Intervention de Hervé Rony

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 mars 2015 à 9h35
Harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information dans la perspective de la refonte de la directive européenne — Table ronde

Hervé Rony, directeur général de la Scam :

La Scam représente quelque 35 000 ou 36 000 auteurs, parmi lesquels 20 000 sont des documentaristes ou des journalistes de radio et télévision. Mais nous comptons également parmi nos membres des auteurs de l'écrit, pour la gestion des droits de prêt, de reprographie ou de copie privée numérique.

Je souhaite insister sur le contexte politique dans lequel se pose la question des droits d'auteur, marqué par l'initiative de MM. Juncker, Ansip et Oettinger. Nous sommes à la croisée des chemins et la voie qui sera choisie déterminera l'avenir du droit d'auteur en Europe. Nous sommes face à un problème profond : les responsables européens ne regardent le droit d'auteur qu'au travers du prisme d'un consumérisme excessif. Certes, il est normal que les pouvoirs publics soient sensibles à l'intérêt du consommateur, mais dans le cadre européen, il n'est plus tant question du consommateur que du « user ». On ne parle plus là de quelqu'un qui, achetant une oeuvre, ne doit payer que le juste prix, mais de quelqu'un qui doit à toute force y avoir accès en tout lieu et à tout moment. C'est s'orienter vers un choix de société radical. Tout débat démocratique est certes légitime, mais nous n'entendons pas nous laisser enfermer dans cette logique. La nouvelle Commission nous inquiète. Son raisonnement est très éloigné de celui qui guidait, en son temps, Michel Barnier, dont nous saluons le travail remarquable. Le débat de fond est le suivant : doit-on analyser le droit d'auteur à la seule aune du désir égocentrique de l'internaute - que nous sommes tous, d'où le pouvoir de séduction d'une telle logique - ou bien continuer à le considérer comme un élément essentiel de création de valeur dans une chaîne économique ? Car c'est bien d'une chaîne de la valeur qu'il faut parler, sauf à oublier toutes les intermédiaires de la création, les éditeurs, les producteurs.

Ce qui me semble invraisemblable dans l'orientation idéologique de la Commission européenne, c'est qu'elle conduit à regarder le droit d'auteur comme un système d'exception, alors qu'il ne s'agit de rien d'autre que du droit de négocier librement la faculté qu'a un auteur d'autoriser ou d'interdire tel ou tel usage de son oeuvre. « Vous défendez le droit d'interdire ! » s'exclamera-t-on aussitôt, en s'empressant de rechercher des exemples. Or, il n'y en existe pas, car aucun auteur, que je sache, ne souhaite interdire que son oeuvre soit exploitée. En revanche, tous entendent, comme cela est normal, subordonner son exploitation à des conditions économiques et d'exclusivité.

La Commission européenne, et c'est là le reproche majeur que l'on peut lui faire, ne cherche pas à intégrer sa démarche dans une réflexion générale sur l'optimisation fiscale à laquelle se livrent de grands opérateurs extra-européens, avec le système bien connu du « sandwich néerlando-irlandais ». On marche sur la tête ! Elle refuse, de surcroît, d'appliquer la règle du pays de destination, comme de poser la question de la responsabilité des hébergeurs et de la refonte, indispensable, de la directive commerce électronique en faveur laquelle nous avons plaidé longtemps sans résultat. Il faut sans cesse revenir à la charge, afin que la Commission comprenne enfin la nécessité de cette révision, car l'idée commence à s'entendre à Bruxelles que les pouvoirs publics doivent réguler l'activité des plateformes. Il n'y a aucune raison d'être généreux avec des hébergeurs qui éditorialisent les contenus.

Vous nous interrogez sur nos propositions. S'agissant du problème, important, de la portabilité des oeuvres, qui veut que lorsque quelqu'un est abonné à Canal+ ou à Netflix à Paris, il doit pouvoir y accéder quand il se trouve à Stockholm, nous faisons observer qu'il n'est pas du pouvoir des sociétés d'auteurs de le régler, tout simplement parce que la portabilité ne relève pas du droit d'auteur, ce qui ne signifie pas que nous considérons ce problème comme anecdotique. Mais ce n'est pas en ramenant la durée de protection des droits de 70 à 50 ans que l'on fera avancer le marché unique. La directive de 2001, qui a eu la sagesse de ne pas imposer une harmonisation stricte, n'a nullement fait obstacle à sa construction et il fonctionne fort bien dans le cadre de ces dispositions. Pourtant, on veut aujourd'hui harmoniser par le bas. Nous l'avons dit à vos collègues de l'Assemblée nationale, qui travaillent à dresser le bilan du droit de copie privée : on ne saurait accepter le nivellement proposé par Mme Reda, qui veut généraliser les exceptions en considérant comme secondaire la question de la juste compensation.

Sur les oeuvres orphelines, nous avons tous accepté de travailler et il existe désormais une directive. Nous avons également souscrit au traité de Marrakech, que la France serait avisée de ratifier. Nous ne sommes pas des immobilistes ; nous affirmons simplement que la faculté de négocier contractuellement des droits reconnue aux auteurs n'a jamais constitué une entrave à l'émergence d'offre. Sur un certain nombre de sujets comme le préfinancement des oeuvres dans l'audiovisuel ou la chronologie des médias, le droit d'auteur n'est pas en cause. Il faut laisser la directive de 2001 en l'état, tout en travaillant à régler, au cas par cas, des problèmes comme celui de la portabilité. Nous ne nous résoudrons pas à l'affaiblissement du droit d'auteur.

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