La question du titrement figurait également dans notre lettre de mission. Elle nous éloigne un peu de la zone des cinquante pas géométriques car il s'agit d'un problème général aux Antilles. L'absence de titres de propriété ou bien l'existence de titres qui n'ont pas donné lieu à succession pose de sérieuses difficultés. Il était de tradition de dire oralement à tel enfant ou petit-enfant que tel terrain lui revenait, plutôt que de recourir à un notaire pour assurer la réalisation des opérations permettant de disposer d'un titre et de le transmettre en bonne et due forme. La situation est devenue très complexe. Certains terrains font l'objet de titres en bonne et due forme. D'autres renvoient à des titres anciens qui n'ont absolument connu aucune dévolution successorale, souvent depuis plus d'un siècle, ce qui a pour conséquence la multiplication des indivisaires, alors même qu'une famille habite sur le terrain. Il faut aussi prendre en compte les terrains qui autrefois appartenaient à des collectivités ou à l'État et où sont installés des occupants qui en ont « hérité » oralement parfois depuis le XIXe siècle. Partout le titre de propriété prend une grande force symbolique.
Initialement, au moment où notre lettre de mission fut rédigée, il était envisagé que les agences soient reprises par les EPF d'État qui devaient être créés. Ces derniers n'ont finalement pas vu le jour parce qu'on leur a préféré la solution des EPFL. Il était aussi prévu de confier aux EPF d'État les activités d'un groupement d'intérêt public (GIP) en charge du titrement sur le modèle corse. L'idée était de tirer parti des similitudes entre les situations foncières corse et antillaise, marquée toutes les deux par l'absence de titres de propriété et de transposer la solution mise en oeuvre en Méditerranée. Les EPF aurait donc à la fois la charge de la régularisation des occupations sans titre dans la ZPG et la clarification générale des titres de propriété sur l'ensemble du territoire des îles.
La reconstitution des titres de propriété est essentielle pour soigner ce qui représente une véritable plaie économique. Sans titre, il n'existe pas de possibilité d'emprunter. L'absence de titre présente beaucoup d'incidences sociales et économiques concrètes pour les familles.
Pour préparer le rapport, nous nous sommes penchés sur le modèle du GIP de titrement et nous nous sommes même rendus en Corse pour apprécier directement sa pertinence. Nous avons dressé un état des lieux assez prudent car nous nous sommes rendu compte que, malgré son aspect séduisant, le modèle corse ne pouvait pas aisément être adapté à la Guadeloupe et à la Martinique. En effet, en Corse, existe un cadastre très performant d'origine napoléonienne qui permet d'identifier historiquement les propriétaires. Comme il était, de plus, possible de bénéficier jusqu'à récemment d'une exonération de frais de successions, le GIP fonctionne relativement bien. Aux Antilles, la situation est beaucoup plus complexe : certains titres en bonne et due forme ont plus d'un siècle mais certaines familles n'en disposent pas, tout en occupant le terrain et en s'en sentant propriétaire. Dès lors, avant même que les nouveaux EPF puissent se saisir du titrement, il fallait impérativement un état des lieux nettement plus précis, notamment pour les archives afin de s'assurer de la qualité des données. D'autres expériences, notamment au Brésil, pourraient de ce point de vue se révéler plus pertinentes, car appliquer simplement les règles de dévolution successorale en remontant jusqu'au propriétaire initial au XIXe siècle ne suffira pas à régler les problèmes fonciers aux Antilles.
Tout ceci explique que nous ayons émis des recommandations plus prudentes en demandant avant toute chose un audit précis. Il convient de nous assurer de la faisabilité du projet avant de se doter de nouveaux outils. Il nous a semblé que, sur la question du titrement, on avait eu tendance à mettre l'outil avant le bilan.