Intervention de Jean-Baptiste Mattéï

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 mars 2015 à 9h30
Audition de M. Jean-Baptiste Mattéi ambassadeur représentant permanent de la france à l'organisation du traité de l'atlantique nord

Jean-Baptiste Mattéï, représentant permanent de la France à l'OTAN :

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de faire le point, devant votre commission, sur l'actualité de l'OTAN.

Cette actualité reste bien sûr largement dominée par la crise ukrainienne et ses implications pour la sécurité des Alliés. La priorité est donnée à la mise en oeuvre des décisions prises au sommet du Pays de Galles, en septembre 2014, et à la préparation du sommet qui se tiendra à Varsovie dans la première moitié de l'année 2016. Le choix de Varsovie n'est pas fortuit et revêtira, dans le nouveau contexte de sécurité en Europe, une dimension symbolique forte. Il nous faudra cependant éviter que les discussions portent exclusivement sur la défense collective et le flanc Est de l'Alliance, à un moment où d'autres priorités requièrent notre attention sur le flanc Sud.

L'actualité de l'OTAN est également marquée par l'arrivée, le 1er octobre 2014, d'un nouveau Secrétaire général, Jens Stoltenberg, ancien Premier ministre de Norvège. Jens Stoltenberg présente le handicap de ne pas être francophone, dans une organisation dont les deux langues de travail sont l'anglais et le français. Mais il a le profil d'un bâtisseur de consensus et adopte, s'agissant des relations avec la Russie notamment, des positions plus constructives et nuancées que certains de ses prédécesseurs. Bien que venant d'un pays non membre de l'Union européenne, il semble sincèrement désireux de faire progresser la coopération entre les deux organisations. Il a participé à la marche de solidarité organisée le 11 janvier après les attentats qui ont frappé notre pays ; je rappelle qu'il était Premier ministre au moment de l'attentat d'Utoya en 2011. Il a effectué sa première visite de travail à Paris le 2 mars, dans un climat très chaleureux.

Je souhaite maintenant revenir sur les principales priorités qui nous occupent.

La crise ukrainienne a provoqué, chez nos Alliés orientaux, un profond traumatisme. Pour des raisons évidentes liées à leur histoire et à leur géographie, ils ont exprimé le besoin de recevoir, de la part de l'Alliance, de nouvelles assurances concernant leur propre sécurité.

Il était de notre devoir de répondre à cette attente, en tant qu'Allié. C'était également notre intérêt que de démontrer que la solidarité entre Européens était une réalité et que les Etats-Unis n'étaient pas le seul recours face à de telles menaces. Il nous fallait enfin prendre en compte les perspectives de nos relations de défense à long terme, à un moment où des pays comme la Pologne s'engagent dans d'ambitieux programmes d'équipement.

C'est la raison pour laquelle la France s'est mobilisée très activement, à la fois au titre des mesures dites d'assurance et pour ce qui est du renforcement à plus long terme de la posture de l'Alliance.

S'agissant des mesures d'assurance, nous avons réagi rapidement et allons poursuivre notre action dans les trois domaines :

- aérien : déploiement en Pologne, sur la base de Malbork, d'avions Rafale et Mirage 2000 de mai à septembre 2014, vols réguliers d'AWACS au-dessus de la Pologne et de la Roumanie, patrouilles de surveillance maritime en Mer Baltique, responsabilité de la composante air de la NRF en 2015 ;

- maritime : participation régulière de nos bâtiments aux exercices conduits par les forces navales permanentes de l'OTAN, présence à titre national en Mer Noire ;

- terrestre : responsabilité de la composante terre de la NRF en 2014, déploiement envisagé en Pologne d'un groupement tactique interarmes équipé de chars Leclerc et de VBCI.

Les Etats-Unis restent le premier contributeur aux mesures d'assurance à travers leur « European Reassurance Initiative », dotée en théorie d'un milliard de dollars. Dans le cadre de leur opération « Atlantic Resolve », ils prévoient la rotation de troupes américaines en Europe et viennent par exemple d'annoncer le déploiement de plusieurs centaines de personnels de la troisième division d'infanterie dans les pays baltes.

Au-delà des mesures d'assurance, le travail porte sur l'adaptation de la posture de l'OTAN, à travers le « plan d'action réactivité » décidé au sommet du Pays de Galles. Ce plan prévoit notamment :

- la réorganisation de la « NATO Response Force » en force interarmées de niveau division ;

- la création d'une force interarmées à très haut niveau de réactivité (VJTF selon l'acronyme anglais), « fer de lance » de la NRF, constituée d'une brigade (environ 5 000 hommes) dont les premiers éléments sont susceptibles d'être déployés en 48 heures ;

- l'établissement sur le territoire de six alliés orientaux (Pologne, Estonie, Lituanie, Lettonie, Roumanie et Bulgarie) d'éléments de commandement (C2) de taille modeste sous l'appellation de « NFIU » (unités d'intégration des forces de l'OTAN) ;

- le renforcement du corps multinational Nord-Est de Szczecin, placé sous la responsabilité de la Pologne, de l'Allemagne et du Danemark et l'annonce, par la Roumanie, de son pendant pour le Sud-Est.

Ces décisions représentent un point d'équilibre entre les demandes initiales des alliés orientaux, qui souhaitaient un renforcement très significatif de la présence de l'OTAN sur leur territoire et les alliés prônant, comme nous, une approche plus réaliste. Nous avons ainsi plaidé pour une position qui soit pertinente d'un point de vue militaire (pas de retour à une posture statique du type guerre froide) et supportable en termes financiers, à une époque où les ressources sont rares. Nous avons aussi estimé, comme d'autres, qu'il fallait éviter de soulever la question de la compatibilité avec l'Acte fondateur OTAN / Russie de 1997, qui exclut le déploiement à titre permanent de forces substantielles de combat sur le territoire des alliés orientaux.

Au total, les orientations prises sont conformes à nos vues et la France a annoncé son intention d'y contribuer activement. Elle figurera notamment parmi les six Nations destinées à encadrer, par rotation, la nouvelle force à très haute réactivité (VJTF). Notre tour viendra en 2020, avec une montée en alerte à partir de 2019. Nous veillerons à préserver la flexibilité d'emploi des capacités nationales, en l'occurrence notre échelon national d'urgence Guépard, qui peut être sollicité pour d'autres missions.

Deux autres aspects font l'objet de réflexions au sein de l'Alliance :

- la réponse au mode d'action de la guerre hybride - tactique qui n'est pas totalement nouvelle -, qui a été utilisé par la Russie en Ukraine. Certains membres de l'Alliance craignent que le même type d'attaque ambiguë et difficilement attribuable ne soit de nouveau pratiqué à l'égard des pays les plus vulnérables, par exemple ceux qui accueillent des minorités russophones. Il est évident que l'OTAN n'a qu'une partie de la réponse à ce mode d'action (anticipation, partage du renseignement, ...) et qu'une coordination s'impose avec des organisations comme l'Union européenne ayant une palette d'instruments plus étendue, y compris dans le domaine civil. Nous devons par ailleurs nous garder d'entrer dans un débat sur le seuil de déclenchement de l'article 5, qui ne peut être que contre-productif ;

- la dimension nucléaire est également importante. Sans mettre en cause l'indépendance de notre démarche dans ce domaine, nous soutenons le principe d'une réflexion à 28 sur les implications pour l'Alliance de la stratégie nucléaire de la Russie qui devra être mise en perspective avec l'évolution de la politique nucléaire de l'OTAN, à savoir la réduction du nombre, de la diversité et du niveau d'alerte de ses forces nucléaires.

S'agissant de la crise ukrainienne proprement dite, nous considérons que l'OTAN a vocation à rester un acteur périphérique, à la différence de l'UE et de l'OSCE. Il n'y aura pas, en effet, de solution militaire à la crise et l'Ukraine, en tant que pays partenaire, ne bénéficie pas des garanties de sécurité destinées aux alliés. Le renforcement du partenariat avec l'Ukraine est de portée modeste et consiste pour l'essentiel en la mise en place de fonds d'affectation spéciale assez faiblement dotés, destinés à accompagner la réforme de l'outil de défense.

L'OTAN ne doit pas prêter le flanc à la rhétorique russe - M. Poutine a par exemple parlé des « légions étrangères de l'OTAN » -, en adoptant un positionnement qui serait trop visible ou trop agressif. De ce point de vue, nous sommes parfois amenés à nuancer les appréciations portées publiquement par certains responsables militaires de l'Alliance.

Nous sommes de même très prudents sur une éventuelle réactivation de la candidature de l'Ukraine à l'OTAN, après l'abrogation, fin décembre, de la loi de 2010 sur le statut « hors blocs ». Le Président de la République a publiquement exprimé nos réserves face à une telle perspective, qui ne ferait que compliquer un règlement politique.

La question de la livraison éventuelle d'armes à l'Ukraine n'est pas directement évoquée à l'OTAN, qui n'a pas de compétence propre à ce sujet. Elle suscite, en tout état de cause, une grande prudence de la part de la France et de la plupart des alliés.

Nous ne souhaitons pas en revenir, à l'OTAN, à une logique irréversible de confrontation ou de « guerre froide » avec la Russie. Nous ne sommes ainsi pas favorables à une réouverture du concept stratégique de l'Alliance, ni des textes régissant la relation OTAN / Russie (Acte fondateur de 1997, déclaration créant le conseil OTAN / Russie).

A la suite de la crise ukrainienne, l'Alliance a décidé de suspendre la coopération pratique avec la Russie, tout en maintenant ouverts les canaux de dialogue politique. Le conseil OTAN / Russie ne se réunit plus dans la pratique, en raison de l'opposition de certains alliés, mais le Secrétaire général continue à entretenir des relations avec l'ambassadeur russe auprès de l'OTAN et avec le ministre russe des Affaires étrangères, qu'il a rencontré en marge de la conférence sur la sécurité à Munich. Nous devons l'encourager dans cette voie, afin d'éviter de rompre complètement les ponts avec Moscou.

Dans le même temps, l'Alliance ne peut rester insensible aux risques posés par la Russie, qui ont de multiples manifestations : adoption d'une nouvelle doctrine militaire russe fin 2014 qui développe une vision obsidionale de l'environnement stratégique (l'OTAN étant confirmée dans sa position de « danger militaire extérieur » n° 1) ; recrudescence des vols russes à proximité de notre espace aérien, y compris avec des vols de longue distance impliquant des bombardiers à long rayon d'action ; stratégie nucléaire prévoyant la modernisation des forces et l'intensification des entrainements.

Sans exclure de renouer à long terme un partenariat entre l'OTAN et la Russie, il est évident que la crise ukrainienne, venant après d'autres périodes de tension comme la guerre au Kosovo ou la crise géorgienne, rendra difficile un retour au « business as usual ».

La crise ukrainienne remet au premier plan les missions de défense collective de l'Alliance. Mais elle ne doit pas éclipser les autres tâches identifiées dans le concept stratégique, en particulier la gestion de crises et les relations avec les partenaires.

De même, nous insistons beaucoup pour que les menaces émanant du flanc Sud soient dûment prises en compte, au même titre que celles qui viennent de l'Est. Cette réalité est aujourd'hui bien perçue, comme le montrent les conclusions du sommet du Pays de Galles, et notre contribution à la sécurité des alliés, à travers les opérations que nous menons au Sahel, en République Centrafricaine ou en Irak, est reconnue de tous. Lors de sa visite à Paris, le Secrétaire général a d'ailleurs pu recevoir de la part du chef d'état-major des armées une présentation très complète de l'engagement de nos forces, sur le territoire national comme à l'étranger, qui n'a pas d'équivalent pour les autres alliés européens.

L'attention prêtée au flanc Sud ne signifie pas nécessairement un engagement opérationnel direct de l'OTAN. La seule exception concerne l'Afghanistan, où la mission « Resolute Support », forte de 12 000 hommes, a pris le relais de la FIAS au 1er janvier 2015. Encore faut-il souligner que cette mission n'est plus une mission de combat, mais une mission d'assistance et de formation, qui a vocation à se terminer au bout de deux ans.

En Irak comme en Libye, il n'est envisagé par personne de donner à l'OTAN un rôle de chef de file, afin d'éviter un affichage par trop « occidental ». D'un point de vue militaire, il n'est donc pas fait recours aux structures de l'OTAN, même s'il est évident que l'interopérabilité entre les participants à la coalition est largement due à l'habitude du travail en commun dans le cadre des procédures de l'Alliance.

Les réflexions portent sur deux domaines :

- un possible rôle de l'OTAN pour renforcer les capacités de défense des pays de la région qui seraient demandeurs (ce que l'on appelle en anglais le « capacity building »). L'Irak ou la Libye pourraient à terme en bénéficier. La Jordanie entretient déjà des liens étroits avec l'OTAN, comme l'a montré la récente visite du Roi Abdallah au siège de l'OTAN. Nous ne sommes pas hostiles à une telle initiative, pour autant qu'elle soit étroitement coordonnée avec les Nations unies et l'UE ;

- le renforcement du partenariat avec les sept pays du Dialogue méditerranéen et avec les quatre pays de l'Initiative de coopération d'Istanbul (Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Bahreïn). Le conseil s'est récemment rendu dans la région pour contribuer à resserrer les liens, même si certaines difficultés politiques compliquent la donne, en particulier les relations complexes que la Turquie entretient avec certains de ces pays.

En matière d'élargissement de l'Alliance, la position de la France reste très prudente. C'est vrai pour l'Ukraine, que j'ai déjà eu l'occasion de mentionner, mais c'est vrai également pour les candidats déclarés que sont la Géorgie et le Monténégro. Après sa rencontre avec le Secrétaire général de l'OTAN, le Président de la République a estimé qu'aucun de ces candidats n'était aujourd'hui prêt à adhérer. S'agissant de la Géorgie, un « paquet substantiel » a été adopté au sommet du Pays de Galles et doit maintenant être mis en oeuvre. Quant au Monténégro, un rendez-vous est prévu en décembre pour apprécier les progrès qui auront été réalisés par ce pays.

La question des budgets de défense reste bien évidemment en toile de fond de toutes les discussions sur le renforcement de la posture de l'Alliance. Au sommet du Pays de Galles, les Chefs d'Etat ou de gouvernement se sont engagés à porter, en l'espace d'une décennie, les dépenses de défense à 2 % du PIB. A ce critère purement quantitatif s'ajoute un critère plus qualitatif : 20 % des budgets de défense devraient être consacrés aux investissements. Les conclusions du sommet prévoyaient ainsi de mettre un terme à l'érosion de l'effort de défense (de 2008 à 2013, les alliés avaient diminué de 20 % leur effort, alors que la Russie augmentait ses dépenses de 50 %).

Les premières évolutions constatées après le sommet ne sont pas très encourageantes. On note des signes positifs chez les alliés orientaux, dont beaucoup devraient se rapprocher des 2 %, à l'image de l'Estonie. Mais, à l'inverse, des signaux plus négatifs nous parviennent de pays comme la Belgique, l'Allemagne ou même le Royaume-Uni, ce dernier pays devrait décrocher des 2 %. Au total, il apparaît qu'en 2014 les dépenses de défense des alliés européens ont continué de baisser de 3 % à 4 %. Dans ce contexte, la France, avec des ratios s'établissant à 1,8 % du PIB au sens de l'OTAN, dont plus de 25 % consacrés à l'équipement et à la recherche, fait bonne figure.

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