Intervention de Marie-Anne Ferry-Fall

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 mars 2015 à 9h35
Harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information dans la perspective de la refonte de la directive européenne — Table ronde

Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale gérante de l'Adagp :

L'Adagp, société des auteurs dans le domaine des arts graphiques et plastiques, est sans doute la plus modeste et la moins connue des sociétés d'auteurs. Elle représente le répertoire d'auteurs tels que les peintres, les architectes, les sculpteurs, les photographes, les designers les artistes de street art, les céramistes ou les verriers ; toute une population d'artistes qui ne reçoit pas autant d'attention qu'elle le mériterait et dont l'Adagp relaie les inquiétudes. La remise en cause du droit d'auteur risque de toucher de plein fouet cette population très fragile, dont le niveau de vie moyen est inférieur à celui des Français et qui ne dispose d'aucune industrie de production ou d'édition susceptible de les protéger. Les quarante-deux personnes qui gèrent chez nous les droits de ces artistes, peuvent témoigner qu'elles sont confrontées au quotidien à des difficultés, tant ceux qui font usage de ces oeuvres rechignent à payer les droits : le droit de reproduction et de représentation de ces oeuvres, qu'elles soient utilisées dans des ouvrages écrits, dans la presse, à la télévision, dans des produits dérivés ou sur Internet, comme le droit de suite, qui doit être acquitté quand une oeuvre est revendue sur le marché de l'art, et les droits collectifs, liés à la copie privée, à la photocopie, etc.

Notre société représente une population de 11 000 membres, certains pour l'ensemble de leurs droits et d'autres, comme les photographes, les auteurs de bande dessinée ou d'illustrations pour la jeunesse, pour les droits de suite et les droits collectifs, sachant que le contrat individuel les liant à leur éditeur prévaut pour les droits de reproduction primaires.

Nous représentons également des sociétés soeurs, installées dans quelque cinquante pays, pour l'utilisation en France par les éditeurs, les télévisions, Internet, de leur répertoire, qui concerne les oeuvres de plus de 120 000 artistes.

Nous gérons les droits des artistes selon plusieurs modalités. Nous pouvons assurer une gestion fine, oeuvre par oeuvre. Quand un éditeur veut utiliser une oeuvre de Daniel Buren, par exemple, en couverture d'un ouvrage, il nous en demande l'autorisation. Et nous nous assurons, dans certains cas, de l'agrément de l'artiste avant de la délivrer. Il en va principalement ainsi pour le livre, la presse, la publicité, ou les produits dérivés, qui mettent en jeu le droit moral. Nous avons également passé des contrats généraux avec les télédiffuseurs, les plateformes de diffusion à la demande, les sites Internet, qui acquittent des droits forfaitaires pour l'ensemble du répertoire, charge à nous de répartir ensuite la rémunération entre les ayants droit. Nous savons donc tout à la fois faire de la « haute couture », en procédant avec une grande précision, et gérer les droits pour une utilisation massive. Preuve que l'argument avancé par certains, dont Mme Reda, qui considèrent que le droit d'auteur n'est pas compatible avec le numérique, est de mauvaise foi.

L'angle retenu pour ouvrir une révision de la directive est, à notre sens, biaisé. On argue que plus de dix ans ont passé et que la directive de 2001 a vieilli. Outre qu'ils oublient que beaucoup de choses existaient déjà à l'époque et que cette directive fut le fruit d'une longue négociation, ceux qui avancent cet argument changent d'avis dès qu'il s'agit de la directive commerce électronique, qui remonte pourtant à l'année 2000 et exonère pratiquement de toute responsabilité en matière de droits d'auteur les prestataires techniques et les hébergeurs. On ne peut pourtant pas dire, en l'occurrence, que les choses n'ont pas évolué, puisqu'aujourd'hui, le volume de YouTube équivaut à lui seul à ce qui était celui de tout l'Internet à l'époque ! Or, il n'est pas question, pour les pourfendeurs du droit d'auteur, de revenir sur la directive commerce électronique, qui pose un problème crucial en matière de partage de la valeur.

En exonérant les plateformes de partage, qualifiées par les juges d'hébergeurs, de toute responsabilité, on oppose les artistes à leur public. Autoriser les plateformes, à la différence des autres diffuseurs, à ne pas acquitter de droits, c'est condamner les artistes soit à laisser faire, soit à réclamer leur rémunération directement auprès du public, qui ne le comprend pas et réagit en retour en mettant en cause le droit d'auteur. Le fait est que l'on dévoie ainsi le principe même du droit d'auteur, qui ne doit pas s'appliquer aux particuliers mais aux professionnels. Tel est le grand hold up qu'opère cette directive.

Les propositions de Mme Reda ne viennent qu'en diminution des droits actuels. Son rapport réaffirme, certes, de grands principes en faveur de la rémunération de la création, mais le reste remet en cause les acquis. Nous regrettons qu'elle ne nous ait pas donné l'occasion de la rencontrer avant la publication de son rapport, qui aurait gagné à être assorti d'une étude d'impact. Elle ne nous a, de fait, proposé de rendez-vous qu'après la publication de son rapport, ce qui n'est guère respectueux des intérêts que nous portons et qui auraient dû être entendus.

Dans le point 10 de son rapport, Mme Reda relève que la disparité des législations des Etats membres pose problème. J'aimerais savoir d'où provient cette certitude. Nous délivrons tous les jours des dizaines d'autorisations, qui concernent des milliers d'oeuvres sur des territoires situés dans le monde entier. Or, je ne connais pas un seul exemple qui viendrait à l'appui de sa thèse. Et cela justifierait de rendre les exceptions obligatoires ? Je rappelle qu'en 2001, il avait été clairement précisé que l'harmonisation du droit d'auteur en Europe n'exigeait pas une harmonisation des exceptions et qu'il existait des considérations nationales et locales qu'il convenait de respecter. Depuis 2001, leur existence ne nous a d'ailleurs nullement empêchés de fonctionner au quotidien sans qu'aucun problème ne se pose. Or, l'harmonisation que Mme Reda appelle de ses voeux serait un nivellement par le bas : il s'agit de rendre toutes les exceptions obligatoires au détriment des droits des auteurs.

Elle souhaite que les exceptions puissent être considérées, dans la directive, sur le modèle du fair use, dans lequel la victime - celui dont l'oeuvre est utilisée sans autorisation - doit faire la preuve du préjudice. Aux États-Unis, les auteurs des domaines que nous représentons sont systématiquement lésés par ce système.

Mme Reda souhaite également traiter la problématique des « transclusions » - le « hotlinking » - en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qui, dans son arrêt Svensson et, plus récemment, Bestwater, a jugé que, dès lors que l'auteur ou son représentant autorise la mise en ligne d'une oeuvre sur un site dont l'accès n'est pas restreint, son accord vaut pour tout l'Internet et qu'ainsi tout autre site peut réencadrer l'image mise en ligne sans avoir à acquitter d'autres droits. Autant dire qu'il n'y a plus de droits sur Internet pour les artistes plasticiens.

Autre problème, enfin, l'exception de panorama, dont j'ai hélas entendu la secrétaire d'État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, évoquer l'introduction dans la future loi sur le numérique. Il s'agit d'exclure du droit d'auteur toutes les oeuvres présentes en permanence dans l'espace public, c'est à dire les bâtiments, mais aussi les sculptures - chacun connaît les oeuvres de Miro, de Calder, de Buren, d'Arman ou de César qui ornent nos places -, les fresques, les oeuvres de street art. À l'heure actuelle, quand ces oeuvres sont filmées, utilisées sur des cartes postales ou dans des campagnes publicitaires, leurs auteurs perçoivent des droits, qui seraient sacrifiés sur l'autel d'un intérêt suprême dont le contenu échappe. Les animateurs de l'encyclopédie Wikipedia sont très favorables à cette réforme, mais, lorsqu'une oeuvre entre sur Wikipedia, elle est obligatoirement soumise à la licence creative commons, qui oblige l'auteur à accepter l'utilisation commerciale de cette oeuvre, y compris modifiée, sans que son autorisation ait à être sollicité. Il est clair que cette exigence est pour nous un « chiffon rouge » et nous en appelons au soutien de tous contre l'exception de panorama, qui priverait les auteurs de leurs droits.

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