa saisine, ainsi que les axes de réflexion autour desquels se sont structurées nos propositions. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce groupe de travail, vous présentera une analyse détaillée de nos propositions, les mettant en perspective avec, d'une part, les mesures en faveur du littoral proposées par le Gouvernement lors du Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre dernier et, d'autre part, les modifications prévues dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, actuellement en discussion.

Les travaux du groupe de travail s'inscrivent en effet dans toute une chaîne de réflexions.

Au départ, en juillet 2003, la commission « littoral », que je présidais, du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire - CNADT - a lancé un message d'alerte. Celui-ci a été suivi d'un rapport de la DATAR. Un groupe de travail a alors été constitué, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. A la suite du CIADT de septembre dernier, des fenêtres législatives se sont ouvertes, notamment dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, j'y faisais allusion à l'instant.

Je tiens à rappeler brièvement que la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral » avait un quadruple objectif : préserver les espaces rares et sensibles ; gérer de façon économe la consommation d'espace par l'urbanisation et les aménagements touristiques ; ouvrir plus largement le rivage au public ; enfin, accueillir en priorité sur le littoral les activités dont le développement est lié à la mer.

Cette loi, votée au moment de la mise en place de la décentralisation, s'efforçait de concilier, d'une part, un enjeu national de protection d'un espace identifié, à juste titre, comme fragile et convoité, d'autre part, les nouvelles responsabilités et compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d'urbanisme.

Avant l'heure, cette loi, qui reste une bonne loi, comme Patrice Gélard et moi-même n'avons cessé de le souligner, se plaçait dans une optique de « développement durable » - même si cette expression n'était pas utilisé à l'époque -, en cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire, lesquelles sont la source de son attractivité et de son développement économique, social et culturel, afin de pérenniser ce développement.

Cependant, plus de dix-huit ans après l'adoption de cette loi, force est de constater qu'elle n'a pas totalement réussi à établir le « mode d'emploi » adéquat, permettant d'aboutir à une gestion équilibrée de cet espace tant convoité. En effet, l'espace littoral suscite un triple attrait, résidentiel, touristique et économique, et induit de ce fait des conflits d'usage exacerbés.

Faute d'avoir pris les décrets d'application et d'avoir établi, chaque année, les rapports d'évaluation pourtant imposés par la loi, l'Etat a laissé se développer une jurisprudence abondante et souvent contradictoire. Dès lors, cette loi a été ressentie comme excessivement contraignante par les élus locaux, confrontés à l'évolution des besoins de leurs populations, aux demandes d'activités nouvelles et aux pressions qui en résultent concernant le foncier et le maintien des activités traditionnelles.

Le Sénat, représentant des collectivités territoriales et acteur engagé en matière d'aménagement du territoire, ne pouvait donc rester en marge du débat ; d'où la constitution de notre groupe de travail, qui représente non seulement toutes les sensibilités politiques, mais aussi les différents espaces littoraux, et qui a entendu, en plus de quarante auditions, tous les acteurs impliqués dans la gestion de cet espace.

La saisine du Sénat répondait ainsi au message d'alerte lancé en juillet 2003 par la commission « littoral » du CNADT, que j'évoquais tout à l'heure et qui soulignait la disparition inquiétante de l'identité sociale, culturelle et économique du littoral ainsi que le « gaspillage d'atouts et de ressources géographiques, économiques et humaines à haute valeur ajoutée qui ne sont pas renouvelables ». Cette même commission constatait dans le même temps, pour s'en féliciter, une forte spécificité du littoral par rapport au reste du territoire national, eu égard, notamment, à son exceptionnelle attractivité démographique.

Face à ce constat, la commission « littoral » proposait d'élargir la définition du littoral, afin de mieux prendre en compte les interdépendances de la zone côtière vers la terre et vers la mer. Elle préconisait d'élargir la politique du littoral, au-delà de sa dimension strictement environnementale, à ses dimensions sociale, culturelle et économique, afin d'établir un authentique projet de territoire porté par les acteurs locaux et défini à une échelle pertinente. Il s'agissait en quelque sorte, comme l'indique le titre de notre rapport, de « mutualiser » l'aménagement du territoire littoral.

Le rapport du groupe de travail sénatorial, après avoir rappelé les objectifs et le contenu de la loi littoral elle-même, s'attache à l'identification précise de ses difficultés d'application. Il établit tout d'abord un constat de carence imputable à l'Etat s'agissant de la publication même des décrets d'application, certains d'entre eux n'ayant été publiés qu'en mars 2004, alors que d'autres, notamment le décret relatif aux concessions de plage, sont toujours en attente.

Ce rapport met également l'accent sur le faible nombre de documents locaux de planification qui ont été adoptés, qu'il s'agisse de directives territoriales d'aménagement, les DTA, ou de schémas de mise en valeur de la mer, les SMVM, qui devaient pourtant permettre de traduire localement les obligations de la loi littoral.

Cet état de fait a laissé les élus locaux très démunis et a induit de multiples contentieux, ainsi qu'une insécurité juridique tout à fait préjudiciable. En effet, c'est très largement par le biais de la jurisprudence qu'ont été élaborées les règles d'application de la loi.

Au-delà de ce constat en demi-teinte sur la mise en oeuvre de la loi littoral - et non pas, je le répète, sur la philosophie et les dispositions de la loi elle-même -, le groupe de travail a voulu redonner tout son sens à celle-ci, grâce à des propositions permettant de mettre en place une gestion intégrée du littoral, ce que j'ai appelé précédemment une « mutualisation » de l'aménagement du territoire. Cette approche nouvelle s'inscrit résolument dans l'esprit de la décentralisation puisqu'elle propose de définir la politique du littoral en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, à un niveau géographique pertinent et sous l'autorité des collectivités locales regroupées.

Les propositions du groupe de travail s'articulent autour de trois axes.

Premièrement, renforcer la concertation, la planification et la décentralisation en matière de gestion du littoral, principalement en faisant des SCOT littoraux, les schémas de cohérence territoriale, les documents uniques de planification spatiale, lesquels intégreraient les dispositions des DTA et des SMVM.

Deuxièmement, adapter les règles d'urbanisme, afin de permettre un meilleur équilibre entre protection et aménagement. Il s'agit, notamment, de la superposition peu cohérente de la loi montagne et de la loi littoral sur certains territoires ou encore de la nécessité de permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme - PLU - de justifier qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral. Patrice Gélard y reviendra plus en détail.

Troisièmement, réformer le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. C'est ce dernier point que je m'attacherai à développer, et d'abord pour indiquer que le groupe de travail est unanime à souligner la nécessité d'accroître les moyens humains et financiers de ce Conservatoire, faisant sienne la proposition de réforme de notre collègue Louis Le Pensec.

Il s'agit de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics, sans doute birégionaux, agissant pour son compte et sous son contrôle. Les conseils de rivages, dans lesquels les collectivités territoriales sont parties prenantes, assumeraient le rôle de conseil d'administration de ces établissements.

Il convient, à ce sujet, de se féliciter de l'engagement pris par le Gouvernement, lors du CIADT du 14 septembre dernier, de proposer prochainement les adaptations juridiques nécessaires pour renforcer, par façade maritime, la coopération entre le Conservatoire et les collectivités territoriales.

Je crois pouvoir dire aujourd'hui que la réflexion est achevée, que le dispositif juridique est quasiment prêt et qu'il fait l'objet d'un large consensus. Pourquoi ne pas l'intégrer, dès lors, dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que le Sénat va examiner en deuxième lecture en janvier 2005 ? Ce texte, en effet, comprend déjà des mesures spécifiques pour le littoral, notamment la création, grâce à l'adoption d'un amendement déposé par Patrice Gélard, d'un Conseil national du littoral.

Je tiens néanmoins à dire que nous ne ferons pas l'économie d'un vrai débat sur les capacités, à la fois financières et humaines, d'intervention du Conservatoire de l'espace littoral.

Dans le projet de loi de finances pour 2005, les moyens de fonctionnement du Conservatoire sont simplement reconduits à hauteur de 7, 4 millions d'euros, sans création d'emploi. Mais les dotations en autorisations de programme et crédits de paiement sont en baisse, respectivement de 23 % et de 17 %.

Certes, lors du CIADT du 14 septembre dernier, le Gouvernement a décidé de doter le Conservatoire, pour 2005, de 8 millions d'euros supplémentaires en autorisations de programme comme en crédits de paiements, qui seront inscrits dans le collectif budgétaire de fin d'année. Mais ce procédé nuit à la lisibilité des dotations effectivement attribuées à cet organisme et sur lesquelles le Parlement est appelé à voter.

En outre, et plus généralement, on peut se demander si cela permettra effectivement au Conservatoire de remplir ses missions, à savoir, d'une part, l'acquisition de terrains, alors même que les prix du foncier ne cessent d'augmenter, et, d'autre part, la réhabilitation et l'aménagement des terrains acquis. Cette activité, en effet, a pris une place très importante, car elle est essentielle pour assurer la préservation des espaces naturels et leur ouverture au public - j'allais dire : leur « appropriation » par le public - dans des conditions satisfaisantes.

Il faut également souligner que les collectivités territoriales gèrent près de 90 % des sites du Conservatoire. Cela se traduit par des engagements financiers qui, pour certaines communes, pèsent parfois lourdement. Je m'inquiète, dans ces conditions, de ne pas retrouver dans le projet de loi de finances pour 2005 la mesure, annoncée lors du CIADT, consistant à étendre l'éligibilité au Fonds de compensation de la TVA des dépenses des collectivités territoriales pour les travaux réalisés sur les propriétés du Conservatoire. Il s'agit pourtant d'une mesure importante pour pérenniser la dynamique indispensable entre l'intervention nationale et la gestion locale des terrains acquis par le Conservatoire.

Plus généralement, il nous faut réfléchir à la définition de ressources supplémentaires et pérennes pour le Conservatoire, afin de lui permettre de poursuivre son action essentielle. Deux voies méritent d'être étudiées : d'un côté, une taxe additionnelle à la taxe locale d'équipement, perçue sur les permis de construire ; de l'autre, la taxe spéciale d'équipement que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale prévoit d'attribuer aux établissements publics fonciers créés en milieu urbain.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe de travail, loin de remettre en cause l'économie générale de la loi littoral, en réaffirme au contraire tout l'intérêt, tout en préconisant un changement de méthode de planification et un renforcement des moyens du Conservatoire, afin de lui restituer tout son sens et, finalement, toute sa cohérence.

Je laisse maintenant à Patrice Gélard le soin de vous apporter, notamment, des précisions sur l'ensemble des dispositifs juridiques qu'il nous paraît nécessaire d'envisager pour donner, justement, plus de cohérence à la loi littoral.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion