Selon moi, il n'existe plus de prospective au niveau de l'État. Aujourd'hui, pratiquement chaque ministère a sa direction des études et de la prospective, chacun fait de la prospective très spécifique, « dans son coin ». C'est cette absence de vision globale partagée que je critique. La création, voilà quelques années, d'un secrétariat d'État à la prospective avait suscité un réel enthousiasme, vite retombé. Ne serait-ce que sur le plan sémantique, des divergences apparaissent. Prenons l'appellation « Commissariat général à la stratégie et à la prospective ». Pour ma part, j'aurais préféré « Commissariat général à la prospective et à la stratégie ». Si France stratégie a son utilité en tant que think tank produisant des études et rapports, il ne s'agit pas de prospective à proprement parler. La prospective telle que, nous, nous l'entendons, telle que l'entend l'école française, est un outil de construction et d'aide à la décision pour les élus territoriaux et les dirigeants d'entreprise. C'est à eux que le choix appartient, les techniciens n'ont qu'une fonction support pour leur apporter les éclairages nécessaires. Tout le problème est là, du moins au niveau de l'État, où l'on a tendance à faire faire de la prospective par des techniciens, certes très qualifiés, mais complètement déconnectés de la prise de décision en tant que telle, et qui produisent rapport sur rapport.
Personnellement, des rapports publics, j'en ai fait cinq. Ils ont tous fini dans un tiroir. Pour que la prospective soit vraiment utile et efficace, ceux qui ont à prendre les décisions doivent accepter d'en faire. Cela demande du travail, du temps. Dans les territoires, les élus le font. Au niveau national, à l'été 2013, le président Hollande avait demandé à ses ministres de lui présenter une vision prospective. Ce n'est pas la meilleure méthode. Je le répète encore une fois, une vision prospective, pour qu'elle puisse s'articuler avec l'action, avec la décision, se doit d'être collective et partagée. Tels étaient les principes posés dès l'origine par Gaston Berger et ceux qui l'entouraient.
Le fait que le Sénat se soit doté d'une délégation à la prospective a assurément de l'intérêt. Je le vois puisque je travaille depuis quelques années avec une structure analogue, celle du Conseil économique, social et environnemental. À mon sens, cela permet d'accompagner la réflexion d'ores et déjà au niveau du possible, de fixer un cadre. Quant à savoir s'il est possible d'éclairer le souhaitable, je ne sais si j'irais jusqu'à répondre positivement en ce sens que cela supposerait d'élargir la réflexion à un niveau plus général afin de pouvoir, dans la mesure du possible, appréhender la complexité du monde.