Je suis heureux de vous entendre car le paysage audiovisuel français comprend certes l'audiovisuel public, mais également les groupes privés qui jouent un rôle très important. Vos propos m'amènent à constater qu'à l'occasion de cette grande révolution sur le plan de la communication, des médias et du numérique, nous n'avons pas eu de débat de société sur l'architecture du paysage audiovisuel que nous souhaitons voir émerger, contrairement à ce qui a pu être fait dans le passé, notamment lors de la discussion sur la télévision numérique terrestre. Le secteur audiovisuel a été bouleversé par les évolutions du secteur public et du secteur privé, la concentration des acteurs, la multiplication des offres, dans l'anarchie la plus totale, sans régulation, permettant ainsi à la loi du plus fort de s'imposer. J'espère que le débat actuel permettra de prendre conscience de la nécessité de redonner un sens global à ces interrogations avant de prendre position sur telle ou telle question.
Je salue votre constance militante pour défendre l'intérêt de vos entreprises. Vous avez de manière spontanée mais coordonnée fait passer deux messages. D'abord, vous ne souhaitez pas augmenter la publicité dans l'audiovisuel public. En fait, vous avez déjà gagné cette bataille puisque M. Sarkozy avait fait voter une mesure en ce sens. Se pose alors la question de l'équilibre financier du secteur public, privé de ses ressources publicitaires. Je rappelle la position, à la fois constante et relativement consensuelle du Sénat, selon laquelle l'audiovisuel public doit être financé par une redevance dont l'assiette doit être élargie aux nouveaux usages. Certaines questions à la marge restent posées. Ainsi, le service public ne peut plus diffuser un match de football sans publicité le soir en raison du coût des droits de diffusion. Est-ce que ce type de compétition ne pourra plus être accessible gratuitement sur le service public puisqu'il faudra regarder des chaînes payantes pour accéder à ce genre de manifestation sportive ? Je n'ai personnellement pas tranché cette question mais globalement, je peux affirmer que le Sénat est d'accord pour ne pas rouvrir une fenêtre publicitaire aux heures de grande écoute.
L'autre question que vous soulevez est le retard pris dans la publication du décret sur les parts de coproduction. Dans ce cas précis, le retard n'est pas lié à l'habitude française de publier une loi sans se soucier de publier les décrets d'application. La situation s'est d'ailleurs beaucoup améliorée puisque désormais le délai de publication a été fixé à six mois à la suite de plusieurs circulaires prises par des ministres tant de droite que de gauche. En réalité, il s'agit de dispositions qui doivent être négociées par les partenaires. Or, ces derniers n'arrivent pas à se mettre d'accord. Certes, le Gouvernement pourrait décider d'agir, compte tenu du retard accumulé, mais il s'agirait d'une rupture par rapport à la tradition de négociation dans ce secteur. Il semblerait toutefois que la ministre ait décidé de faire pression sur les partenaires afin qu'un accord intervienne d'ici l'été. Au groupe socialiste du Sénat, nous insistons sur la nécessité de trouver un équilibre entre l'octroi aux diffuseurs de droits plus importants qu'aujourd'hui et le maintien d'un système caractérisé par une multitude de producteurs qui garantit la diversité de l'offre. En effet, plus les producteurs et les diffuseurs sont concentrés, plus l'offre de programmes est réduite. Nous devons donc éviter de copier les modèles étrangers et privilégier la mutation de notre système tout en sauvegardant sa particularité.
Enfin, vous avez soulevé la question de la revente des fréquences. Comme vous l'avez souligné, M. de Tavernost, les fréquences hertziennes sont gratuites pour les chaînes de télévision, alors qu'elles coûtent des milliards aux entreprises de télécommunication. Vous ne pouvez donc pas dire que l'État donne tout au service public et rien au secteur privé. Au contraire, il vous accorde quelque chose de fondamental, sans lequel vous ne pourriez pas exercer votre activité. Il est donc normal que cette allocation permanente s'accompagne d'obligations permanentes. En ce qui concerne la chaîne Numéro 23, j'ai déjà soulevé le scandale que représente sa vente : les actionnaires de Numéro 23 ont attendu le délai légal de deux ans et demi pour revendre la chaîne 90 millions d'euros alors que la fréquence avait été attribuée gratuitement. Je souhaite toutefois rappeler le combat que j'ai mené pour l'instauration d'une taxe de 5 % sur les plus-values liées à la revente des fréquences. Maintenant, on estime qu'elle n'est pas assez élevée, mais on m'a reproché cette initiative lors de transactions similaires, je pense notamment au groupe Bolloré. J'ai été constant dans mes opinions, ce n'est pas le cas de tout le monde. Certes, on peut allonger le délai de détention incompressible à cinq ans, mais il faut également arriver à se projeter dans l'avenir. À quoi ressemblera-t-il ? J'aimerais avoir votre sentiment. Ainsi, la TNT a été conçue avec un nombre important de chaînes ; on assiste désormais à un phénomène de concentration. De même, Nextradio TV a racheté Numéro 23, mais des bruits courent sur le rachat de ce groupe par un autre. Autre exemple : le groupe Bolloré semblait avoir été absorbé par Canal+, or, désormais, il dirige cette entreprise. Face aux mutations à venir, que faire pour réguler ce secteur et assurer sa compétitivité tout en garantissant une certaine diversité ?