Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je dirai d'emblée mon approbation totale et sans réserve du rapport du groupe de travail sénatorial, auquel j'ai participé, car il dresse de la situation actuelle, avec une clarté remarquable, un état très précis : tous les textes ont été en quelque sorte passés au scanner.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l'action conduite par le président du groupe de travail, M. Jean-Paul Alduy, ainsi qu'à son rapporteur, M. Patrice Gélard.
La richesse des propositions contenues dans ce rapport est évidente et les pistes de réflexion qu'il indique sont tout à fait pertinentes.
Je me conterai, au cours de cette brève intervention, de soulever quelques interrogations.
Est-il normal, par exemple, que le principe d'égalité ait été si souvent rompu à travers des décisions tantôt extravagantes, tantôt impressionnistes, rendues par l'administration, dont l'indignation est parfois sélective, ou par des juges ?
Est-il normal que des menaces puissent continuer à peser sur l'activité des animateurs de l'économie, sans égard pour les risques qu'ils courent ?
Est-il normal que des associations - je suis extrêmement prudent en les évoquant, car le simple fait de dire qu'elles doivent conduire leurs actions de façon normale et sans excès vous fait immédiatement soupçonner d'irascibilité à leur égard - trouvent dans la loi littoral des niches juridiques leur permettant d'introduire des recours tous azimuts, qui font planer une totale incertitude sur les activités économiques et sur ceux qui les assument ?
Que dire du concept de « hameaux nouveaux », difficile à cerner selon les régions ?
Que dire de celui d'« espace remarquable » ? La notion d'espace remarquable est en effet, par définition, très relative. Il est évident que vingt-cinq arpents de maquis situés au pôle Nord constituent un espace remarquable. En revanche, des hectares de maquis en Corse ou de lande en Bretagne sont d'une banalité absolue et, par conséquent, non remarquables. Pourtant, aux termes de la loi, ces espaces sont remarquables dès lors qu'ils n'ont pas été urbanisés.
L'autre intérêt du rapport réside dans le récolement de tous les textes qui, depuis Colbert, se sont ajoutés les uns aux autres sur ce sujet. D'ailleurs, une interrogation demeure, à laquelle vous devrez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat : ne faudrait-il pas refondre tous ces textes épars dans un texte global sur le littoral ? Mais cette tâche risque d'être trop ambitieuse, surtout dans la situation actuelle.
Si l'on ajoute au concept d'espace remarquable les textes relatifs aux sites classés, aux ZNIEFF, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, ou encore le programme Natura 2000 - textes qui ne sont pas opposables aux tiers, ce que les citoyens ignorent, mais qui sont invoqués en permanence dans les débats administratifs -, il est évident que l'on n'en sort pas !
Je me livrerai, à partir de certains des propositions contenues dans le rapport du groupe de travail sénatorial, à une sorte de « leçon de choses » sur la Corse.
Je m'exprime ici avec précaution car, comme je le disais tout à l'heure en aparté à notre collègue Mme Voynet, je ne souhaite pas que certains, en écoutant mes propos, aient le sentiment que mes préoccupations sont exclusivement insulaires.
Il reste que la situation corse est une parfaite illustration des effets de la discrimination positive. Ce principe doit certes s'appliquer, sans pour autant servir de simple alibi, mais il est contrarié, surtout en Corse, par la pensée « écologiquement correcte ».
Le principe de la discrimination positive consiste à considérer que, dans des situations différentes, on ne peut pas appliquer la même solution. A cet égard, l'exemple de l'application de la loi littoral en Corse est édifiant.
Sur 1 000 kilomètres de côtes, 400 kilomètres sont déjà tombés dans le domaine public, dont 200 kilomètres sur l'initiative du Conservatoire du littoral. Notre collègue M. Le Pensec connaît bien cette question.
Je préside le conseil de rivage depuis trente ans : on sait tout ce qui a été fait dans ce domaine. Comme cela a été dit à cette tribune, aucun élu n'est soupçonnable : nous sommes tous soucieux de maintenir la loi littoral, en en adaptant certains points, et pas seulement de façon homéopathique.
La Corse compte donc 400 kilomètres de côtes relevant du domaine public.
Prenons maintenant la côte ouest, soit quasiment 500 kilomètres, c'est-à-dire la distance séparant Menton de Marseille. En excluant la poche démographique du golfe d'Ajaccio, sur ces 500 kilomètres de côtes, on dénombre 15 000 habitants. Bien entendu, si vous appliquez la loi littoral d'une façon indifférenciée, des blocages peuvent se produire à tous les niveaux.
Comme le disait mon collègue Jérôme Polverini, qui a été entendu par notre groupe de travail, la loi littoral est plus une loi d'ordre public - sa signification sous-jacente serait au fond : moins on construit, moins on plastique ! - qu'une véritable loi d'aménagement ou de protection du littoral.
Il faut bien avoir cela à l'esprit et tordre le cou à l'idée selon laquelle les élus n'auraient pas protégé le littoral. Ce n'est pas vrai ! Nous avons au contraire été les premiers à mener une action correcte de protection du littoral.
Comme l'a dit notre collègue Paul Natali, si vous voulez construire, vous devez être attentifs à la contradiction qui existe entre le discours officiel sur le développement économique, ces propos lénifiants tenus en permanence par les représentants de l'Etat, et la réalité.
Où voulez-vous induire ce développement économique, sinon sur la côte ? Pour produire de la farine de châtaignes, on ne va tout de même pas s'installer à 500 mètres d'altitude !
Mais je mets quiconque au défi de me désigner, sur l'ensemble de la côte corse, cinq sites susceptibles d'accueillir des hôtels quatre étoiles, ou quatre, cinq, six unités hôtelières de 150 chambres. Pourquoi ? Les obstacles sont multiples : ou le site est classé, ou l'on se heurte à l'absence d'équipements appropriés, ou le site figure dans l'atlas du littoral, ou bien encore il fait partie du programme Natura 2000. On se heurte à chaque fois à une nouvelle contrainte. Il faut toujours avoir cette réalité à l'esprit.
Les rédacteurs du rapport ont énoncé une éclatante vérité en prévoyant la possibilité de justifier, dans les SCOT ou les plans locaux d'urbanisme, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation non située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Si l'Etat et nous-mêmes ne nous emparons pas de ce problème, cette pensée « écologiquement correcte » continuera de se développer.
Aujourd'hui, même si cela peut paraître paradoxal, il existe une sorte de « racisme pro-corse », alimenté par le show business. Ces personnes confortablement installées dans leurs villas nous disent : il faut protéger la Corse à tout prix, il faut « mériter » la Corse, il faut comprendre ces braves gens, et autres sornettes de ce genre.
On pense à Chateaubriand et à ces conseils qui obligent toujours ceux qui les reçoivent, en l'occurrence les Corses, et jamais ceux qui les donnent, ces personnes dans leurs villas qui, redoutant sans doute un attentat, prennent toutes les précautions pour parer au danger.
Sur ce point, il faut donc impérativement modifier le dispositif.
Si une réforme « homéopathique » est déjà intervenue sous le gouvernement Jospin, comme je l'indiquais voilà un instant à Mme Voynet, l'assemblée de Corse, pour sa part, avait indiqué qu'il convenait de faire évoluer la loi littoral. « Courageusement », les gouvernements successifs ont accepté les propositions faites, lesquelles ont été repoussées par une certaine famille d'esprit. On connaît la suite... Il faut donc changer le dispositif, instaurer la discontinuité.
Je donnerai une dernière illustration du désordre actuel, tout en demeurant persuadé que cette situation se présente ailleurs qu'en Corse : mon propos aura donc une portée générale, et il ne s'agit pas ici d'exprimer des préoccupations particulières.
Dans une commune que je connais bien, le principe de discontinuité, dont l'application est suggérée dans le rapport, a déjà été mis en oeuvre. En 1992, en effet, le préfet et la commission des sites s'étaient tous deux prononcés en faveur d'une urbanisation sur le territoire de cette commune qui, à 99%, n'était pas urbanisée et dont 200 des 7 000 hectares pouvaient être urbanisés en discontinuité. J'attire votre attention sur ce dernier point, mes chers collègues, car l'un d'entre nous, voilà un instant, a évoqué une certaine commune qui n'était pas urbanisée à hauteur de 50 %.
La solution de bon sens avait alors prévalu, et le préfet avait décidé d'autoriser l'urbanisation. Pendant six ans, le POS s'est trouvé en contradiction avec la loi littoral. Des permis de construire ont été délivrés, un hameau nouveau a surgi de terre. Puis, alors que l'on aurait pu continuer de construire, l'Etat a changé complètement sa politique et, par voie d'exception, a attaqué tous les permis de construire, au motif, mes chers collègues, qu'il n'y avait pas de hameau...
Me suis-je bien fait comprendre ? Un hameau nouveau a pu être créé, parce que l'on avait « levé le pied » dans l'application de la loi littoral, mais les permis de construire délivrés par la suite ont été attaqués au motif qu'il n'existait pas, en théorie, de hameau. Telle est la situation dans cette commune au regard de la loi littoral, et les difficultés de cet ordre risquent de se multiplier si l'on n'introduit pas le principe de discontinuité.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, la situation est simple : notre ambition n'est pas de tout changer ou de faire un code du littoral, elle est d'obtenir une adaptation de la loi littoral sur certains points particuliers, s'agissant notamment de la discontinuité, afin que nous puissions avancer un peu. Une autre solution pourrait être d'accorder un pouvoir d'expérimentation. Je vous laisse juge, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'attends votre réponse.