Intervention de Michel Delebarre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 avril 2015 à 9h30
Droit des entreprises enjeux d'attractivité internationale enjeux de souveraineté — Examen du rapport d'information

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre, co-rapporteur :

Nous avons décidé, en novembre 2014, de créer une mission d'information sur les enjeux d'attractivité internationale et de souveraineté du droit français des entreprises.

Nous avons voulu vérifier, d'une part, si le droit français est adapté au contexte de la compétition économique des systèmes juridiques nationaux dans les règles établies comme dans leur application par le juge, notamment vis-à-vis du droit anglo-saxon, et, d'autre part, s'il offre aux entreprises françaises des armes appropriées et aussi efficaces que celles des autres systèmes juridiques.

Nous nous sommes attachés aux différents aspects du droit des entreprises en lien avec les compétences de la commission : droit des sociétés, droit financier, droit de la concurrence, droit de la consommation, droit de la propriété intellectuelle, ainsi que les procédures juridictionnelles ou quasi juridictionnelles qui permettent d'en contrôler le respect et d'en sanctionner les éventuels manquements. Nous avons écarté le droit fiscal, le droit social et le droit du travail, manifestement hors de la compétence de notre commission.

Lors de la création de la mission d'information, nous ignorions que le projet de loi pour la croissance et l'activité, déposé à l'Assemblée nationale en décembre 2014, comporterait plusieurs dispositions entrant dans son champ d'étude, par exemple le statut d'avocat en entreprise, la protection civile et pénale du secret des affaires, la confidentialité des comptes des sociétés ou encore la procédure de transaction sur le montant des sanctions financières prononcées par l'Autorité de la concurrence.

Compte tenu de l'examen de ce texte en séance ces jours-ci, il paraissait opportun de conclure les travaux de la mission d'information, après la tenue d'auditions en commission au mois de mars. Pour autant, ce projet de loi ne saurait constituer un terme aux réflexions ouvertes, qui mériteront d'être prolongées, d'autant que certaines des dispositions précitées en ont été retirées au bénéfice de débats ultérieurs, je pense à l'avocat en entreprise et au secret des affaires.

Je présenterai pour ma part les constats que l'on peut tirer des auditions, puis Christophe-André Frassa dégagera quelques perspectives de réflexion.

Le premier constat que je formule, c'est que les auditions ont mis en lumière une large satisfaction à l'égard du droit français des entreprises et du fonctionnement des juridictions et des autorités de régulation dans le champ économique. Je tiens à le souligner car nous n'avions pas conscience a priori d'un tel constat.

Le droit français ne fait donc pas peser sur les entreprises intervenant à l'étranger un désavantage compétitif ou un handicap quelconque pour faire face à la concurrence. Il permet donc aux entreprises françaises d'évoluer dans la compétition économique internationale comme aux entreprises étrangères de s'installer en France.

Quelques succès ont même été mis en avant : la société par actions simplifiée, la qualité des procédures d'exécution, la rapidité des formalités d'immatriculation des entreprises, la fiabilité du système d'information légale et de contrôle légal des comptes ou encore la qualité des prestations des professionnels du droit et du chiffre qui accompagnent les entreprises.

Les critiques récurrentes portent sur le droit fiscal, le droit social et le droit du travail, de la part des entreprises françaises comme de la part des entreprises étrangères.

La poursuite du processus de simplification par les gouvernements successifs a été largement saluée par les intervenants, mais associée à un appel à une plus grande stabilité des normes applicables aux entreprises. Ces deux injonctions, en apparence contradictoires, sont en réalité complémentaires, dès lors que l'on entend la simplification comme l'allègement ou la suppression d'une charge administrative ou d'un coût qui peut en résulter, sans remettre en cause la stabilité des normes de fond applicables aux entreprises.

Des difficultés ponctuelles ont cependant été soulignées, issues d'initiatives législatives jugées malheureuses et très critiquées, en particulier l'obligation d'informer préalablement les salariés en cas de cession de leur entreprise (« loi Hamon ») - même si vous me permettrez, à titre personnel, d'être plus réservé -, l'application automatique du droit de vote double pour les actions de sociétés cotées détenues au nominatif depuis deux ans ou encore l'abandon du principe de neutralité des organes de direction des sociétés faisant l'objet d'une offre publique d'acquisition (« loi Florange »). Ces dispositions suscitent des réactions fortes, mais ne remettent pas en cause le constat général.

À cet égard, nous entrons dans la période des assemblées générales annuelles et de nombreuses résolutions ont été présentées pour écarter les droits de vote doubles.

Au titre du constat, nous devons également avoir conscience de la préférence des entreprises pour l'autorégulation, la soft law et des modes plus souples et discrets de régulation ou de règlement des litiges. Leurs représentants ont distingué la justice qui tranche ou sanctionne de l'arbitrage ou des modes de règlement amiable des différends que sont la médiation ou la transaction. La qualité de la place de Paris en matière d'arbitrage a d'ailleurs été saluée.

Une approche négociée de la régulation présente un double mérite : celui d'une meilleure prévisibilité, les entreprises acceptant de transiger en fonction d'un bilan coût-avantage, et celui d'une plus grande implication de l'opérateur économique dans l'application de la norme ou de l'accord de transaction.

Le dernier élément du constat que je souhaite dresser est la question de la confrontation de notre droit avec le droit américain, la confrontation de nos entreprises avec le système de régulation économique américain.

La première de nos auditions en commission, sur la justice négociée aux États-Unis, a suscité de vives réactions de la part de nombreux collègues. Il faut cependant que nous ayons conscience de la réalité que vivent nos entreprises sur le sol américain, pour en tirer les conséquences qui s'imposent.

En France, la poursuite des infractions économiques est soit le fait de l'autorité judiciaire, soit celui des autorités de régulation, dans le respect des principes de notre droit, sous le contrôle du juge.

Le système américain, quant à lui, dissocie la transaction du contrôle judiciaire. Les autorités de poursuite peuvent proposer aux entreprises un accord, en l'absence de tout contrôle judiciaire, avec notamment le paiement d'amendes très élevées et très médiatiques. Les entreprises s'y soumettent par crainte des conséquences coûteuses d'une action en justice comme des risques d'expulsion du marché américain. En raison de l'efficacité de ce système, la question a été posée de l'utilisation en France de tels mécanismes, en faisant évoluer notre système de régulation, pour assurer le respect du droit français à l'égard des entreprises étrangères et pour protéger nos entreprises.

Pour conclure, je dirais que nous devrions nous astreindre régulièrement, dans l'intérêt de l'économie française et de nos entreprises, à procéder à une évaluation du droit français des entreprises comme nous venons de le faire, pour voir si le constat globalement positif que j'ai décrit se dégrade ou s'améliore.

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