Intervention de Hervé Maurey

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 mars 2015 : 1ère réunion
Présentation du rapport d'information de m. hervé maurey « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte »

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, je suis très heureux de vous présenter ce travail, qui a commencé il y a dix-huit mois, sous la présidence de notre collègue Jacqueline Gourault, dont je salue la présence parmi nous aujourd'hui. Les périodes électorales successives que nous avons connu - les municipales, puis les sénatoriales où j'étais moi-même renouvelable - ainsi que le temps de remise en route de la délégation après le renouvellement du Sénat expliquent le délai de remise du rapport. Mais cela nous a aussi permis de prendre le temps d'auditionner toutes les personnes concernées par ce sujet : les représentants des divers cultes, les associations d'élus, le Conseil d'État, l'Observatoire de la laïcité et celui du patrimoine religieux, le ministère de l'Intérieur. En outre, nos travaux ont pu s'appuyer sur un sondage réalisé auprès de 10 000 maires, avec 3 000 réponses effectives. Cette approche quantitative a été accompagnée d'un travail d'entretiens directs avec des maires volontaires. Les résultats de ce sondage ont déjà été présentés à la délégation en janvier dernier, je n'y reviendrai donc pas.

Pourquoi la délégation, à l'époque, avait-elle décidé de travailler sur ce sujet ? La loi qui régit les relations entre les collectivités territoriales et les cultes va fêter ses 110 ans d'existence, et l'on pouvait s'interroger sur son adaptation aux évolutions de la société. En effet, la religion dominante de l'époque a connu une baisse de sa pratique tandis que d'autres religions sont apparues. Je ne pense pas seulement à l'islam, mais aussi au mouvement évangélique. Ces religions sont dans l'attente de nouveaux lieux de culte. Avant de présenter plus en détail le résultat des travaux menés et les préconisations formulées dans le rapport, je vous propose de visionner une vidéo retraçant nos auditions.

Une vidéo est projetée.

Mon rapport propose tout d'abord un état des lieux en France sur le nombre de lieux de culte, religion par religion. Ainsi, nous comptons 45 000 églises catholiques, 4 000 lieux de culte protestants, 420 synagogues, 150 églises orthodoxes, 2 450 mosquées et environ 380 lieux de culte bouddhistes. La problématique est, pour les lieux de culte catholiques, très différente de celle qui se pose pour les autres lieux de culte, puisqu'il s'agit essentiellement d'une problématique d'entretien. Comme nous l'avons vu lorsque nous avons présenté les résultats du sondage, l'entretien des églises pèse lourd dans le budget des communes, d'autant que les dotations des collectivités territoriales ne seront pas amenées à augmenter dans le contexte financier que vous connaissez. Par ailleurs, ces dépenses, dans la plupart des cas, font l'objet d'un certain consensus. Quelle que soit l'appartenance politique du conseil municipal, l'église est, avant tout, envisagée comme un élément patrimonial de la commune ou du village. C'est d'ailleurs dans les petites communes que les églises sont le mieux entretenues parce qu'il s'agit souvent de l'unique élément patrimonial, par opposition aux grandes villes. Le consensus est donc assez large.

S'agissant des autres lieux de culte, la question qui se pose est plutôt celle de la construction de nouveaux édifices. Le texte régissant les relations entre les collectivités territoriales et les cultes est la loi de 1905, qui pose le principe d'une interdiction pour les collectivités publiques de construire ou d'acquérir tout lieu de culte. Il existe néanmoins un certain nombre d'exceptions, sur lesquelles je reviendrai. En outre, cette loi a considérablement évolué, notamment du fait de la jurisprudence, dans un sens favorable au financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. La législation prévoit également plusieurs exceptions, notamment s'agissant des églises catholiques, qui sont intégrées au patrimoine communal. Dès lors que des lieux de culte appartiennent aux communes - c'est le cas de la majorité des églises catholiques - il en découle une compétence communale pour entretenir et réparer ces bâtiments. Je rappelle que l'Église catholique n'ayant pas souhaité se constituer en associations cultuelles en 1905, la loi de 1907 a transféré la propriété des églises aux communes.

Par ailleurs, un régime dérogatoire est en vigueur en Alsace et dans la Moselle, ces territoires n'étant pas français en 1905, ils sont aujourd'hui encore régis par le régime du Concordat. Sur ces territoires, les lieux de culte peuvent donc être financés par les collectivités territoriales et les ministres du culte par l'État. Certaines exceptions sont également prévues dans les territoires d'outre-mer, conformément aux textes particuliers en vigueur dans ces territoires.

Pour être tout à fait complet, j'ajouterai que certaines dérogations ont été prévues par la législation plus récente et qu'une souplesse a été introduite par la jurisprudence. Tout d'abord, une commune peut garantir les emprunts souscrits par un groupe religieux pour l'édification d'un lieu de culte, mais uniquement dans les agglomérations en développement. Par ailleurs, le recours à un bail emphytéotique, qui est une facilité de droit commun pour la construction de nombreux bâtiments, s'applique également aux lieux de culte. Il est en outre possible de mettre à disposition des groupes religieux des locaux communaux pour toutes activités cultuelles, de manière provisoire et non exclusive. La jurisprudence a également introduit une distinction entre le cultuel et le culturel. C'est sur ce fondement que les juges ont autorisé l'achat ou la réparation d'un orgue dans une église. S'agissant de projets importants, comme la construction de mosquées ou de synagogues, la jurisprudence considère qu'au sein de ces bâtiments, une bibliothèque ou une salle d'exposition relèvent du culturel et peuvent ainsi être financés, contrairement aux éléments relevant du cultuel. Évidemment, cette différenciation peut être complexe à cerner pour les élus locaux.

Au regard de cet état du droit, nous sommes parvenus à la conclusion que nous ne pouvions pas modifier la loi de 1905 sans toucher à des équilibre précieux ; cela reviendrait à mettre en cause un texte qui a fait ses preuves et qui concourt à notre vivre ensemble. En revanche, nous pouvons, dans une approche sénatoriale, proposer des améliorations pour faciliter la vie des élus locaux. Nous avons donc formulé un certain nombre de recommandations, qui s'articulent autour de trois axes : améliorer l'information des élus, faciliter le dialogue entre les religions et les collectivités territoriales, renforcer le contrôle.

L'amélioration de l'information des élus est nécessaire, en particulier lorsqu'une règle est en partie le fruit de la jurisprudence administrative. Je me suis même interrogé sur la nécessité de codifier cette jurisprudence. Ce n'est pas ce que je vous propose ici. En effet, le caractère jurisprudentiel de ce droit permet des évolutions constantes et une certaine souplesse. Je vous propose toutefois de favoriser l'information des élus sur le droit positif grâce à des circulaires du ministère de l'Intérieur et des Cultes.

La deuxième proposition visant à faciliter les rapports entre les communautés religieuses et les pouvoirs publics est l'extension de l'octroi de garanties d'emprunt à l'ensemble des communes. En effet, la distinction actuelle entre les communes en voie de développement et les autres communes ne se justifie plus aujourd'hui et apparait dépassée. S'agissant des baux emphytéotiques, je propose aussi de prévoir la possibilité d'achat, au terme du bail, de l'édifice construit. Ces baux sont aujourd'hui une « bombe à retardement ». La ville de Paris, d'ici les années 2020-2030, récupèrera une trentaine d'églises qui représentent des travaux pour un coût de l'ordre d'une dizaine de millions d'euros. Cette situation pourra, à l'avenir, concerner des villes telles que Marseille ou Montreuil, qui ont signé des baux emphytéotiques pour la construction de mosquées. Il faut donc donner aux élus la possibilité de se prémunir contre l'incorporation dans le patrimoine de la commune de nombreux lieux de culte. Une autre recommandation prévoit la possibilité pour les maires de déterminer dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) les secteurs sur lesquels peuvent ou non être construits des lieux de culte. En effet, les maires n'ont aujourd'hui aucun moyen juridique de faire en sorte qu'un lieu de culte ne soit pas installé dans un secteur qu'ils jugeraient peu approprié.

S'agissant de la nécessité de renforcer la transparence, un décret devrait préciser ce qui relève du cultuel et du culturel. Par ailleurs, il est important d'assurer une transparence sur le financement des lieux de culte. Certains États, comme l'Autriche, ont décidé d'interdire le financement étranger des lieux de culte. Je n'irai pas jusque-là. Nous devons d'abord connaître l'ampleur du phénomène, afin de savoir s'il existe une raison de le réglementer. Je recommande donc que, dans le cadre de la construction d'un édifice cultuel, les maîtres d'ouvrage présentent un plan de financement certifié par un commissaire aux comptes.

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