On se souvient qu'à la suite de l'accord du 22 mars entre les partenaires sociaux gérant l'Unedic, les cotisations d'assurance chômage pour les annexes 8 et 10 avaient été relevées de 2 % et le cumul entre allocation et revenu plafonné à 4 800 euros - pour une économie de 80 millions - ; en même temps qu'avait été largement augmenté le différé d'indemnisation pour une économie de 100 millions en année pleine. S'était, sur ce fait, engagé le conflit des intermittents, qui avait conduit à l'interruption du festival de Montpellier et fait peser une sérieuse menace sur celui d'Avignon. Le Premier ministre m'avait alors confié une mission d'urgence. N'entendant pas remettre en cause un accord passé entre les partenaires sociaux en abrogeant son agrément, comme le réclamaient les intermittents, il avait alors annoncé que le budget de la culture serait sanctuarisé, que l'État prendrait en charge le différé d'indemnisation et qu'une mission de concertation serait diligentée. Elle fut confiée à notre trio, improbable, mais qui a bien fonctionné.
Le conflit de l'intermittence est récurrent : une secousse tous les deux ans et, tous les dix ans, un séisme, le dernier en date étant celui de 2003, qui a rouvert la plaie. Pour nous, ainsi que je l'avais déjà souligné à l'époque, le problème central tient moins au fond qu'à la méthode. Comment discuter des annexes sans se laisser enfermer dans ce triangle infernal où partenaires sociaux de l'Unedic, acteurs de la culture et État se renvoient la balle ? Notre mission n'était pas de jouer les médiateurs en produisant, comme cela a trop souvent été le cas, un rapport sans lendemain, mais bien plutôt de nous appuyer sur une concertation avec l'ensemble des partenaires. Il s'agissait de parvenir à réunir les partenaires sociaux, ceux de la branche, la coordination des intermittents, l'État, les collectivités. Il a fallu user de beaucoup de diplomatie pour que tout le monde reste autour de la table, mais nous y sommes parvenus, et nous avons ainsi créé un cadre de discussion reconnu par tous.
Il fallait, ensuite, parvenir à dresser un diagnostic partagé. Pour dire les choses abruptement, c'est l'Unedic qui a les chiffres, mais la coordination, qui la juge acquise au Mouvement des entreprises de France (Medef), s'en méfie. Nous nous sommes donc adjoint des experts pour mener ce travail en commun. Les annexes de notre rapport montrent comment nous avons modélisé le système des annexes 8 et 10, non pas à partir d'un échantillon, comme cela est souvent le cas, mais en recensant 10 000 cas réels - sur les 100 000 concernés - dont le parcours a été reconstitué, ce qui a permis de procéder à des simulations crédibles en faisant jouer les paramètres. C'est désormais un outil précieux au service des acteurs.
Nous avons également mis en place des groupes de travail sur des sujets récurrents comme le rapport aux prestataires et, en particulier, Pôle emploi ; sur la formation professionnelle, étant entendu que l'accord récemment signé avait largement déblayé le terrain ; sur des questions sociales, enfin, comme celle des matermittentes.
Notre rapport esquisse, en tablant sur la dynamique que peut susciter ce cadre de travail, un scénario de sortie de crise, présenté le 7 janvier dernier au Premier ministre, qui nous a ensuite revus avec les ministres concernés, François Rebsamen et Fleur Pellerin. Son principe de base ? Faire confiance et renvoyer chacun, État et partenaires sociaux, à ses responsabilités, afin de faire venir le secteur à maturité. Un secteur où l'on se heurte à cette difficulté que ses salariés ne s'y sentent pas toujours représentés par les syndicats - d'où l'émergence d'une coordination - tandis que côté employeur, aucun syndicat n'est représenté dans les grandes organisations comme le Medef, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) ou l'Union des professions artisanales (UPA). En revanche, depuis 2003, un important travail conventionnel a été réalisé, sous l'impulsion de Jean-Denis Combrexelle, alors directeur du travail. Le secteur s'est structuré, passant de quarante à neuf branches, au sein desquelles l'interprofession peut désormais s'appuyer sur des interlocuteurs responsables. Je me réjouis que le Premier ministre ait repris notre scénario, en y ajoutant quelques propositions.
Nous recommandons, tout d'abord, d'inscrire l'existence des annexes 8 et 10 dans le code du travail. Le véhicule pourrait en être la loi sur le dialogue social. Il est vrai qu'elle ne viendra pas transcrire un accord, puisque les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à s'entendre, mais elle a cet avantage qu'elle devrait rapidement être présentée en conseil des ministres, autour de la mi-avril, et devrait donc être adoptée par le Parlement avant l'été. C'est une mesure d'apaisement ; elle lèvera l'éternelle menace sur les annexes qui planait sur toutes les négociations. Il faudra, au-delà, trouver une formule pour indiquer que les partenaires sociaux, dont relève la négociation sur l'assurance chômage, devront prendre en compte ces annexes propres à la culture. L'idée est que l'interprofession énonce les principes généraux de l'assurance chômage et en définit le cadre financier, mais en laissant jouer un principe de subsidiarité au bénéfice des professionnels du secteur de la culture - salariés et employeurs - qui sont le mieux à même de définir les critères s'y appliquant. Et c'est bien pourquoi il était important de les doter d'une capacité d'expertise. Reste à savoir si ce qu'ils décideront doit s'imposer ou être simplement pris en compte ; il reste là un équilibre à trouver.
Nous recommandons, en deuxième lieu, d'encadrer le recours au CDDU, le contrat à durée déterminée d'usage. Cela relève cette fois non de la loi mais de la négociation. Le fait est qu'il convient de contenir certains phénomènes d'optimisation, en interdisant, par exemple, le recours à ce contrat pour des durées minimes, qui peuvent parfois être inférieures à quatre heures. Ajoutons que dans un secteur comme l'audiovisuel, tout passe par le CDDU, y compris pour les secrétaires, les chauffeurs, alors que le recours à ce contrat est normalement limité par les listes annexées. Le Premier ministre juge qu'il faut revoir ces listes pour les élaguer. Il n'est pas normal non plus qu'une entreprise multiplie les CDDU passés avec une même personne, pour atteindre des volumes pouvant aller jusqu'à 900 heures annuelles.
Nous proposons de pérenniser la mission d'expertise et de rechercher les moyens de susciter des sorties par le haut, en accompagnant certains intermittents vers le contrat de travail à durée indéterminée (CDI). Car l'intermittence n'est pas l'horizon indépassable de l'artiste ou du technicien du spectacle. Le Premier ministre a lancé l'idée d'un fonds pour l'emploi artistique, qui devrait être discutée dans le cadre de la Conférence pour l'emploi artistique que pilotera, en septembre, le ministère de la culture. On pourrait imaginer que le financement d'un tel fonds soit assuré par redéploiement des crédits affectés à la compensation du différé, pour peu que la convention d'assurance chômage soit renégociée.
Nous émettons, enfin, une série de propositions, parmi lesquelles l'amélioration des relations avec Pôle emploi. Il semble que nous devrions, sur ce point, parvenir à un accord. Le CDDU ne représente pas moins de 4 millions de contrats, qui concernent 250 000 personnes. Pour peu qu'un grain de sable vienne enrayer la procédure, que le contrat s'égare dans les limbes du numérique, que Pôle emploi le rejette comme n'appartenant pas au domaine artistique, ce peut être, pour l'intermittent, une catastrophe car il n'atteindra pas les 507 heures et sortira du régime. Il se retrouvera, faute d'interlocuteur, plongé dans un univers kafkaïen. Nous avons proposé que Pôle emploi mette en place une ligne téléphonique dédiée, nomme un médiateur et que des comités d'usagers puissent, dans les régions, repérer rapidement ce type de cas qui, pour n'être pas nombreux, n'en posent pas moins humainement problème.
Nous appelons, également, à redonner une gouvernance au Guso, le guichet unique pour les spectacles occasionnels - qui n'est plus piloté - et à améliorer l'accès des intermittents aux droits sociaux.
Tel est le scénario que le Premier ministre a validé, en indiquant qu'il y mettrait des moyens, qu'il dégelait dès à présent les crédits de la culture - ce qui n'est pas un mince privilège par les temps qui courent - et qu'il entendait les augmenter l'an prochain.
Je vous invite à vous pencher sur les annexes de notre rapport. Dans le travail d'expertise qui y est retracé et qui doit beaucoup à Hortense Archambault, nous avons pris en compte - c'est inédit - toutes les propositions, venant de tous les horizons. La tension qui règne entre le secteur et l'interprofession fait du conflit des intermittents un conflit très particulier. L'État pourrait en être l'arbitre, mais il n'a pas la main sur l'Unedic. Se pose, au-delà, la question des paramètres. Faut-il en revenir à une période de référence de douze mois dont les simulations montrent que le coût - 40 à 50 millions - ne serait pas insurmontable ? Quitte à trouver des ressources du côté du plafond de cumul, qui, ramené de 4 300 à 3 000 euros, produirait 100 millions d'économies ? Telles sont les discussions qu'il faudra mener, sachant que la date butoir de renégociation du régime général et de ses annexes est fixée à juin 2016. Soit l'époque des festivals...