Intervention de Nicolas Hulot

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er avril 2015 à 9h15
Conférence paris climat 2015 cop 21 — Audition de M. Nicolas Hulot envoyé spécial du président de la république française pour la protection de la planète

Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République française pour la protection de la planète :

Soyez remerciés de m'avoir donné l'occasion de cet échange. Je déplore également ce calendrier malheureux qui fait que l'issue de la COP 21 coïncidera avec le résultat des élections régionales. Le problème serait constitutionnel, m'a-t-on dit. Sans forcer le trait, je crois pouvoir dire que la réussite de la Conférence de Paris est largement aussi importante que les résultats des régionales.

Quant à mon état d'esprit, je suis d'un optimisme désespéré. J'ai du mal à comprendre pourquoi il faut déployer autant d'énergie pour convaincre l'humanité de se sauver elle-même. Le constat est clairement établi. Personne ne conteste les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et la responsabilité anthropique est avérée. Le scepticisme qui a longtemps entravé la dynamique d'une action sur le climat n'est plus un argument opposable. Initialement, la perspective de se passer des énergies fossiles grâce auxquelles nos économies ont prospéré depuis 150 ans a créé un état de sidération. Cependant, quand la contrainte devient imparable, l'improbable est possible. La créativité est en marche pour proposer un modèle de substitution. La transition énergétique est possible, pour peu que nous ayons foi en son avènement. L'heure n'est plus au conservatisme, au scepticisme ou au fatalisme : il nous faut briser un verrou culturel.

Lors de mon dernier séjour en Russie, il y a quelques jours, j'ai pu mesurer combien l'espoir n'était jamais loin de l'abattement. Avec Laurence Tubiana, ambassadrice pour le climat, nous avons rencontré pendant trois heures et demie le conseiller spécial de Vladimir Poutine sur le changement climatique. Il avait manifestement été mandaté par le président russe pour nous aider à préparer la prochaine négociation avec les BRICS, et pour nous annoncer une contribution russe à venir, éléments positifs s'il en est. Dans la même matinée, le ministre russe en charge de l'énergie nous présentait une planification sur trente ans prévoyant de faire passer l'exploitation des énergies fossiles de 30 % à 60 % dans les quinze prochaines années, en triplant les exportations vers la Chine. L'on vérifie le paradoxe exprimé par Bossuet à propos de ces étranges créatures « qui déplorent des effets dont elles chérissent les causes ». Cela signifie que nous n'avons pas suffisamment pris la mesure des choix que nous devons faire : quelles doivent être nos priorités et à quoi devons-nous renoncer ? Si nous voulons être cohérents, le constat doit laisser place à l'action. Les ONG et les pays du sud attendent que la communauté internationale fixe des objectifs et se dote des instruments nécessaires pour les réaliser.

À Lima, certains avaient sous-estimé la défiance, pour ne pas dire plus, des pays les plus vulnérables, envers les promesses énoncées à Copenhague, notamment celle du Fonds vert pour le climat. Nous ne sommes pas crédibles, parce que les procédures pour accéder aux mécanismes sont dissuasives : certains pays d'Afrique centrale auraient dû mobiliser leur administration pendant un an pour pouvoir accéder à certains fonds. Des promesses ont été faites sur des crédits non encore identifiés. Les pays d'Afrique sont rangés comme un seul homme derrière l'Afrique du Sud. Si nous voulons qu'ils viennent dans un esprit coopératif, il faudra saisir l'occasion du G7 et du G20, qui reste une échéance essentielle même s'il est programmé à quinze jours de la COP 21, pour rétablir la confiance en affichant davantage de transparence dans notre réflexion. Si, au sein du G20, les quinze pays qui émettent 70 % des gaz à effet de serre n'assument pas leurs responsabilités, je ne vois pas comment aborder la Conférence de Paris dans de bonnes conditions.

Nous n'avons pas plus de raison de céder au défaitisme que de nous laisser aller à un optimisme sans modération. Chacun des 195 pays engagés doit jouer son rôle. Quelle que soit notre fonction, que nous soyons ministre, député ou sénateur, nous devons défendre le sujet du climat dans toutes les occasions, en amont de la Conférence de Paris, ou en provoquant des discussions.

Quand nous aurons évalué les contributions nationales et que nous nous apercevrons que nous sommes loin de la trajectoire prévue, nous devrons veiller à ne pas donner le sentiment que nous nous en accommodons. Le mandat donné par les Nations unies vise à ce que la somme des engagements nationaux pris à Paris maintienne la trajectoire d'augmentation de la température en deçà de deux degrés Celsius, tout au long du siècle. Tous les modèles scientifiques, qu'ils soient produits par le GIEC, l'Académie des Sciences de Moscou, celle du Saint Siège ou par la Banque mondiale, estiment qu'au-delà, les conséquences seraient irréversibles. Cette cible difficilement atteignable n'est ni anodine, ni indolore. L'existence de millions de personnes dépend de l'échec ou de la réussite de la COP21. J'ai encouragé le président Hollande à se rendre aux Philippines pour montrer que nous sommes conscients de cet enjeu, aussi impalpable qu'il soit au regard des souffrances quotidiennes de nos concitoyens.

Pour mobiliser la société civile, il nous faut rappeler que l'enjeu climatique n'est pas optionnel, et qu'il conditionne la solidarité à laquelle nous sommes tous attachés. Le changement climatique n'affectera pas seulement les plus vulnérables. Facteur multi-aggravant, il déclenchera une chaîne d'impact dans le monde entier. C'est l'avenir de l'humanité qui se joue, plus que celui de la planète. Ma priorité est que les enfants qui jouent dans les cours d'école puissent demain déterminer leur avenir sans subir les conséquences de phénomènes qu'ils n'auront pas provoqués. L'enjeu climatique est l'injustice ultime. C'est la pierre angulaire de la justice et de la solidarité. Ceux qui en subissent les conséquences n'ont pas profité des modèles de développement qui en sont à l'origine. Une telle situation est un facteur d'instabilité majeur dans le monde connecté qui est le nôtre, où tout se voit.

En 2012, on a compté 40 millions de déplacés climatiques, pour une moyenne de 27 millions par an. Si le phénomène se développe, plusieurs centaines de millions de personnes pourraient être concernées. Monique Barbut, la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, estime que la progression de la désertification en Afrique aura porté entre 2000 et 2020 60 millions de personnes aux portes de l'Europe. Même les Américains sont sensibles à cet argument, et en premier lieu les militaires qui estiment la menace climatique aussi dangereuse que le terrorisme pour la sécurité intérieure de leur pays, d'autant qu'un lien existe entre les deux sujets, comme le montrent les travaux de Leila Aïchi et de bien d'autres. Le lien entre changement climatique et instabilité est important. Au nord-est de la Syrie, la désertification a réduit la production agricole de 80 % en dix ans et détruit 60 % des troupeaux. Un million et demi de personnes ont dû se déplacer vers le sud du pays. Le changement climatique a été un facteur aggravant. Il en va de même au Darfour.

La question n'est plus de savoir si l'on entrera ou non dans une ère d'économie bas carbone, mais quand et à quel rythme nous y parviendrons. Nous devons convaincre chacun qu'il n'y a pas d'autre issue possible tout en dessinant ensemble un horizon désirable, dans le cadre de cette trajectoire. Dans son « agenda des solutions », Laurent Fabius montre ainsi qu'il existe un modèle de société compatible avec nos exigences économiques et sociales, qui pourra se mettre en place pour peu que nous ayons la volonté de le faire.

Les financements pour le développement doivent être discutés à Addis-Abeba. Les objectifs du développement durable seront revus en septembre à New York. Quant à l'alimentation du Fonds vert, elle nécessite que nous sortions d'une forme d'orthodoxie financière pour la rendre effective et pour que nous gagnions de la crédibilité sur nos promesses de financement. Un agenda onusien est en place sur ces sujets. J'ai souhaité que la France et l'Allemagne prennent des initiatives dans l'évaluation de ces financements innovants afin de mobiliser un certain nombre d'États, et qu'elles s'en fassent les promoteurs au G7, au G20, ou au Forum des économies majeures. François Hollande a nommé deux économistes pour animer une commission d'évaluation qui travaille en collaboration avec l'Allemagne. C'est une de nos priorités. Nous l'avons coordonnée, hier soir, avec Michel Sapin et Ségolène Royal, entre autres.

Évitons d'abandonner la négociation de Paris aux négociateurs. Si nous ne parvenons pas à en extraire des priorités de niveau ministériel ou présidentiel, il y a peu de chance qu'elle aboutisse. Il est important que les ministres de l'économie s'emparent du sujet climatique lors du G20 et le fassent savoir.

Il est également essentiel qu'à côté des revendications portées par les parties lors de la session de Genève, le texte de Paris mentionne les éléments de blocage. Le principe onusien de responsabilité commune et différenciée en est un, dans la mesure où chaque État en a sa propre conception. Le climat est un enjeu universel, mais qui est appréhendé à travers le prisme des intérêts nationaux. Chacun tente de s'exonérer de ses responsabilités ou de rendre la contrainte moins forte, alors que personne ne peut tirer seul son épingle du jeu. La phrase de Martin Luther King s'applique parfaitement à la situation : « Nous devons apprendre à vivre ensemble, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ». Si les gouvernements des grands émetteurs historiques n'assument pas leurs responsabilités, il sera difficile de demander aux pays en voie de développement de prendre leur part d'engagement. Dans le groupe des Like minded developing countries, certains pays, comme l'Arabie Saoudite et le Qatar, considèrent qu'ils doivent être dédommagés pour les conséquences du changement climatique qu'ils subissent. Chacun doit prendre sa part d'engagement. On ne peut pas laisser se développer des discussions stériles comme celles qui ont cours entre les États-Unis et la Chine, les Américains affirmant qu'ils produisent moins de CO2 que les Chinois en volume, et les Chinois répondant que les Américains en produisent quatre fois plus par habitant. Nous n'avons qu'un seul objectif à long terme : la neutralité carbone à l'horizon 2050.

L'évaluation des engagements nationaux reste difficile car elle bute sur la souveraineté des Etats. La communauté internationale doit se doter de moyens de contrôle tout en conservant une certaine souplesse. Il importe que l'accord de Paris soit dynamique, qu'il puisse être révisé au fil du temps.

L'adaptation est une revendication légitime majeure des pays les plus vulnérables qui souhaitent à juste titre que le Fonds vert ne soit plus seulement réservé à l'atténuation. Enfin, les Nations unies ont décidé à Durban que cet accord devait être global et juridiquement contraignant. Il reste à préciser si les contraintes doivent être nationales ou s'il s'agit d'un accord international qui doit être ratifié. Gardons de la souplesse : un traité ne sera pas ratifié par le Congrès américain mais des alternatives existent pour que le président Obama mette en oeuvre l'accord international par le biais des agences nationales. Un précédent historique existe : le Clean Air Act.

La Chine était venue à Copenhague à reculons, sous la pression internationale. Elle est désormais partie prenante dans les négociations, davantage mobilisée sur les conséquences de la pollution que sur les changements climatiques. En matière de développement des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique, les Chinois, qui parlent désormais de civilisation écologique, ont dépassé tous leurs objectifs. Pour autant, l'engagement qu'ils ont pris à Brisbane reste insuffisant. Les Chinois ont promis d'atteindre le pic de leurs émissions de gaz à effet de serre en 2030 ; quant aux États-Unis, ils se sont engagés à réduire les leurs en 2025 pour les ramener au niveau de 2005. D'autres étapes sont nécessaires. Nous sommes comme dans une partie de poker où chacun dévoile ses cartes petit à petit.

L'Union européenne a pris ses responsabilités. Il est cependant difficile aux 28 de réviser leurs ambitions à la hausse dans la situation de crise où nous nous trouvons. Néanmoins, certains pays leaders pourraient prendre des initiatives unilatérales pour montrer le chemin aux autres - je plaide en ce sens.

La diplomatie française s'est mobilisée depuis deux ans. Laurent Fabius est sur tous les fronts. Mmes Tubiana et Girardin sont très actives. Le Président de la République profite de toutes les occasions bilatérales pour mettre le sujet à l'ordre du jour, comme avec Vladimir Poutine, quand il l'a rencontré sur le dossier ukrainien. Pour ma part, je n'ai qu'un rôle complémentaire : ma mission est de convaincre et de mobiliser toutes les composantes de la société. C'est pourquoi, j'ai souhaité m'adresser aussi aux différentes autorités religieuses : j'irai bientôt au Caire pour discuter avec des responsables musulmans.

L'enjeu climatique n'est pas que politique, économique, institutionnel ou technologique ; il est aussi philosophique et spirituel. Un couple de modernité s'était formé, qui unissait avenir et progrès. Sa marche triomphante a été entravée. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Telle est la question dont chacun doit s'emparer. Il faut que des voix supérieures s'expriment à Paris pour demander aux responsables politiques d'écrire l'histoire plutôt que de la subir. Le monde ne s'effondrera pas si Paris est un échec, mais un coup d'arrêt serait porté aux négociations multilatérales, ce qui serait lourdement préjudiciable tant du point de vue économique qu'humain.

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