Je ferai trois remarques en guise de propos liminaire.
Tout d'abord, le programme d'achats d'actifs mis en place par la BCE doit être vu comme une police d'assurance contre le risque de déflation et non comme un « stimulus » à la croissance. Il ne peut se substituer aux autres instruments de politique économique, en particulier les réformes permettant de favoriser la croissance à moyen ou long terme. Pour reprendre l'image de la « morphine » évoquée tout à l'heure, la BCE est, en quelque sorte, un anesthésiste par ce programme, pendant que le chirurgien traite le problème. La politique de la banque centrale a pour principal effet d'alléger le fardeau de la dette de l'État, de refinancer les prêts immobiliers des ménages mais ne peut stimuler à elle seule la croissance à long terme.
Ensuite, la France est déjà le pays où les conditions de crédit étaient les plus accommodantes, ce qui explique qu'il y a sans doute moins à attendre du nouveau programme de la BCE dans ce pays que dans d'autres, comme l'Italie ou l'Espagne, où les conditions de crédit étaient plus restrictives.
Ainsi, comme le montrent les statistiques mensuelles de la BCE, les taux des nouveaux crédits aux PME en France sont déjà parmi les plus bas, relativement à ceux des autres États européens, avec un taux de 2,7 % contre en peu plus de 3 % en Allemagne et entre 4 % et 5 % en Espagne ou en Italie. Concernant l'évolution des crédits bancaires aux entreprises, la croissance de l'encours sur un an est également la plus forte en France, avec 3,8 %, contre 0,7 % en Allemagne, - 5,8 % en Espagne et - 3,1 % en Italie.
Les difficultés de la France ne proviennent donc pas des conditions monétaires et de crédit. Le pays n'a pas rencontré de problème de canal de transmission comme d'autres au cours des années passées.
Enfin, en conservant la métaphore médicale, le programme de la BCE a de possibles effets indésirables ou collatéraux. Tout d'abord, comme cela a déjà été évoqué, il peut conduire à des prises de risque des acteurs financiers. Ensuite, on constate dans la zone euro un phénomène nouveau par rapport à la situation vécue aux États-Unis, au Royaume Uni ou au Japon, à savoir des taux très bas, voire négatifs. L'encours des dettes publiques avec un taux négatif s'élève ainsi à 2 500 milliards d'euros dans la zone euro, les prêts ayant un taux négatif jusqu'à sept ans en Allemagne, cinq ans en France. En dehors de la zone euro, les prêts ont même un taux négatif jusqu'à dix ans en Suisse. Cette situation pèse sur la solvabilité des institutions financières, en particulier les sociétés d'assurances vie et les fonds de pensions dans la mesure où ils ont des passifs très longs qui se trouvent ainsi renchéris. En Allemagne, plus particulièrement, les assurances vie prévoient souvent un taux minimum garanti qui peut être de l'ordre de 3 %, ce qui pose des difficultés de solvabilité quand le taux des obligations est de l'ordre de 0,2 %.
Les banques rencontrent, quant à elles, des problèmes de profitabilité, compte tenu de la faiblesse de leur marge d'intérêt, correspondant à l'écart entre le coût des dépôts et les taux des prêts. Il est à noter que, si le coût des dépôts des particuliers ne devrait pas descendre en dessous de zéro, il existe, de façon inédite, des cas où des banques, notamment en Suisse ou aux États-Unis, font payer une rémunération négative pour les gros dépôts de grandes entreprises ou institutions. En outre, les établissements financiers sont également moins incités à faire de la transformation, consistant à prêter à long terme en empruntant à court terme, compte tenu du fait que la courbe des taux est totalement plate. En Suisse, où les taux sont les plus bas et même négatifs jusqu'à dix ans, les banques peuvent être contraintes de réduire la maturité de leurs prêts immobiliers à taux fixe, dont le coût est plutôt renchéri, et rencontrent des difficultés à gérer le risque des taux sur les prêts immobiliers à taux fixes, d'autant que le marché des « swaps de taux » s'est complètement effondré dans ce pays.