Nous avons remis ce rapport il y a un peu plus d'un an au moment où le Parlement adoptait la proposition de loi du sénateur Larcher qui visait à prolonger la durée de vie des agences des pas géométriques. Le cadre de notre mission était un peu plus large afin de nous permettre de resituer la problématique de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) dans le contexte foncier général des Antilles, à l'exclusion des autres départements et collectivités d'outre-mer. L'objectif était de dégager les voies et les moyens d'une action foncière soutenue alors que ces territoires connaissent une pression foncière très forte. Cette pression est due à la topographie du littoral, à la prise en compte des risques naturels et à la demande de logements face à un parc manifestement inadapté en qualité et en prix.
Nous avons rapidement pris le parti de nous extraire de la problématique des outils pour nous concentrer sur les grands enjeux. Nous avons constaté que la gestion spécifique de la ZPG était source de complexité, nuisait à la cohérence de l'aménagement du littoral et n'avait pas apporté la preuve de son efficacité en tant qu'instrument de protection. Une certaine confusion des responsabilités perdure. Il est particulièrement frappant, lorsqu'on se déplace en Guadeloupe et en Martinique, de voir que la limite de la ZPG présente souvent un caractère arbitraire. Elle peut passer au milieu du village et, pour une commune qui doit penser un aménagement cohérent en termes d'assainissement, de réseaux et de voirie, le fait d'être confrontée à des gestions du foncier complètement disparates des deux côtés de la limite n'est évidemment pas satisfaisant.
Nous avons voulu faire passer un double message : d'une part, une clarification des responsabilités est nécessaire, d'autre part, il faut parvenir à s'émanciper du mode de gestion actuel qui paraît hérité du passé colonial et exorbitant du droit commun. Notre travail prend la suite d'une série de rapports sur le sujet. Le rapport de la mission interministérielle Rosier qui précédait la réforme de 1996 recommandait un transfert du foncier aux collectivités. Nous ne brillons pas tant par originalité que par constance ! Devant les louvoiements du passé, nous avons considéré que notre devoir était de faire passer ce message.
Le rapport comprend deux grandes familles de recommandations. Avant de les aborder, je précise que nous nous sommes penchées sur le schéma d'aménagement régional (SAR) qui nous paraît un outil fondamental mais qui conserve une certaine ambiguïté juridique. Chacun s'accorde à vouloir faire du SAR un instrument majeur d'aménagement et de protection du littoral, mais il nous semble qu'il faudrait le renforcer pour lui donner le statut des anciennes directives littoral. Nous avons le sentiment qu'il a été un peu affaibli.
Le transfert du foncier aux collectivités constitue notre première grande recommandation générale, ce qui signifie aussi un transfert du processus de régularisation. C'est le propriétaire du foncier qui doit décider à qui il l'attribue et dans quelles conditions juridiques. Ce processus doit respecter un principe de neutralité financière. Le transfert du foncier nécessite un redécoupage du foncier. L'idée est de transférer autant que possible un foncier résiduel, apuré des demandes de régularisation. Nous recommandons une accélération des régularisations et la gratuité des cessions pour simplifier le mécanisme. La gratuité s'accompagnerait d'une captation des plus-values, si elles se réalisent, afin d'éviter que la cession entraîne, le lendemain, des reventes spéculatives. Il faut à la fois afficher la gratuité dans un souci de lisibilité pour la population tout en assurant un retour à l'État ou aux collectivités selon le cas. Il conviendrait également, avant d'organiser le transfert du foncier aux collectivités, de transférer des terrains préalablement listés aux organismes de logement social et de délimiter soigneusement les espaces naturels soumis à une protection renforcée, ainsi que les espaces exposés à des risques naturels. Il est important de transférer aux collectivités des terrains sur lesquels le risque a été, sinon totalement éliminé, du moins géré le mieux possible et sur lesquels les travaux d'aménagement ont été chiffrés.
Notre deuxième série de recommandations intervient dans la foulée de la décision de transfert aux collectivités territoriales. Elle porte sur la redéfinition du rôle des différents intervenants. Les agences de la ZPG n'ont plus en tant que tel de raison d'être, même si elles pourront être confrontées à un surcroît de travail dans une phase transitoire. Leur liquidation doit être engagée à terme après avoir affiché une feuille de route claire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut leur prescrire de ne plus entamer de nouveaux travaux d'aménagement. Actuellement, l'aménagement précède la cession, ce qui génère un processus sans fin. En effet, l'aménagement dure plusieurs années et il suffit, huit jours avant la date de disparition programmée des agences, que l'on engage de nouveaux chantiers pour que le processus soit automatiquement reporté pour trois ans. Le rapport précédent de l'inspection le montrait bien. Les activités d'aménagement doivent être portées par des aménageurs.
À l'époque du rapport existait un obstacle juridique dans l'ordonnance de 2011 qui prévoyait que les établissements publics fonciers locaux (EPFL) ne pouvaient pas réaliser d'aménagement, contrairement à ce qui se passe en Guyane. Nous estimions qu'en Guadeloupe comme en Martinique existaient ou pouvaient exister des outils d'aménagement clairement portés par les collectivités, qui assumeraient ces missions d'aménagement comme partout ailleurs. Il n'était donc plus d'actualité de disposer d'un aménageur d'État pour gérer une série de lotissements ou de grandes opérations, sur lesquelles les collectivités étaient légitimes pour agir. Nous proposions que les EPFL soient centrés sur la gestion foncière, la collectivité propriétaire pouvant lui confier la gestion de ses terrains. On pouvait imaginer transférer l'activité des agences et leurs actifs financiers à des EPF d'État. Désormais, les collectivités ont pris la main et constitué des EPFL. La mission de ces établissements publics doit maintenant se concentrer sur le développement d'une action foncière, la saisie des opportunités, l'approvisionnement en foncier des collectivités et des opérateurs publics. Cela nous a paru suffire à leur bonheur, sans leur ajouter l'aménagement, d'autant que les aménageurs existent et ont montré leur appétit.