Je commencerai mon propos en vous rappelant que ce programme en comporte en fait trois : deux dédiés à des achats d'actifs privés et le troisième à l'achat de titres publics lancé en mars 2015, pour renforcer l'impact attendu des programmes d'achat d'actifs privés, dans un contexte de hausse des risques que l'inflation se maintienne à un niveau trop bas trop longtemps. L'objectif fixé par le Conseil des Gouverneurs est l'achat, au titre de ces trois programmes, de 60 milliards d'euros d'actifs chaque mois jusqu'à septembre 2016 au moins, sauf, bien entendu, s'ils produisaient tous les effets escomptés sur l'inflation avant cette échéance.
Ce programme étendu d'achat d'actifs est donc d'une ampleur considérable et la Banque de France est fortement impliquée dans sa mise en oeuvre. Deux caractéristiques principales du programme permettent de réaliser les 60 milliards d'euros d'achats par mois fixés par le Conseil des Gouverneurs de la BCE, sans altérer profondément et durablement le fonctionnement des marchés sur lesquels ils sont réalisés : une répartition et une coordination des achats adaptées aux particularités des marchés sur lesquels nous intervenons et à l'expérience des banques centrales nationales (BCN) et de la BCE, d'une part, et des conditions d'achat qui visent à préserver la liquidité des marchés, d'autre part.
S'agissant de la répartition et de la coordination des achats, les traités posent, au sein de l'Eurosystème, un principe général de décentralisation dans l'exécution des missions de la BCE. La mise en oeuvre de ce principe est un facteur primordial d'efficacité de l'Eurosystème, compte tenu des caractéristiques propres du système financier de l'euro. C'est en particulier le cas pour la mise en oeuvre des opérations de politique monétaire comme les programmes d'achats d'actifs, qui suppose une connaissance approfondie du fonctionnement de marchés complexes aux segments multiples avec de fortes spécificités nationales. Les équipes des salles de marchés des BCN apportent ainsi à l'Eurosystème cette connaissance intime du « terrain » local des marchés et de leurs acteurs.
C'est pourquoi, tant pour le programme de covered bonds que pour le programme de titres publics, les achats sont alloués très largement entre les BCN, en fonction de leur part dans la clef de répartition du capital de la BCE. L'essentiel des achats de titres d'administrations centrales, d'agences et de covered bonds est ainsi réalisé par les banques centrales nationales, selon un principe de spécialisation géographique. La part de la Banque de France est ainsi de l'ordre de 20 %, alors que celle de la BCE est de 8 %.
Ce principe d'un recours privilégié et dominant des BCN pour l'exécution des programmes d'achat souffre toutefois de deux exceptions : les obligations des institutions européennes, pour lesquelles seules deux BCN dont la Banque de France ont été chargées de la coordination et de l'exécution de ces achats pour le compte de l'Eurosystème, d'une part, et les asset-backed securities (ABS), la Banque de France étant la seule BCN à pouvoir actuellement participer directement aux achats de ces titres aux côtés des gestionnaires d'actifs privés mandatés par la BCE, d'autre part.
Comme ces programmes d'achats relèvent des opérations de politique monétaire, leur mise en oeuvre est étroitement encadrée et coordonnée au sein de l'Eurosystème. Elle obéit en effet à un corps de règles communes afin, d'une part, de guider la répartition des achats entre la BCE et les BCN et, d'autre part, de circonscrire le champ des titres qui peuvent être achetés. Les critères d'éligibilité sont communs à l'ensemble des banques centrales et sont, en substance, similaires à ceux utilisés pour définir le collatéral accepté en garantie des opérations de crédit de l'Eurosystème.
L'encadrement et la coordination portent également sur les conditions d'achat, notamment s'agissant de l'achat de titres publics, qui illustrent l'objectif retenu, dans le cadre du mode opératoire du programme, de limiter les risques d'impact négatif sur le fonctionnement des marchés, et en particulier leur liquidité.
En effet, depuis la crise financière, la liquidité des marchés financiers a montré des nouveaux signes de fragilité en cas de choc, par exemple le 15 octobre 2014 sur le marché des bons du Trésor américains. Réputé le plus liquide du monde, celui-ci a alors connu un des plus importants mouvements « intra-journaliers » de son histoire.
Cette fragilité paraît être le signe d'un phénomène nouveau de déséquilibre entre l'offre de service de liquidité assurée principalement sur les marchés obligataires par les teneurs de marché, les market makers, et la demande de services de liquidité de la part des gestionnaires d'actifs et, plus généralement, des investisseurs. Cette divergence entre offre et demande de service de liquidité a des causes multiples qui sont liées aussi bien au contexte actuel de taux bas qu'à un comportement plus prudent de la part des directions des banques à l'égard des risques propres aux activités de tenue de marché, ou encore au renchérissement du coût des activités de tenue de marché induit par la mise en oeuvre des nouvelles règlementations en matière de solvabilité et de liquidité.
Cette divergence entre offre et demande de service de liquidité, outre qu'elle est de nature à entretenir une pression à la hausse des coûts de transaction et une augmentation du prix du financement pour les emprunteurs, contribue à alimenter une orientation à la baisse et une plus grande fragilité de la liquidité de certains segments des marchés en cas de choc important, ce qui n'est pas sans risque pour la stabilité du système financier.
C'est pourquoi nous avons veillé à poser des règles opératoires pour le programme d'achats des titres publics qui minimisent les risques d'impact collatéral négatif sur le fonctionnement des segments de marchés, en particulier celui des titres d'État qui font partie des marchés internationaux les plus liquides.
Tout d'abord, au quotidien, notre technique d'achat vise à respecter un principe de « neutralité » et à soutenir la liquidité du marché.
À cette fin, les achats sont modulés le long de la courbe des taux et incluent les obligations publiques indexées sur l'inflation, afin d'éviter de peser de manière trop prononcée sur certains segments particulièrement sollicités. Nous éviterons, dans la mesure du possible, les achats de titres qui deviendraient particulièrement recherchés sur le marché du repo.
En outre, les limites d'emprise par souche (25 %) et par émetteur (33 %) sont mises en oeuvre pour limiter le risque d'éviction des investisseurs traditionnels.
Un dispositif de prêt/emprunt des titres achetés dans le cadre du programme d'achats des titres publics est également opérationnel depuis la fin de la semaine dernière. Décentralisé dans sa mise en oeuvre tout en obéissant à des principes généraux communs, ce dispositif contribuera à soutenir la capacité des teneurs de marché à coter des prix compétitifs, qui ne soient pas altérés par des phénomènes de pénurie temporaire de titres disponibles sur le marché, et à éviter les situations de fail, c'est-à-dire des situations de défaut de règlement dans les opérations d'achat-vente ou de repo entre participants de marché.
Ensuite, l'Eurosystème publie de manière transparente, toutes les semaines, les encours détenus dans le cadre du programme, et chaque mois, les encours détenus par pays d'émission ainsi que leur maturité moyenne. Ainsi, début avril, l'encours de titres publics s'élevait à 52,5 milliards d'euros, celui des covered bonds à 64,7 milliards d'euros et celui des ABS à 4,9 milliards d'euros.
L'encours de titres détenus à cette date reflète ainsi un montant total d'achats au mois de mars conforme à l'objectif de 60 milliards d'euros fixé par le Conseil des Gouverneurs et dont la part acquise par la Banque de France s'est élevée à 12,5 milliards d'euros, dont 10,8 milliards d'euros de titres publics français et supranationaux.
Tout au long de la mise en oeuvre du programme, l'Eurosystème adoptera une attitude résolument pragmatique et certains aménagements seront apportés à ce dispositif si cela s'avérait nécessaire. Un des objectifs de ce programme est que l'Eurosystème intervienne comme un acteur de marché parmi d'autres, en dépit de sa taille, et qu'il préserve donc l'écosystème complexe nécessaire à une bonne liquidité du marché.