Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je voudrais commencer en félicitant le Président de la République et le Quai d’Orsay pour l’activisme dont ils font preuve, depuis le début du quinquennat, en matière de politique étrangère.
En cela, ils s’inscrivent dans la droite ligne de leurs prédécesseurs, qui ont toujours bataillé pour défendre les intérêts et l’influence de notre pays dans le monde. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, la « parole » de la France sur les grandes questions internationales est souvent attendue avec intérêt et ses prises de position scrutées par les autres pays. De par son histoire, le rayonnement de sa culture et sa place dans les principales institutions internationales, notamment à l’ONU, la France est écoutée avec un intérêt tout particulier.
Depuis 2012, dans un climat international extrêmement dégradé, de nombreuses initiatives ont été prises par le Président de la République qui, en moins de trois ans, aura engagé nos forces armées sur quatre terrains d’actions principaux, au Mali, en Centrafrique, dans la zone sahélo-saharienne et, contre Daesh, en Irak. En outre, l’intensification de la crise ukrainienne ces derniers mois a amené notre diplomatie à prendre de fortes initiatives, en partenariat avec l’Allemagne. Les accords de Minsk 2, même s’ils restent très fragiles, sont une avancée.
Face à la réorientation de la politique étrangère des États-Unis, son désengagement de plus en plus marqué vis-à-vis du vieux continent, face aussi à l’inertie de l’Europe et à ses divisions en matière de politique étrangère, nous ne pouvons que saluer le rôle et le dynamisme de la diplomatie française.
Toutefois, cela ne veut pas dire que je suis personnellement d’accord avec toutes les positions internationales prises par le Président de la République – tant s’en faut ! Par ailleurs, lorsque l’on parle d’influence de la France à l’étranger, il faut bien évidemment la replacer dans le temps et analyser l’ensemble de ses composantes.
Et là, monsieur le ministre, mon avis sera sûrement différent du vôtre. Il ne s’agit pas ici de faire du « déclinisme », mais d’examiner notre position et notre influence de façon objective, réaliste.
En effet, aujourd’hui, qui peut réellement nier que notre capacité à influencer « les affaires du monde » s’estompe sérieusement ?
La première raison, et sans doute la plus importante, tient à la stagnation de notre économie, qui connaît des taux de croissance assez faibles depuis la deuxième moitié des années soixante-dix, et qui subit de plein fouet depuis 2008 la crise économique et financière. Pour prendre l’exemple européen, il est évident aujourd’hui que notre décrochage économique par rapport à l’Allemagne nuit à notre importance dans les institutions européennes et dans le monde. La France compte 121 000 entreprises exportatrices, alors que l’Italie en compte le double, et l’Allemagne le triple !
Je n’aurai malheureusement pas le temps de parler de nos grandes entreprises, qui, les unes après les autres, se font racheter en partie ou totalement par des groupes étrangers, et sont donc de moins en moins françaises : Alstom, le Club Med, Pechiney... Cela contribuera sans aucun doute, à moyen terme, à la perte d’influence de notre pays.
Dans le même temps, nous avons assisté à un développement sans précédent des pays émergents, qui représentent à eux seuls 40 % de la population de la planète et un cinquième du PIB mondial. La multiplication des acteurs mondiaux nous renvoie, hélas, à un rôle de puissance moyenne parmi d’autres.
Par ailleurs, l’Union européenne a quelque peu dilué la parole de la France, qui est souvent obligée de prendre des initiatives plus personnelles pour faire entendre sa voix ou entraîner les autres États derrière elle.
Concernant l’Afrique, il suffit de regarder le montant des investissements chinois pour mesurer à quel point l’influence de la Chine augmente pendant que la nôtre décline. Les parts de marché de l’Hexagone sur le continent sont passées de 16 % en 2000 à 8 % en 2010.
La paralysie de l’ONU dans de nombreux conflits majeurs récents pénalise également notre politique étrangère.
Enfin, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 masque mal notre perte d’indépendance et l’affaiblissement de nos armées ; je salue à cette occasion le professionnalisme remarquable dont elles font preuve malgré des moyens de plus en plus réduits.
Personne ne peut ignorer la corrélation entre la puissance militaire d’un pays et son influence diplomatique. Il suffit, là encore, de mettre en regard le développement économique de certains pays – le Brésil, la Chine ou l’Inde – et l’augmentation de leurs budgets militaires.
Si elle veut garder un rôle international important, la France doit à tout prix sécuriser le budget de la défense, qui ne doit plus servir de variable d’ajustement. C’est d’autant plus nécessaire que, malgré les risques internationaux, l’Europe fait preuve de beaucoup de naïveté.
Pour résumer une question aussi vaste en cinq minutes, je dirai que nous faisons preuve de beaucoup d’« activisme » et de bonne volonté – c’est tout à l’honneur de notre pays –; mais que l’influence de la France dans le monde est malheureusement en recul.