Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral », constitue à bien des égards une loi de développement durable cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire parce qu'elles sont, aussi, sources de son attractivité et garantes de son développement économique, social et culturel.
La loi fut adoptée à l'unanimité - il n'est pas sûr que ce serait encore le cas aujourd'hui -, témoignant de la clairvoyance et de l'exigence des parlementaires. II est vrai que le jeu en valait la chandelle : mettre fin au massacre organisé du littoral, qui avait atteint un tel niveau que la majorité des Français en était choquée. Marinas, endiguements, urbanisation sauvage, pollutions terrestres, ports privés... contribuaient à la destruction, parfois irrémédiable, de cette fragile interface entre la mer et la terre.
L'application de la loi a été un combat difficile pour tous les ministres de l'environnement.
Comme le souligne le rapport de notre commission, la rédaction des décrets fut lente et chaotique. Aujourd'hui encore, la plupart d'entre eux n'ont pas été publiés. Non pas parce que l'administration de l'Etat ne les aurait pas préparés, mais parce que la pression de quelques de la destruction durable, pour lesquels « littoral » rime avec « profit », a conduit à des remises en cause continuelles de cette loi. Rares sont les lois qui ont, autant que celle-ci, justifié au fil du temps le dépôt ou la tentative de dépôt de tant d'amendements, de tant de cavaliers législatifs destinés, de façon frontale ou plus détournée, à la vider de tout contenu, de tout caractère contraignant...
Je dois noter avec satisfaction que tous les ministres en charge de l'environnement ont toujours lutté contre ces attaques. J'ai été moi-même confrontée à plusieurs tentatives bien préparées de remise en cause de la loi, y compris dans cette enceinte. Je pense par exemple aux pressions destinées à permettre que la loi sur la protection du littoral ne s'applique pas en Corse. Un arbitrage du Premier ministre - il fut, je l'avoue, difficile à obtenir - a évité cette catastrophe. Je tiens d'ailleurs à saluer la poignée d'élus corses qui, à l'époque, m'ont apporté leur soutien.
Si l'efficacité de la loi a pu être discutée parfois, si elle n'a pu empêcher la dégradation de certains sites, c'est d'abord parce que les moyens de la faire respecter ont été chichement mesurés. C'est ensuite parce que, sur le terrain, une ingéniosité diabolique a été déployée, avec souvent la complicité passive et même parfois le soutien explicite des élus locaux, pour en négocier l'application, pour en contourner les dispositions, pour inventer exceptions, accommodements et interprétations... Bungalows, paillotes et autres bâtiments à charpente métallique ont fait les beaux jours des exégètes de la loi littoral, sans même parler des villas construites sans permis de construire sur le littoral de la Corse et de la Guadeloupe, avec la complicité active des services de l'Etat !
Anecdotique ? Je veux bien, car la loi a montré « globalement » son efficacité. Selon la DATAR, elle a permis « d'éviter les grandes opérations immobilières et changé certaines pratiques, en favorisant la densification et l'urbanisation plus en retrait de la mer, moins fréquemment en site vierge. Elle n'a cependant empêché ni les constructions illégales ni le grignotage des espaces naturels ».
Le Conservatoire de l'espace littoral s'est révélé être un instrument efficace pour préserver les zones naturelles du littoral en dépit d'un manque continuel de moyens. Son succès est tel que beaucoup souhaitent aujourd'hui que son expérience serve de base à la mise en place de conservatoires des espaces naturels terrestres.
Pourquoi changer une loi qui gagne ? Ce serait utile, car on peut toujours faire mieux et que, on l'a vu, de nouvelles menaces sont apparues, ainsi que de nouveaux conflits d'usage que je ne songe pas à minorer. Je pense notamment à la perspective d'une concentration accrue de la population le long des fleuves et sur le littoral, dans les prochaines années. Avec une densité de population deux fois et demie supérieure à la moyenne nationale, avec une dynamique économique bien réelle et une pression touristique qui ne se dément pas, le littoral a déjà de lourds défis à relever.
Mais, évidemment, on tremble à l'idée d'ouvrir la boîte de Pandore, et on pressent qu'une remise en chantier aujourd'hui n'aboutirait qu'à un affaiblissement.
Notre inquiétude est d'autant plus forte que nous découvrons dans le rapport du Sénat que certains membres de la commission « estiment aujourd'hui que l'application de la loi littoral connaît certaines dérives, préjudiciables principalement aux habitants de ces espaces mais aussi à leurs élus ».
Vous me permettrez de douter que la majorité des habitants de ces espaces se considèrent comme victimes de la loi ; leur avis n'a d'ailleurs pas été sollicité. En revanche, j'admets volontiers qu'elle entrave de nombreux élus dans leur souhait d'aménager, d'équiper, de bétonner. Elle est faite pour cela !
Le problème, ce serait l'intervention des juges ! Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que de nombreux élus ne respectent pas la loi qu'ils sont sanctionnés ! Soit ils sont victimes de recours abusifs et les tribunaux déboutent les détracteurs, soit ils ont outrepassé le droit et ils sont sanctionnés. Il est vrai que, dans le domaine de l'environnement, il est des élus qui ne considèrent pas qu'ils devraient, comme en toute chose, être les premiers à respecter la loi.
La protection du littoral est un enjeu national et doit le rester. Je suis d'accord pour offrir de la flexibilité aux régions ; Nicolas Alfonsi est un républicain exigeant, et il conviendra du fait qu'il faut refuser de remettre en cause les fondements même de la loi, comme par exemple l'inconstructibilité de la bande des cent mètres. Je juge d'ailleurs que, dans des espaces particulièrement sensibles et remarquables, la profondeur de cette bande protégée devrait pouvoir être portée à trois cents mètres.
Si un dialogue doit s'établir entre l'Etat, les élus et les gestionnaires d'espaces protégés, permettant à des solutions originales et innovantes d'émerger, dans le cadre d'une souplesse permise par la loi, il paraît difficile en revanche d'exposer les élus locaux à la pression des promoteurs, aux exigences des agents économiques et aux sollicitations amicales des particuliers.
A ce titre, les propositions qui ont été évoquées de faire du schéma de cohérence territoriale, le SCOT, le document de référence pour l'urbanisme côtier peuvent être dangereuses.