Mes chers collègues, cette question est récurrente.
La comparaison européenne ne vaut qu’avec les pays qui comptent encore des industries automobiles dont les centres de décision se trouvent en Europe. Or, sur les vingt-sept membres de l’Union européenne, je crains qu’il n’y ait dans ce cas que l’Allemagne, la France et l’Italie ; pour le reste, les centres de décision des constructeurs éminents implantés dans d’autres pays européens sont situés dans l’un des trois pays cités.
Il faut donc comparer les pays européens qui ont des enjeux comparables, c'est-à-dire dont les centres de décision sont localisés en Europe, pour vérifier s’ils respectent comme nous la propriété intellectuelle des modèles et des dessins. On ne saurait en vouloir aux pays qui, n’ayant pas d’industrie automobile, défendront d’abord les consommateurs de ne pas s’intéresser aux constructeurs.
J’évoquerai, ensuite, un problème de principe, avant de formuler une observation technologique.
Le problème de principe concerne la propriété intellectuelle, qui représente un investissement considérable. Lorsque j’étais ministre de l’industrie, j’avais fait réaliser une étude comparative par les services de mon ministère : il apparaît qu’une voiture construite en rassemblant des pièces détachées achetées chez le constructeur coûterait environ cinq fois le prix de la voiture sortie d’usine.
L’observation formulée par l’UFC-Que Choisir est parfaitement pertinente : il n’y a aucun doute sur le fait que la propriété d’un modèle et d’un dessin conduit les constructeurs automobiles à déplacer le bénéfice de la vente initiale de l’automobile vers la réparation de celle-ci.
Pour dire la vérité, ils ne sont pas les seuls à adopter cette attitude. Safran, grand groupe industriel français, dont le succès est mondial, consent, au moment de la vente de ses réacteurs, des réductions pouvant aller – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – jusqu’à 100 %, et ce pour une raison simple : la durée de vie d’un réacteur étant de trente ans, l’acheteur paie deux ou trois fois sa valeur initiale en rachetant des pièces détachées.
Dans le secteur automobile, afin de ne pas décourager le client, la stratégie industrielle consiste à reporter sur l’entretien le coût de l’amortissement de l’investissement, qui est extraordinairement lourd.
Cela me conduit à formuler une observation technologique.
La démarche de libéralisation des pièces détachées, défendue par les auteurs de ces amendements identiques, ainsi que les associations de consommateurs, n’est pas portée – sur ce point, je suis en désaccord avec M. le ministre – par les grands équipementiers, dont la situation financière est plutôt bonne, parce qu’ils travaillent au bénéfice des industriels automobiles, qui, eux aussi, se portent bien du fait de leur présence sur les marchés émergents.
Elle est plutôt portée par les petits industriels, qui, installés dans des pays où la propriété intellectuelle n’est jamais respectée, font preuve d’une très grande réactivité et mettent en place des technologies bien connues, telle que la numérisation des objets et, le cas échéant, l’impression en trois dimensions. Ce sont eux qui profiteront de cette mesure et développeront une industrie qui, en effet, partagera ses marges avec les consommateurs, au détriment de nos industriels.
Se pose donc une question de principe : défendons-nous la propriété ? Personnellement, je défends ce principe, y compris lorsqu’il y a, il est vrai, un transfert au détriment de l’usager et au bénéfice de l’acquéreur. Et pour des raisons de conjoncture, je soutiens plus encore cette démarche de fond. Mes chers collègues, vous n’aurez plus d’industries lourdes si la propriété intellectuelle des modèles et des dessins n’est pas respectée.