La SAIF, créée en 1999, est la plus récente des sociétés d'auteurs. Elle rassemble 6 000 adhérents en France. Sa création répondait aux besoins de disposer, pour les artistes des arts visuels, d'une société d'auteurs qui leur soit propre et qui réponde au défi du numérique. De fait, les artistes des arts visuels (sculpteurs, photographes, designers, graphistes, etc.) étaient auparavant les parents pauvres de la gestion collective. Les deux tiers de nos adhérents sont photographes ; la majorité du tiers restant, illustrateurs de bandes dessinées et de livres jeunesse.
La récente étude d'E&Y sur le poids économique des industries culturelles montre que les arts visuels représentent le premier secteur d'activité culturelle en France, en emplois comme en chiffre d'affaires : 300 000 emplois en France pour 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires, alors qu'on estime à 1,2 million le nombre de personnes travaillant dans ce secteur d'activité en Europe. Pourtant, les arts visuels demeurent moins bien connus que la musique ou le cinéma malgré l'attractivité de leurs métiers pour les jeunes et la qualité de leurs formations à l'instar de l'école des Gobelins. Il est vrai toutefois que les artistes des arts visuels bénéficient de faibles revenus tendant en outre à diminuer, comme l'indiquent les données issues des caisses de sécurité sociale de ces professionnels. La précarisation des rémunérations s'explique en partie par la multitude des diffusions des oeuvres (presse, livre, musées, cartes postales, publicité, vente, etc..) qui entraîne une fragmentation des revenus. Hormis la photographie de presse rémunérée forfaitairement, la rémunération des artistes des arts visuels dépend essentiellement de leur capacité de négociation contractuelle avec les diffuseurs, processus dans lequel l'artiste est rarement en position de force. Par ailleurs, le monde des arts plastiques et graphiques a été durement atteint par la révolution numérique, il n'est de voir le nombre de photos et de dessins à disposition de tous sur les sites Internet. Cet accès illimité aux oeuvres est désormais banalisé par les internautes : les moteurs de recherche d'images sont devenus le premier point d'accès aux oeuvres d'image fixe. Or, ces supports ne rémunèrent pas les créateurs, pas plus qu'ils ne financent la création. Quel avenir alors pour les artistes et pour ceux qui les produisent ? La captation de valeur par les opérateurs de l'Internet au détriment des créateurs représente la problématique majeure des droits d'auteur à l'ère numérique.
S'agissant du projet de révision de la directive de 2001, nous avons été plus que surpris que Mme Julia Reda, unique députée européenne membre du parti pirate, se voit confier un rapport d'initiative sur ce sujet. La méthode de travail fut également fort critiquable : les ayants droit n'ont été auditionnés qu'après la publication du projet de rapport et aucune étude d'impact sur le bilan de l'application de la directive n'a été réalisée. Compte tenu de cette entrée en matière, nous sommes particulièrement inquiets pour la suite de la procédure de révision. Mme Reda a, en réalité, envisagé son rapport sous le seul angle de l'antagonisme supposé entre créateurs et consommateurs. Or, s'agissant des arts visuels, il n'existe pas vraiment de liens entre artistes et consommateurs. Le débat essentiel sur la rémunération des créateurs n'a pas même été traité par Julia Reda. Pire, elle propose de généraliser les 21 exceptions au droit d'auteur prévues par la directive de 2001 sans qu'aucune compensation financière ne soit autorisée (point 21 de son rapport). Dès lors comment financer et renouveler la création ?
Deux exceptions concernent plus particulièrement les arts visuels. Concernant l'exception de panorama, je rappelle que la jurisprudence, désormais bien établie en France et en Europe, autorise l'utilisation d'images, à des fins non commerciales, d'oeuvres installées dans l'espace public. Le problème, n'est donc pas dans le fait de publier des images sur des blogs personnels, mais que l'exception de panorama est revendiquée pour une exploitation économique des oeuvres ? La généralisation d'une telle exception aura des conséquences certaines sur la rémunération des créateurs, certains tirent par exemple une partie de leurs revenus des cartes postales.
S'agissant ensuite de l'exception pédagogique, sachez que les manuels scolaires représentent un marché non négligeable pour les arts visuels, par exemple pour un photographe animalier dont les clichés sont utilisés dans les livres de science. Nous sommes tous favorables à donner la priorité à l'éducation et à l'accès des élèves aux contenus culturels mais il faut prévoir une compensation pour les créateurs, dont le montant serait fixé par une étude d'impact, sur le modèle de ce qui fut mis en place en 1995 pour compenser le manque à gagner que constitue l'usage de la photocopieuse. Maintenant que le numérique se substitue à la photocopie, il convient de prévoir un nouveau mode de compensation. Un droit d'auteur équilibré doit permettre l'accès aux oeuvres tout en assurant, via la gestion collective, une juste rémunération aux créateurs.
Il faut profiter du débat sur la révision de la directive de 2001 pour instaurer une obligation, pour les hébergeurs de contenus sur Internet, de participer au financement de la création en versant une contribution aux sociétés de gestion collective. Un tel système constituerait la contrepartie des bénéfices qu'ils tirent des dispositions favorables de la directive de 2000 sur le commerce électronique. La France, qui fut à l'initiative de nombreuses législations nationales et européennes favorables aux créateurs, doit se positionner à la tête de ce combat. Le mécanisme proposé par Philippe Marini dans sa proposition de loi instaurant la gestion collective des droits de reproduction et de représentation d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou photographique par un service de moteur de recherche et de référencement serait un premier pas dans la bonne direction. Par ailleurs, tout doit être mis en oeuvre pour garantir le pluralisme de la création sur Internet en obligeant les moteurs de recherche à respecter leur obligation de neutralité.