Intervention de Yolande Boyer

Réunion du 26 octobre 2004 à 16h00
Aménagement protection et mise en valeur du littoral — Débat sur l'application d'une loi

Photo de Yolande BoyerYolande Boyer :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le rapport paru en juillet à l'issue de nos travaux constitue un travail de qualité, réalisé à la suite d'une quarantaine d'auditions. Que ses auteurs, ainsi que celles et ceux qui ont aidé à sa rédaction, en soient remerciés.

Toutefois, après les compliments, place aux mises en garde et aux interrogations : attention, ce rapport ne doit pas servir de prétexte à une remise en cause de la loi littoral, qui est certes imparfaite dans son application, mais claire dans ses principes.

Rappelons, à cette occasion, une phrase de son article 1er qui manifeste bien l'esprit général l'inspirant : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur. »

Le littoral n'est pas un territoire comme un autre, et sa protection, son aménagement doivent donc répondre à des règles particulières. En 1986, la loi littoral avait pour objet de coordonner les mesures jusque-là disparates destinées à maîtriser la pression subie par le littoral français. En effet, l'attrait que présente ce dernier en faisait une richesse convoitée, et donc menacée. La vocation initiale de la loi était de définir un équilibre dans l'aménagement d'un espace devenu collectif et appartenant au patrimoine de la nation tout entière.

Pourtant, « pendant la protection, l'urbanisme continue », selon les termes du rapport rédigé par Mme Bersani pour le compte du Conseil général des ponts et chaussées. Cet avis est corroboré par l'IFEN, l'Institut français de l'environnement, qui considère le littoral français comme l'un des plus artificiels d'Europe. Ainsi, 12 % des logements et 7 % des locaux construits chaque année en France sont réalisés sur une bande littorale représentant moins de 4 % du territoire national.

L'attractivité du littoral et donc la pression engendrée dans cet espace ont encore été accrues avec l'implantation de nouvelles activités économiques et sociales, sans que les usages traditionnels aient disparu. Il en résulte que les espaces naturels et agricoles sont aujourd'hui en régression.

L'objectif de protection n'est donc que partiellement atteint, les abus les plus manifestes liés au bétonnage à outrance semblant cependant avoir été prévenus.

Par ailleurs, la situation est-elle satisfaisante s'agissant de l'autre vocation de la loi littoral, à savoir le développement des territoires ? La force des insatisfactions exprimées tant par les professionnels de la pêche ou du mareyage que par les agriculteurs ou les élus locaux permet d'en douter.

A cet égard, la profusion de rapports est révélatrice d'un malaise. Les éléments figurant dans celui dont nous débattons sont proches de ceux qui ont été mis en exergue par le conseil national de l'aménagement du territoire ou dans le rapport du Conseil économique et social régional de Bretagne paru en juin 2004.

Devant ces constats, il s'agit aujourd'hui de penser la politique du littoral de manière globale, afin de remédier aux défauts originels de cette dernière que sont la sectorisation, le manque de concertation et de transparence, le défaut de prise en compte des spécificités locales. Il faut en finir avec la gestion au coup par coup des conflits entre protection et développement, entre secteurs, entre réglementations discordantes.

Je relèverai d'ailleurs, à la suite de plusieurs de mes collègues, que les élus locaux sont souvent isolés face à ces conflits. Le manque de coordination entre les intervenants représente un réel problème. Si l'on se réfère aux propos tenus par la majorité des élus du littoral, ceux-ci sont attachés aux objectifs visés au travers de la loi mais déplorent une application chaotique. Ils regrettent particulièrement la multiplication des contentieux et, par voie de conséquence, la constitution d'une jurisprudence foisonnante, contradictoire et souvent incompréhensible.

Le manque de suivi, notamment sur le plan réglementaire, après le vote d'une loi littoral parfois imprécise - quels sont les espaces proches du rivage ? qu'est-ce qu'une extension de l'urbanisme ? -, est l'une des causes principales des difficultés rencontrées.

Ce n'est pourtant pas aux tribunaux de décider de la politique du littoral ! Sur ce point, l'insécurité juridique est un frein majeur à la pacification de la situation. Il a fallu attendre dix-huit ans pour que la plupart des décrets d'application soient pris ! Ainsi, le décret n° 2004-310 est paru le 29 mars 2004 en catimini, quelle que soit par ailleurs son utilité sur le fond. Cette « discrétion » a fait immédiatement réagir les élus et les associations, qui n'ont à aucun moment été associés à la rédaction dudit décret, pas plus d'ailleurs que notre groupe de travail. Cette façon de faire a anéanti toute chance de bonne compréhension du texte par les citoyens. Le manque de transparence est toujours source de conflits, et l'élaboration de ce décret n'échappe pas à la règle.

J'en viens maintenant aux outils et aux méthodes à favoriser.

Il s'agit tout d'abord de la gestion intégrée des zones côtières, telle que définie dans la recommandation européenne 2002/413/CE, cette nouvelle approche étant centrée sur la nécessité de développer une politique partenariale et contractuelle. Les retards actuels, les incertitudes sur l'avenir des contrats de plan Etat-région augurent mal d'une volonté réelle du Gouvernement de progresser, en matière de politique du littoral, vers un partenariat effectif entre les collectivités territoriales et l'Etat.

Il s'agit ensuite de la politique en matière de décentralisation : aujourd'hui, le Gouvernement est engagé par de nouveaux textes, critiquables et critiqués, qui auront inévitablement une incidence sur la politique du littoral. En restreignant les moyens financiers des collectivités territoriales et en organisant la concurrence entre territoires, ces textes hypothèquent grandement tout espoir d'une politique active en faveur des zones littorales.

Il s'agit enfin du Conservatoire de l'espace littoral : les propositions concernant cet outil unanimement salué vont dans le sens des préconisations du rapport rendu par notre collègue Louis Le Pensec au Premier ministre en 2001.

M. Le Pensec avait par exemple suggéré de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics agissant pour son compte et sous son contrôle, les collectivités territoriales étant associées à la gestion. Cette proposition est reprise dans le rapport du groupe de travail, et je m'en réjouis.

En revanche, les coupes budgétaires opérées au détriment du Conservatoire sont des signes inquiétants, et M. Alduy s'est exprimé sur ce point tout à l'heure.

Vous m'objecterez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre 2004 a décidé d'accroître de 8 millions d'euros le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005.

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