Je voudrais vous apporter quelques informations complémentaires. Le rapport Reda n'est qu'une mise en bouche au regard de ce qui nous attend. Le président Juncker prépare une communication globale sur le marché unique numérique. Les travaux sont en cours de discussion et doivent être présentés aux chefs d'État et de Gouvernement en juin prochain. Puis, un cap sera fixé et des réformes irrévocables pourront être mises en oeuvre.
Un projet de directive pourrait être présenté à l'automne 2015. Or, ce n'est qu'une partie d'un beaucoup plus grand processus. Nous sommes à l'aube d'une bataille politique. En Allemagne, le ministre de la justice est chargé des droits d'auteur. Cela se jouera au niveau des chefs d'État et de Gouvernement car l'enjeu est de niveau politique. La démarche, sous forme de résolution, de la Haute assemblée pourrait avoir une grande portée en Europe. On considère cela comme un débat technique, mais c'est une tactique qu'il faut déjouer. Une prise de position unanime claire et politique aurait forcément une incidence. Si la France pèse aujourd'hui moins à Bruxelles que par le passé, nos homologues nous attendent et nous regardent.
Nous avons une démarche « ERP » : expliquer et sensibiliser, d'abord à travers le poids économique de la culture en Europe par l'intermédiaire de « France Creative » ; rassembler ensuite, en écrivant au chef de l'État et à travers la société mondiale des droits d'auteur, basée en France et qui regroupe 250 sociétés d'auteurs présents dans 120 pays ; proposer enfin, même si les gens de la culture disent souvent « non ». Cet exercice passe par une démarche avec les élus européens de tous les groupes politiques et de toutes les nationalités. Les propositions doivent répondre aux problèmes de base. Pour autant, il n'y a aucun problème de circulation des oeuvres dans le marché numérique aujourd'hui. Et tant mieux pour le consommateur. Cela vaut aussi pour les plateformes Internet.
Les sociétés d'auteurs existent pour encourager l'exploitation des oeuvres de leurs membres. Le conseil d'administration décide de nos règles de gouvernance et de transparence comme de nos tarifs. Nous avons signé une licence, qui dépasse le territoire français puisqu'elle porte sur 120 pays. Nous avons négocié et signé un contrat avec Netflix, à Los Angeles au mois d'avril dernier.
Madame Blandin, le modèle de gestion collective est exemplaire en matière de transparence. Quelles sont les collectivités locales qui sont contrôlées tous les ans ? Nous avons un commissaire aux comptes, notre commission interne des comptes, élue par l'assemblée générale, se réunit toutes les semaines. Le montant de toutes nos aides, publié par ailleurs sur Internet, est communiqué aux assemblées parlementaires et nos modifications statutaires sont transmises au ministère. À l'heure du numérique, nous représentons, pour les sites Internet, les outils les plus efficaces. Le responsable de YouTube à l'international est heureux de signer une licence à partir de laquelle il pourra couvrir 120 territoires. C'est le but de la gestion collective, la plus moderne et la plus efficace à l'heure du numérique.
Dans cet environnement sans aucune entrave pour les sites, encore faut-il avoir en face de soi un interlocuteur pour négocier. La négociation peut être brutale. YouTube a tenté d'exercer un chantage en menaçant de retirer de son site la publicité musicale, alors qu'il était prévu qu'à l'échéance du contrat, il pouvait continuer à diffuser de la musique. Les maisons de disque ont été solidaires et un accord a été trouvé. Les conditions de négociation entre Hachette livre et Amazon, l'été dernier, ne visaient pas à durcir les conditions commerciales mais à briser Hachette aux États-Unis. Quand on demande non pas de réviser d'un ou deux points, mais de baisser de vingt points le partage de la valeur, comme l'a annoncé la presse, on cherche à détruire l'autre. Nous avons une licence Sacem pour le service musique de Google comme avec YouTube.
Aujourd'hui, nous avons affaire à des entreprises du numérique les plus riches du monde qui sont protégées par la directive européenne sur le commerce électronique, adoptée en 2000, et qui a été totalement détournée de son objet. J'en ai été le négociateur pour la France. Quand, à l'époque, est apparu le dispositif dit du safe harbor, qui ne confiait que des responsabilités très limitées aux intermédiaires techniques de l'Internet, celui-ci visait des domaines non commerciaux et des sites comme Alterne en France - des bénévoles, qui hébergeaient des centaines de milliers de sites associatifs, de pages personnelles, syndicales, de collectivités locales et n'affichaient aucune publicité.
La proposition de la Sacem, une contribution à un débat collectif, a été partagée par les membres du CSPLA - M. Sirinelli s'en est fait l'écho - comme par le Groupement européen des sociétés d'auteurs et compositeurs (GESAC) et, au niveau international, par la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (CISAC). On ne peut pas créer de nouvelles exceptions sans qu'il y ait une compensation. La copie privée remonte à 1957, mais la loi de 1985 a été adoptée à l'unanimité 28 ans plus tard pour créer une forme de compensation. La directive commerce électronique empêche, depuis 15 ans, dans les faits, l'exercice des droits à rémunération des auteurs. Cette contribution créative pour les intermédiaires d'Internet consiste à prôner le retour à un système de droit normal de négociation commerciale équitable. Prévoyons un système de compensation qui reconnaisse le déni de droit fait aux ayants droit. L'idéal serait de revenir sur la directive elle-même. C'est ce qu'il appartiendrait sans doute au législateur de faire. Puisque la Commission a fait de ce single market l'une de ses priorités, ne pourrait-on pas proposer un agenda créatif avec d'autres États membres ?
Ma première proposition concerne le domaine public, qui est complété chaque jour au niveau européen par des milliers de nouvelles oeuvres. Le projet Europeana, à l'initiative du président Chirac, actuellement présidé par M. Bruno Racine, est en panne faute de financement. Demandons à la Commission européenne d'y consacrer les fonds nécessaires pour relancer ce projet. Sinon, demain, ce sont des acteurs commerciaux américains qui vont s'approprier le domaine public et vont priver nos concitoyens d'un accès libre et transparent aux oeuvres.
Ma seconde proposition concerne la Commission européenne, qui a prévu de consacrer des budgets faramineux à différents projets tant éducatifs que dans le domaine informatique, dont 15 millions d'euros pour le big data. La Sacem est au coeur du big data puisqu'elle traite des milliards de données informatiques chaque semaine pour répartir les droits de ses membres. Fléchons un à deux milliards d'euros communautaires pour des acteurs comme nous.
Mme Laborde et M. Assouline nous ont parlé d'éducation. Comme eux, je pense qu'il s'agit d'un enjeu de civilisation. Si on veut lutter contre la radicalisation au sein de nos classes, contre la montée de la haine, il n'y a pas mieux que de faire se rencontrer les enfants et les artistes et organiser des projets artistiques. À l'image d'Erasmus, lançons un programme pour que, dans toutes les classes en Europe, les enfants rencontrent les artistes au moins une fois dans leur scolarité. Ce sera une excellente arme pour défendre notre démocratie.