Je vous remercie de votre invitation et de votre intérêt pour les droits d'auteur et les droits voisins qui, au-delà des seuls auteurs, concernent l'ensemble de la filière de la création.
L'Adami, société d'auteurs créée en 1955, a vocation à gérer, dans un cadre collectif, les droits des artistes-interprètes, soit tous ceux qui, musiciens, comédiens, danseurs, cascadeurs, interprètent la création. Elle est principalement amenée à gérer les droits de copie privée et le droit à une rémunération équitable ; elle est également gestionnaire de plusieurs accords conventionnels dans le domaine audiovisuel. Elle répartit également de nombreux droits en provenance de l'étranger, à travers un maillage de plus en plus serré d'accords de réciprocité passés avec une soixantaine de sociétés d'artistes-interprètes.
En réponse à la volonté affirmée de M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, de « briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d'auteur », il n'est pas inutile de rappeler quelques chiffres. Le droit d'auteur est, en Europe, à l'origine d'une activité économique évaluée, par une récente étude, à 536 milliards d'euros pour l'ensemble des industries de la création - spectacle vivant, livre, industries phonographiques, audiovisuel, jeu vidéo. Elles représentent un enjeu de 7,1 millions d'emplois. À titre de comparaison, la sidérurgie en compte 5 millions et l'hôtellerie-restauration 7,3 millions. C'est dire l'ampleur de l'impact économique du droit d'auteur tel qu'il existe aujourd'hui. Qui voudrait entreprendre de le réformer doit en prendre la mesure.
L'étude européenne que j'ai mentionnée, que l'on doit à l'initiative d'organisations d'auteurs, apporte un éclairage nouveau. Le droit d'auteur a souvent été défendu sous l'angle de l'exception culturelle, ce qui se justifie, mais il faut également l'envisager à l'aune de cet enjeu économique, sur lequel l'accent n'a pas assez été mis par le passé.
Dans le cadre du débat relatif à la révision de la directive de 2001, l'Adami entend insister sur la question du partage de la valeur. Comment, dans l'univers numérique, partager la valeur avec les nouveaux entrants, qui font commerce de la création, et les différentes catégories d'ayants droit ? La préoccupation première de l'Adami tient évidemment à la rémunération des artistes-interprètes. Quand on sait que l'abonnement premium à un site de streaming musical coûte 9,99 euros par mois, sur lesquels 46 centimes d'euros seulement reviennent à l'ensemble des artistes, il est clair qu'une telle question mérite d'être posée.
Comme la ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, nous sommes surpris de constater que le premier rapport commandé par la Commission européenne sur le droit d'auteur et la propriété littéraire et artistique ait été confié à Mme Julia Reda, unique députée du parti Pirate, dont les positions très hostiles sont bien connues. L'entrevue éclair que j'avais eue avec son prédécesseur, M. Christian Engström, a tenu en une phrase : « Je n'ai rien à vous dire ». À quoi il convient d'ajouter que Mme Reda, dont le rapport consiste en une série de propositions à charge pour la création, n'a pas répondu à la commande de la Commission, qui lui demandait de dresser un constat. À ces propositions, nous entendons opposer des amendements, dont nous nous entretiendrons lundi avec Mme Reda, qui a enfin accepté de nous rencontrer. Ses propositions, qui tendent à généraliser les exceptions, mettent en danger le droit d'auteur. Autant, parce que nous estimons que l'exercice du droit d'auteur doit s'inscrire dans une démarche citoyenne, nous ne sommes pas fermés à la discussion sur l'exception en faveur des activités pédagogiques et de recherche, autant nous considérons que généraliser le principe de l'exception présente un grave danger : multiplier les exceptions conduirait à remettre en cause le principe même du droit d'auteur.
Autre point soulevé dans ce rapport : l'exception pour copie privée, déjà évoqué dans le rapport Vitorino, qui recommandait d'harmoniser l'évaluation du préjudice que représente la copie privée. Nous craignons que ce ne soit là l'antichambre d'une harmonisation des barèmes. Comment la concilier avec les différences de développement économique et de niveaux de vie en Europe ? Quant à l'impact de la rémunération pour copie privée sur le consommateur, l'analyse des politiques tarifaires des industriels de l'électronique grand public nous conduit à la conclusion qu'il est inexistant.
Tels sont, pour nous, les éléments saillants du débat. Je tiens bien entendu à votre disposition le texte de nos propositions d'amendements.
J'ajoute qu'il convient de replacer le débat dans le contexte né de la directive récente sur la gestion collective. C'est un cadre de gestion que la France a toujours privilégié dans la gestion des droits et dont elle s'est fait le promoteur. L'Adami a donc accueilli cette directive avec enthousiasme : outre qu'elle apporte un certain nombre de garanties quant à la gestion des droits, elle consacre le principe de leur gestion collective comme mode privilégié de rémunération des artistes-interprètes.