Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat revêt une portée symbolique pour les élus des Français de l’étranger, qui représentent une communauté singulière de près de 3 millions d’expatriés. Cette singularité est encore trop méconnue, alors qu’elle est un élément essentiel de l’influence de la France à l’étranger.
L’expatriation française est très ancienne et nous remémore l’époque où les sociétés de géographie et les missions chrétiennes étaient les acteurs du rayonnement et de l’influence française hors du territoire national.
Aujourd’hui, le véritable défi pour la France est d’adapter sa stratégie d’influence diplomatique et culturelle à la mondialisation et à la concurrence. L’effacement progressif des frontières nationales impose d’autres critères d’appartenance identitaire. La langue française en est un ; c’est un formidable atout, mais trop souvent politiquement, culturellement et économiquement négligé.
La francophonie, espace géographique de près de soixante-dix pays, pourrait devenir le porte-voix de la diversité culturelle d’un monde au sein duquel la France doit jouer un rôle primordial. Le français exprime un système de pensée original et spécifique, doté d’une forte capacité d’abstraction et de conceptualisation, ce qui fait dire à notre collègue Bruno Retailleau que l’on ne peut se polariser uniquement sur l’économie en laissant en friche le terrain de la circulation des idées, c’est-à-dire la manière dont on redonne de la puissance, de l’enthousiasme et de l’énergie à notre pays.
La priorité est de satisfaire cette « demande de France » et notre engagement consiste également à distiller celle-ci partout où nos intérêts l’exigent, particulièrement là où la France est peu implantée.
Ce sont clairement les enjeux d’un travail d’influence à la française visant à renforcer l’action de nos réseaux culturels, éducatifs et économiques.
Il va nous falloir être créatifs et trouver des moyens innovants afin de bouleverser les codes et les canaux traditionnels alimentés par des fonds publics, et que nous peinons à financer du fait d’un contexte budgétaire de plus en plus contraint.
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, les avancées de la loi relative à l’action extérieure de l’État du 27 juillet 2010 dont j’ai été le rapporteur pour avis auprès de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Fruit d’une longue réflexion, cette loi reprenait les grandes lignes de mon précédent rapport de 2004 appelant à la définition d’une nouvelle stratégie d’influence de l’action culturelle extérieure.
Cette loi a créé l’Institut français, appellation décidée au sein même de cet hémicycle et dont j’ai été l’ardent défenseur. Elle a également instauré deux autres établissements publics à caractère industriel et commercial, ou EPIC : Campus France, pour l’accueil d’étudiants étrangers à l’université, et France expertise internationale, pour la promotion de l’ingénierie française.
La création de l’Institut français visait à répondre à la concurrence des Instituts Goethe, Cervantès, Confucius ou du British Council en donnant une visibilité élargie à notre action culturelle.
La communauté française expatriée est un autre vecteur d’influence. Elle est constituée de 1 700 000 inscrits sur les listes électorales consulaires, chiffre en hausse de 35 % en dix ans, ce qui fait de nos compatriotes dispersés aux quatre coins du monde une sorte de « huitième département » en nombre d’électeurs.
Cette tendance constatée – c’est heureux – contrebalance l’image d’une France passéiste, dont l’influence reculerait, ou même celle d’une France repliée sur elle-même et rétive à la globalisation dans un monde d’échanges de produits, de services et de personnes. N’en déplaise à l’ancien ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, son apologie d’une « démondialisation » de la France est à contre-courant de l’évolution du monde actuel.
Il est à l’évidence nécessaire de prendre en compte le fort potentiel d’influence de nos compatriotes hors du territoire national. Ils incarnent une France en mouvement, capable de prendre des risques, en particulier dans un contexte économique incertain. Bref, dans l’Union européenne ou à des milliers de kilomètres du territoire national, ils représentent une France dynamique, engagée et ouverte sur le monde. Sachons prendre en compte cette présence extérieure et exploiter positivement l’image qu’elle nous renvoie dans l’Hexagone. Aussi importe-t-il de renforcer les liens avec cette « collectivité d’outre-frontière », comme la définissait notre ancien collègue Christian Cointat.
Certes, l’expatriation n’est pas toujours un chemin balisé. Il est difficile d’accéder à des données chiffrées, car l’administration ne dispose pas des outils nécessaires pour mesurer ce phénomène. Il conviendrait donc de mettre en place des mesures statistiques fiables, élaborées, par exemple, par l’INSEE, en association avec les réseaux consulaires.
Les trois millions de Français expatriés font aussi la France. Leur vision et le recul que leur confère l’éloignement sont précieux pour notre pays.
Cessons de croire qu’une grande partie d’entre eux sont des exilés fiscaux. L’expatriation fiscale demeure certes un sujet difficile à appréhender. Selon Bercy, elle concernerait moins de 1 % de l’ensemble des expatriés.
L’expatriation des jeunes diplômés, particulièrement des ingénieurs, tend en revanche à augmenter. Elle témoigne de l’incapacité de la France à proposer des emplois en corrélation avec la qualité et le niveau des diplômes obtenus. Dès lors, il est légitime de s’interroger sur l’attractivité du marché du travail à l’étranger, où les contrats à durée déterminée n’existent pas et où les droits sociaux sont moins nombreux, et qui offre pourtant à nos jeunes plus de perspectives d’avenir que la France !
Néanmoins, relativisons le phénomène d’émigration de ces jeunes diplômés. Dans ce domaine, les chiffres de votre ministère, monsieur le ministre, sont précis : la France est moins concernée que l’Espagne et reste dans la moyenne européenne.
Alors doit-on considérer cette émigration comme un facteur négatif ? Pourquoi ne l’aborder que sous le prisme franco-français ? Ce type d’interrogation démontre bien à mon sens une méconnaissance de l’international et des chances pour la France d’en tirer au contraire avantage.
Pourquoi ne pas admettre que ces départs sont aussi liés à un mouvement inéluctable et qu’ils s’inscrivent dans une tendance générationnelle banalisant fortement la mobilité internationale, laquelle est facilitée par internet ? C’est ce qu’a mis en avant Luc Chatel dans le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’exil des forces vives de France.
Avant de conclure, monsieur le ministre, j’attire votre attention sur les retours de nos compatriotes en France : leur expérience est une source extraordinaire de richesses pour toute la société française. Leur plurilinguisme et leur adaptation à d’autres systèmes culturels et professionnels devraient être exploités.
Mes chers collègues, à cet instant, je veux profiter de cette tribune pour remercier tous nos compatriotes à l’étranger de ce qu’ils font et sont pour la France en matière d’influence et de rayonnement et, dans le contexte sécuritaire tragiquement marqué par le terrorisme que nous connaissons, des risques qu’ils prennent en incarnant les valeurs de la France.